C’est l’une des répliques de la crise qui couve depuis de longues semaines au sein de la Caisse des dépôts et consignations et de sa filiale, la Société nationale immobilière (SNI) : des fractures apparaissent à l'intérieur de la CGT sur la stratégie syndicale à arrêter face aux mises en cause graves dont font l’objet certains dirigeants, chargés du logement social au sein de ces établissements publics.
Quand Mediapart commence à révéler, ces dernières semaines, les nombreuses dérives qui affectent la SNI, les responsables syndicaux de la CGT au sein de la Caisse, dont l’influence est importante, ne se manifestent certes pas d’emblée. Secrétaire général de l’union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, Jean-Phlippe Gasparotto ne souffle mot. Habitué de notre journal, où nous lui avons donné fréquemment la parole (lire notamment Caisse des dépôts : plaidoyer pour un cours nouveau) et où il a un blog (il est ici), il laisse au début visiblement passer l’orage.
Mais les mauvaises nouvelles s’accumulent : cooptation par le patron de la SNI, André Yché, de Thomas Le Drian, le fils du ministre socialiste de la défense ; révélation d’un référé de la Cour des comptes puis d’un rapport de la même juridiction financière qui est accablant pour la SNI et ses dirigeants ; mise en cause de fortes dérives affairistes : principal bailleur social du pays, la société est gravement mise en cause.
Sur son blog sur Mediapart, le dirigeant syndical, qui est en fait un salarié de la SNI, finit pourtant par sortir du bois et à réagir à cette actualité qui se bouscule. Et pour dire quoi ? Pour s’inquiéter de ces dérives affairistes qui minent la SNI ? Pour sonner le tocsin contre le projet de privatisation partielle que Mediapart a révélé, et qui est consigné dans le rapport secret de la Cour des comptes ? Pour s’inquiéter du projet d’absorption de la société Adoma (l’ex-Sonacotra). Non. Le patronyme Le Drian n’est pas même mentionné dans le texte de Jean-Philippe Gasparotto. De même que le nom d’André Yché n’est pas cité, alors que le PDG de la SNI est au cœur des polémiques des dernières semaines.
Si le syndicaliste est inquiet, c’est en fait… à cause de la presse. C’est après l’apporteur de mauvaises nouvelles qu’il en a et pas… après les mauvaises nouvelles elles-mêmes. « C’est pourquoi dans ce contexte, il convient d’être particulièrement attentif aux enjeux. À ce titre, on ne peut qu’être inquiet devant la véritable avalanche d’articles de presse parus ces dernières semaines et mettant en cause, sur plusieurs sujets (ICADE, ADOMA, cession de terrains défense…) tant la Caisse des dépôts que sa filiale immobilière d’intérêt public, SNI, premier bailleur social en France. En effet, si l’on peut parfaitement comprendre, que certain recrutement récent ait été contesté, que les salaires élevés des dirigeants soient pointés (nous sommes les premiers à le faire !), il peut sembler en revanche curieux d’accuser la CDC et la SNI de privatiser ou dilapider le patrimoine social et encore plus celui d’ADOMA. Alors qu’il nous semble que, au contraire, en annonçant un programme de livraison de 10 000 logements sociaux nouveaux et 10 000 logements intermédiaires cette année, elles proposent l’inverse. Ce d’autant plus, que la SNI est propriété à 100 % de la Caisse des dépôts qui est elle-même propriété de la République et démembrement de l’État », écrit-il.
Ce texte aurait-il été écrit à la va-vite ? Non ! Quelques jours plus tard, l’un des syndicats de la CGT, celui de la SNI, repart à la charge, et cible cette fois plus nettement Mediapart, dans un tract diffusé aux salariés. Même si le nom de notre journal n’est pas explicitement cité, on a tôt fait de comprendre en le lisant que s’il y a un problème dans l’entreprise, c’est par la faute de ce « déluge d’articles (dans la presse ou sur Internet) » et « d’entretiens télévisés » – allusion au live de Cécile Duflot sur Mediapart – qui a pour effet délétère de déstabiliser les salariés de la SNI.
