Éviter à tout prix les polémiques, comme celle qui a éclaté avant Noël après la publication d’un article au vitriol du Figaro sur l'intention présumée du gouvernement de mettre en cause la loi de 2004 interdisant le voile à l’école. Sans pour autant donner l’impression de renoncer. À quelques semaines des élections municipales, surtout ne pas donner à la droite l’opportunité de taxer la gauche d’« angélisme ». Tout en faisant mine de ne pas se laisser dicter son agenda par l’opposition. Telle est l’équation que Jean-Marc Ayrault s’est évertué à résoudre lors de la réunion de ministres qu’il a présidée à Matignon, mardi 11 février dans l’après-midi, pour présenter sa « feuille de route de la politique d’égalité républicaine et d’intégration » (la consulter dans son intégralité).
Une phrase d’un conseiller de son entourage résume l’état d’esprit : « Vous pourrez interroger la droite sur chacune de ces mesures, aucune n’est susceptible de susciter de critiques. » La recherche du consensus aboutit de fait à une certaine fadeur, là encore assumée. « Vous ne trouverez rien de spectaculaire, nous recherchons une forme d’apaisement tout en affrontant les problèmes », ajoute-t-on. Malgré les chiffons rouges agités toute la semaine dans les médias ou sur les réseaux sociaux par divers représentants de l’UMP ou du FN, aucune trace de « multiculturalisme » ni de « discrimination positive » ni de « quotas » dans cet ensemble. Un exemple en matière de recrutement dans la fonction publique : « L’égalité républicaine est au centre, insiste-t-on, ce qui signifie que nous ne créons pas d’accès privilégié pour tel ou tel groupe discriminé. La logique est de pousser tout le monde pour que chacun ait le niveau. » Autre illustration : pour préparer les concours aux grandes écoles, Matignon affirme préférer le soutien scolaire et le coaching aux classes réservées aux candidats venus de quartiers marqués par la ségrégation urbaine.
Organisées en deux axes (l'accueil des nouveaux arrivants et l'égalité des droits), les 28 mesures retenues consistent principalement en une compilation de dispositions existantes ou sur le point d’être adoptées. Certaines sont inscrites dans les projets de loi sur la politique de la ville et sur l’accès au logement, d’autres dans le plan contre l’exclusion, d’autres encore dans la réforme de l’éducation prioritaire. Pas de « grande » loi à l’horizon, mais « des décrets éventuellement et des formations ». Les engagements de « renforcer » ou d’« améliorer » tel ou tel dispositif parsèment le document de 21 pages qui rappelle qu'« un Français sur trois a désormais au moins un grand parent d'origine étrangère ». « Au cours des dernières années, des politiques et des moyens ont été supprimés, qui ont contribué à semer le doute sur la force de notre modèle », indique-t-il. « La première exigence républicaine, poursuit-il, c’est l’égalité des droits, donc la lutte contre les discriminations. Mais l’égalité effective des droits n’est rien sans l’égalité stricte des devoirs, à commencer par le respect des lois. S’il est normal que la République protège les plus faibles, nul n’a le droit de déroger aux règles communes. »
Dans cette logique de « donnant-donnant », davantage de moyens devraient être dégagés pour le contrat d’accueil et d’intégration (CAI), en échange de quoi le niveau de français exigé sera relevé. Pour lutter contre les discriminations et les inégalités, les pouvoirs publics se proposent d'agir à tous les échelons. Scolarisation des enfants de moins de trois ans, plus de temps pour le suivi des élèves et le travail en équipe, davantage de moyens contre le décrochage scolaire, coopération renforcée avec les parents, déconstruction des orientations scolaires et professionnelles stéréotypées ainsi que des « mécanismes d'autocensure qui biaisent les parcours scolaires et professionnels », développement de l'offre de stages en entreprise en direction des élèves de troisième : telles sont les principales préconisations en matière d'école. Concernant l'entrée dans l'emploi, Matignon souhaite généraliser les techniques de recrutement permettant de valoriser les compétences des candidats. L'accès aux droits sociaux n'est pas oublié, pas plus que l'accès au logement. Plus de transparence dans l'attribution des HLM est ainsi promise. La fonction publique se doit d'être exemplaire, insiste le document, en matière de formation de ses agents, comme de recrutement.
La prudence se reflète dans la plupart de ces mesures. Exemple le plus frappant : le gouvernement ressort la proposition récurrente du CV anonyme, un temps présentée comme une solution miracle, puis enterrée, sans pour autant trancher. « La position du gouvernement n’est pas fixée, nous souhaitons que les partenaires sociaux en discutent », indique-t-on à Matignon. Les atermoiements se lisent surtout dans la renoncement à certaines mesures. Plus question dans cette version définitive de revaloriser l'apprentissage de l'arabe, de mettre en avant de nouvelles figures de l'immigration ou de créer un office franco-maghrébin pour la jeunesse, sur le modèle des offices franco-allemands et franco-québécois.
Le fil conducteur de cette synthèse a minima est que les questions d’intégration ne sont plus du ressort du seul ministère de l’intérieur. Sous la responsabilité du premier ministre, elles relèvent désormais de l’ensemble de l’action publique. Manuel Valls perd de facto son monopole. Mais les conséquences sont plus symboliques qu’administratives ou budgétaires. Pour mettre en œuvre sa feuille de route, Jean-Marc Ayrault a annoncé la nomination prochaine d’un délégué interministériel à l’égalité républicaine et à l’intégration. Une « structure légère », avec une « petite équipe dédiée », mais qui n’exige « pas de prélèvement massif sur tel ou tel ministère ». Sa mission, en lien avec les collectivités territoriales et les associations, est de piloter et coordonner les politiques publiques et de les évaluer. Il pourra puiser dans un fonds, au montant inconnu, pour financer des « actions innovantes » et « cofinancer des programmes de recherche ». Aucun nom n’a été dévoilé pour l’instant, mais Matignon reconnaît qu’« un certain poids politique serait un atout ». L’idée d’un haut-commissaire ou d’un ministre délégué a été écartée. « Si la nouvelle structure était trop imposante, les ministres se défausseraient », justifie l’entourage de Jean-Marc Ayrault. « On va nous reprocher soit de trop en faire, soit d’être trop prudents », anticipe-t-on.
À Beauvau, on assure ne pas être pris au dépourvu. Pour preuve : une réforme d’organigramme entreprise l’été dernier a mis fin au secrétariat général à l’immigration et à l’intégration pour le remplacer par une direction des étrangers. Le ministre de l’intérieur garde la haute main sur la politique à destination des étrangers nouvellement arrivés en France. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) reste dans son giron. L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) demeure quant à elle attachée au ministère de la ville. Le Haut conseil à l’intégration (HCI), enfin, disparaît.
Sauf à être de mauvaise foi, les élus de l’opposition ne devraient au final rien trouver à redire à cette « feuille de route ». À gauche, certains désespèrent, y compris au sein du gouvernement : « Non seulement la vision proposée n’est plus de gauche, mais elle est de droite », ironise un conseiller ministériel, en référence à l'égalité des devoirs comme préalable à l'égalité des droits.
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