Tandis que Liliane Bettencourt était enregistrée à son insu par un majordome, Nicolas Sarkozy l'était par son plus proche conseiller, Patrick Buisson. Si l'on en croit des informations du Point publiées mercredi 12 février, ce spécialiste des sondages aurait pris l'habitude, en particulier pendant la dernière présidentielle, d'entrer à l’Élysée avec un dictaphone dissimulé sous le veston et de l'enclencher pendant les réunions, même les plus stratégiques.
Instigateur de la campagne ultra-droitière de 2012, rémunéré tout à la fois par la présidence de la République, le candidat Sarkozy et l'UMP, Patrick Buisson aurait ainsi stocké des heures de conversations politiques voire financières, lourdes de secrets et de menaces pour l'avenir judiciaire de son champion. À condition que ces bandes existent bel et bien, et qu'elles atterrissent entre les mains de la justice.
Il se trouve, justement, que de nombreuses archives de Patrick Buisson, notamment informatiques, ont été saisies en avril dernier par deux juges d'instruction, Serge Tournaire et Roger Le Loire, en charge de « l'affaire des sondages de l’Élysée ».
Une information judiciaire a en effet été ouverte en janvier 2013, après de longues péripéties procédurales, sur des soupçons de « favoritisme », « détournement de fonds publics », « complicité et recel de ces délits », visant les commandes de sondages et de conseils passées de 2007 à 2012 par l’Élysée auprès de plusieurs sociétés (Publifact de Patrick Buisson, GiacomettiPeron, Ipsos, Ifop, OpinionWay, Sociovision, TNS-Sofres et CSA). L'alerte avait été lancée dès 2009 par la Cour des comptes, estomaquée par le contrat « exorbitant » accordé par le cabinet de Nicolas Sarkozy à Publifact en juin 2007, sans le moindre appel d'offres.
Les juges, en outre, se demandent comment le candidat Sarkozy a pu déclarer zéro achat de sondages dans son compte de campagne de 2012 – autrement dit, qui pourrait avoir payé à sa place. (Voir notre enquête)
Lors des perquisitions opérées chez l’éminence grise de l’ancien président, les enquêteurs auraient-ils mis la main sur des enregistrements audio (susceptibles de répondre à cette dernière question) ? À ce stade, l'association anticorruption Anticor, qui s’est constituée partie civile, n'a rien entendu de tel.
Dès mercredi soir, Patrick Buisson s'est empressé de « protester fermement contre les basses accusations » de l'« article ignominieux » du Point, annonçant le dépôt d'une plainte pour diffamation. L'homme continue de fréquenter Nicolas Sarkozy, auquel il rendait encore visite en début de semaine dans ses bureaux parisiens. Mais que dément-il exactement dans son communiqué pesé au trébuchet ?
Bizarrement, ce vieux briscard du journalisme, ancien dirigeant de Minute (magazine d'extrême droite) désormais aux manettes de la chaîne Histoire (groupe TF1), ne nie pas explicitement avoir enregistré Nicolas Sarkozy. Sollicité par mail, Patrick Buisson n'a pas répondu pour l'instant à nos questions.
Interrogé sur ce sujet, son avocat, Me Gilles-William Goldnadel, formule les choses ainsi : « Mon client est dans l’ignorance la plus totale que des enregistrements aient été saisis. Les perquisitions chez lui n’ont jamais donné quoi que ce soit en lien avec ce qui est écrit dans l’article. » Pour essayer de comprendre quel matériel a été saisi exactement, Mediapart s'est penché sur les comptes-rendus de perquisitions.
La toute première, effectuée dans la résidence secondaire de l’intéressé aux Sables-d'Olonne, ne donne visiblement rien, le matin du 4 avril 2013. Tout juste les policiers placent-ils sous scellés quelques discours de campagne, des articles de presse consacrés aux Années érotiques de Patrick Buisson (son essai sur la sexualité à l’époque de l’Occupation), ou encore un sondage post-présidentielle sur « le vote des musulmans ». La descente opérée un peu plus tard dans son bureau parisien, sous le regard du directeur des affaires judiciaires du groupe TF1, fait plouf également.
De toute évidence, les juges sont mieux servis au domicile de Patrick Buisson. Son ordinateur est ainsi scanné par des policiers spécialistes de la récupération de données supprimées, qui copient sur place toute une série de fichiers, repérés à l’aide d’une douzaine de mots-clés : noms d’instituts de sondages (OpinionWay, Ipsos et Sociovision) ; patronymes de Christian Frémont (ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Élysée), Pierre Giacometti et Alain Péron (conseillers "Opinion" bénéficiaires de juteux contrats avec la présidence de 2007 à 2012), Jean-Michel Goudard (ancien conseiller "stratégie" du chef de l’État et inventeur du slogan « La France forte »), ou encore Denis Delmas (ex-président de TNS-Sofres).
Outre un étonnant fichier « Vatican », les juges dénichent et dupliquent surtout des dossiers que Patrick Buisson a créés sous les noms « ELY1 » et « ELY2 » (sans doute en référence à l’Élysée), de même que des dossiers baptisés « NS » (initiales de Nicolas Sarkozy), « NS1 », « NS2 » et « NS3 ». Qu’a donné, après quelques mois, l’analyse de ces données informatiques ? Secret de l’instruction.
Mais Patrick Buisson n’est visiblement pas tranquille ce jour-là. Sur le procès-verbal de perquisition, il déplore, outré, que les enquêteurs aient aussi épluché son ordinateur « à partir du mot Sarkozy » – une démarche parfaitement assumée par les magistrats. « Mon client y voit la preuve d’une instruction orientée », commente aujourd’hui son avocat, Me Gilles-William Goldnadel. En tout cas, si les juges n’ont pas déjà mis la main sur des bandes, ils les cherchent désormais activement.
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