C’est une première, votée tard dans la nuit. Lundi, les députés ont adopté la loi encadrant la politique de développement qui doit permettre de rompre avec la vieille tradition française de la coopération marquée au sceau de la Françafrique. Désormais, les parlementaires auront un droit de regard et fixeront les critères d’attribution de l’aide au développement. Plus question à terme de financer la déforestation de forêts primaires, des OGM ou des centrales à charbon, se félicite le ministre délégué au développement, l’écologiste Pascal Canfin.
Mais les députés de gauche espéraient aller beaucoup plus loin : comme Mediapart l’avait raconté début février, ils avaient déposé et voté des amendements pour instaurer une responsabilité sociale des entreprises (RSE), également appelée « devoir de vigilance ». Concrètement, une multinationale pourrait être sanctionnée pour les mauvaises conditions de travail ou les dégâts à l'environnement causés par ses filiales ou ses sous-traitants dans un pays du Sud. La proposition suscitait l’opposition vive de Bercy, soutenu par l'Élysée et Matignon.
Lundi, il n’y a pas eu de miracle : Pascal Canfin, qui y était personnellement favorable, a dû temporiser et les amendements des députés ont été retoqués. Ne reste dans la loi qu’un appel non contraignant au renforcement de la RSE et l’engagement du gouvernement à poursuivre les travaux… Entretien avec le ministre du développement.
Pourquoi avez-vous refusé les amendements votés en commission des affaires étrangères, soutenus par les ONG, sur la responsabilité sociale des entreprises ?
Pascal Canfin. Le gouvernement a accepté de travailler à la mise en place d’un devoir de vigilance des multinationales vis-à-vis de leurs sous-traitants. Jusqu’à cette loi, ce n’était absolument pas dans l’agenda législatif du gouvernement. C’est un progrès réel. Mais compte tenu de l’importance du sujet, il était trop tôt pour conclure à une responsabilité juridique.
Pourquoi était-ce trop tôt ? C’est un sujet sur lequel travaillent les ONG depuis des années ! Le gouvernement ne peut faire croire qu’il le découvre aujourd’hui. Surtout pas un an après le drame du Rana Plaza, l'effondrement de cette usine textile au Bangladesh qui a fait plus de 1 100 morts.
Je suis ministre du développement, je ne peux pas m’engager pour tous mes collègues. Je suis petit-fils de mineurs : il y a un siècle, la catastrophe de Courrières (la plus grande catastrophe minière en France, en 1906, ndlr) a permis d’avancer dans le droit social de notre pays. Celle du Rana Plaza doit avoir le même effet. Il y a eu la mondialisation des bénéfices, il faut en parallèle la mondialisation des responsabilités. Mais ce travail va nécessairement prendre du temps. Passer de la simple déclaration des entreprises à un contrôle et à une obligation de vigilance dans les relations avec leurs sous-traitants serait une première. Cela n’existe nulle part dans le monde ! Il faut examiner le cadre juridique précis.
Ce n’est pas un obstacle juridique qui a dicté votre attitude devant les députés. Bercy et la ministre du commerce extérieur Nicole Bricq sont opposés à ce devoir de vigilance.
Oui, ce sujet fait débat au sein de la majorité. J’ai une position claire, à titre personnel et en tant que ministre du développement : je considère que c’est ma responsabilité de promouvoir cette évolution législative. On ne peut pas séparer l’aide publique et les conditions du développement : on ne va pas aider les enfants à aller à l’école et ne rien faire pour sanctionner les entreprises qui ont recours au travail des enfants, les empêchant d’être scolarisés.
En fait, vous êtes comme Dominique Bertinotti qui, après l’abandon de la loi famille, en a appelé à la mobilisation de la société civile pour faire pression sur l’ensemble du gouvernement.
Quand j’étais parlementaire européen, j’ai participé à la création de Finance Watch (ONG pour la régulation de la finance, ndlr) car nous nous heurtions au fait que la volonté politique de réglementation de la finance n’était pas appuyée par un mouvement dans la société civile capable de faire du lobbying. C’est extrêmement important dans une démocratie moderne d’avoir une société civile organisée.
Est-ce pour contrer le lobbying des grands groupes qui étaient vent debout contre la RSE ?
Les entreprises privées ont eu une réaction extrêmement négative. Mais je ne veux pas en faire une question front contre front : je vais rencontrer l’Afep et le Medef.
Vous dites que ce n’était pas finalisé juridiquement. Mais c’est aussi un problème de volonté politique. En décembre, la France a défendu à Bruxelles la responsabilité solidaire des entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants dans le cadre de la directive détachement. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas la même position sur la RSE ?
Oui et c’est à l’honneur du gouvernement que d’avoir réussi à limiter le dumping social en Europe. Concernant la RSE, il ne faut pas transformer en défaite ce qui est une victoire. La RSE est désormais à l’agenda du gouvernement. C’était simplement trop tôt pour conclure. Ce n’est pas un renoncement. Quant à la comparaison avec la directive détachement, elle n’est pas entièrement pertinente car celle-ci s’applique aux entreprises françaises mais aussi à toutes leurs concurrentes dans l’espace européen. Il n’y a donc pas de problème de concurrence. Ce qui n’est pas le cas au niveau international.
La ministre Nicole Bricq veut de son côté renforcer les incitations et le rôle d’une instance pour le moment encore obscure, le point de contact national-OCDE. Cela ne suffit-il pas ?
Je n'oppose pas l'incitatif à la sanction. Pour que les incitations fonctionnent, c'est bien d'avoir la carotte et le bâton. Le Rana Plaza a montré que malgré les chartes, les engagements, les rapports, etc., les dispositifs de contrôle dans la chaîne de sous-traitance étaient insuffisants. Il ne s'agit pas de stigmatiser, mais juste de dire qu'on se donne les moyens de réaliser enfin un engagement sur la protection des droits fondamentaux.
Cette loi fixe pour la première fois les principes pour l'aide publique au développement. Mais dans un contexte budgétaire très contraint, avec 50 milliards d'économies supplémentaires d'ici 2017, que va devenir l'aide publique au développement dans les prochaines années ?
Depuis 2012, malgré un contexte budgétaire contraint, nous avons réussi à la stabiliser. Elle est passée en 2013 de 0,45 à 0,47 % du PIB. Nous avons augmenté la contribution sur les billets d'avion de 12 %, et 15 % des ressources de la taxe sur les transactions financières françaises sont affectés à l'aide au développement. Certains États ont coupé dans le budget de la solidarité internationale. D'autres, comme le Royaume-Uni, ont fait plus et atteint l’objectif de 0,7 %. Nous avons promis de revenir à 0,7 % dès que nous aurons retrouvé des marges budgétaires.
Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Vous négociez en ce moment avec Bercy le programme d'économies de chaque ministère. Pouvez-vous aujourd'hui vous engager sur une stabilisation de l'APD l’an prochain ?
Je ne peux pas m'engager sur l'avenir parce que les discussions sont en cours.
Sont-elles difficiles ?
Elles sont en cours.
Alors que des négociations entre le Niger et Areva doivent s'achever fin février, vous avez estimé lundi que les demandes du Niger d'augmenter ses recettes fiscales tirées de l'exploitation d'uranium d'Areva étaient « légitimes ». Est-ce votre position ou celle du gouvernement ?
C'est la position du gouvernement. La France soutient un accord qui intègre d’une part les revendications légitimes du Niger à avoir des recettes fiscales propres supplémentaires pour assurer son développement, et qui assure d’autre part les conditions de viabilité de l'exploitation d'Areva au Niger.
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