« Autant les articles qui commentent la construction de 20 000 logements valorisent et rassurent ces mêmes salariés, autant des articles sur des recrutements, sur des pratiques, des manœuvres contestables les déstabilisent », affirme le tract qui, au passage, dans une formule alambiquée, nous reproche d’avoir ourdi quelques méchants complots en conduisant nos interpellations de Cécile Duflot de manière biaisée.
Voici ce tract :
Derrière ces critiques en crabe contre Mediapart, la gêne de la CGT de la Caisse des dépôts et consignations est pourtant transparente. Car dans toutes les sociétés du groupe, la révélation de ces dérives a déclenché des critiques syndicales quasi unanimes, dont la cible a été non pas la presse mais la direction de la SNI et de la CDC.
Parmi d’autres exemples, voici par exemple le tract de la CFE-CGC qui a été diffusé au même moment et où les choses sont dites sans détour – et avec humour ! :
La gêne est d’autant plus forte au sein de la CGT du groupe de la Caisse des dépôts que beaucoup de syndicalistes connaissent la vraie raison de cette curieuse attitude syndicale : très proche d’André Yché, qu’il rencontre fréquemment, Jean-Philippe Gasparotto en défend fréquemment le bilan, au risque de heurter ses propres camarades.
L’affaire a même eu une répercussion publique et fait des remous au sein du « Collectif pour un pôle public financier au service des droits ». Structure originale, ce collectif regroupe d’innombrables syndicats de toutes obédiences du pôle public financier (Caisse des dépôts, La Poste, Banque de France, BPCE, etc.) et de très nombreuses associations démocratiques (Attac, fondation Copernic, Droit au logement…). Car les révélations par Mediapart des nombreuses dérives affectant la société SNI, chargée du logement social, ont été vivement débattues au sein du collectif, très attaché au droit au logement des plus démunis.
L’idée a donc cheminé entre plusieurs animateurs de ce collectif, de profiter de l’émotion suscitée dans le pays par cette cascade d’affaires pour prendre une initiative afin d’obtenir la réintégration au sein de la SNI de Marc Boucoiran, un responsable de la FSU licencié par André Yché. Ces responsables du collectif ont donc décidé de préparer une pétition publique, cosignée par des militants et dirigeants syndicaux de toutes tendances, pour protester contre cette discrimination syndicale, et exiger la réintégration du syndicaliste.
La pétition va donc bientôt être rendue publique. Mais elle réservera une surprise : si elle portera la signature de toutes les sensibilités syndicales représentées au sein du collectif, et au premier chef les responsables de la CGT de nombreux établissement publics, y compris ceux d’Adoma, qui sont dans le groupe Caisse des dépôts, Jean-Philippe Gasparotto, lui, a choisi d’en faire un casus belli. Il a fait savoir qu’il ne serait pas signataire de la pétition contre la discrimination syndicale. Et même plus que cela ! Il a annoncé que son organisation prenait la lourde responsabilité d’affaiblir cette structure originale qu’est ce collectif, en s’en retirant.
Tout cela serait sans grand enjeu, si cette mini-crise syndicale était cantonnée à la seule Caisse des dépôts. Car après tout, ce n’est pas la première fois que des relations de proximité entre un patron et un syndicaliste affectent la vie sociale d’une entreprise.
Mais dans le cas présent, ce jeu d’influences est plus complexe. Car Jean-Philippe Gasparotto est aussi l’un des responsables de l’association Droit au logement (DAL). Que pensent donc ses camarades de DAL de la stratégie de recherche de « plus-values latentes » conduite à marche forcée par le patron de la SNI ? Et l'association DAL se joindra-t-elle à la pétition revendiquant la réintégration de Marc Boucoiran, un syndicaliste qui combat depuis plus de vingt ans pour le droit au logement des plus démunis ? Comme on le voit, l’affaire est moins microscopique qu’il n’y paraît…
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