Cette tentative sera-t-elle la bonne ? Alors que Jean-Marc Ayrault organise mardi une réunion interministérielle pour « refonder la politique d'intégration » (lire notre article), ce samedi à Paris, une nouvelle tentative de structuration des réseaux associatifs des quartiers populaires a vu le jour. Dans l'hémicycle du conseil régional d'Île-de-France, représentants associatifs, travailleurs sociaux et chercheurs spécialisés en démocratie participative se sont retrouvés pour entériner leur « coalition », et préparer la naissance d'une « plateforme des quartiers populaires ».
Il s'agit, entre autres, de réclamer la mise en œuvre des propositions issues du rapport de la sociologue Marie-Hélène Bacqué (de l'université de Nanterre) et du leader associatif Mohammed Mechmache (fondateur d'AC Le feu), remis il y a six mois au ministre de la ville François Lamy (lire notre entretien). Tous s'étaient rencontrés à l'occasion de la préparation de ce rapport, dans le cadre d'une « mission participation », qui a stimulé les uns et les autres, dans une « alchimie » ayant donné à chacun l'envie de poursuivre le travail, pour faire émerger un « empowerment à la française ».
Depuis trente ans et la marche pour l'égalité, aucune des nombreuses tentatives d'organisation des réseaux militants et associatifs n'a réellement débouché. La dernière en date, le Forum social des quartiers populaires (FSQP), a mis trois ans à débattre d'une constitution en parti politique (lire ici), avant de se dissoudre récemment, faute de pouvoir s'accorder. À chaque fois, réapparaissent les mêmes pommes de discorde, qui ne peuvent être surmontées : rapport aux élus, indépendance financière, légitimité des représentants des quartiers, priorité des luttes, place à donner à la discrimination, à la rénovation urbaine ou à la lutte contre l'islamophobie…
Ce samedi, les mêmes sujets sont débattus (d'abord en groupes, le matin, avant une séance plénière, l'après-midi), mais dans un cadre plus solennel et « socialement organisé ». Et les débats ne tournent pas à l'invective, par la grâce d'une animation assurée par Marie-Hélène Bacqué et Mohammed Mechmache, mais aussi par les autres membres de la « mission participation », travailleurs sociaux et chercheurs du collectif « Pouvoir d'agir ». Pour veiller à l'enchaînement des interventions, une spécialiste de « l'accompagnement des démarches participatives » fait merveille. Ainsi, quand le ton et la critique montent dans la salle, elle apaise : « OK. Quelle est ta proposition constructive ? »
Dans l'assistance, où se retrouvent tous ceux qui se sont croisés lors des consultations pour la préparation du rapport (lire ici la liste des membres de la commission), certains représentants associatifs, parmi la centaine présente (et venue de toute la France), font remarquer qu'« il y a plus de Blancs », ou notent avec méfiance la présence d'une part non négligeable de « professionnels » (travailleurs sociaux de régie de quartiers, doctorants, responsables d'associations de locataires ou de lutte contre la misère, comme ATD Quart-monde ou le Droit au logement – DAL –, le conseiller régional écologiste Jacques Picard). Au point que, dans le nom même de la « plateforme », « Ça ne se fera plus sans nous », le « nous » a fait débat. Et Marie-Hélène Bacqué de lancer alors au micro : « Est-ce que moi, parce que je suis blanche et universitaire, je ne peux pas dire “nous” ? »
En quelques minutes cependant, les différends s'estompent. Parmi les représentants associatifs, les plus anciens tempèrent les plus jeunes, notamment à propos du ressentiment anti-élus. « Je n'ai pas envie qu'on participe au “tous pourris”, et pourtant, je viens de Marseille où ils jouent en ligue des champions du clientélisme ! insiste un quadra des quartiers Nord. Il peut y avoir des élus qui ont un parcours de vie et d'engagement proche du nôtre. On ne peut pas commencer en se posant des questions sur qui on va exclure d'emblée. »
Mohammed Mechmache, qui vient d'accepter de figurer en troisième place (difficilement éligible) sur la liste d'Europe Écologie-Les Verts (EELV) aux européennes en Île-de-France (un engagement annoncé dimanche soir, dont il n'a pas parlé à la tribune), poursuit : « J'ai l'impression de revivre toujours les mêmes discussions. D'accord, dans le passé, certains ont parlé à notre place, mais désormais, on doit avancer, et aujourd'hui des gens veulent faire avec nous, pour arriver à construire quelque chose qui a toujours échoué par le passé. » Après la réunion, il achève de convaincre les sceptiques en se référant à Nelson Mandela : « Il a effacé ses rancœurs, pour avancer avec tous, ensemble. Si nous on n'essaie pas, on n'arrivera à rien. » Par rapport au FSQP, il convient qu'« il n'y a pas tout le monde », mais il se veut optimiste : « Il y en a qui ne veulent tout simplement pas de cette ouverture, mais si on continue d'avancer et que ça marche, ils nous rejoindront. » « Certains sont encore réfractaires à l'idée de l'alliance qu'on propose, mais elle progresse », se réjouit de son côté Marie-Hélène Bacqué.
Une courte motion, « minimale », a finalement été largement adoptée (lire ici), annonçant la création d'une « coordination citoyenne » des associations et collectifs « agissant dans les quartiers populaires ». Pour l'heure, le socle de revendications demeure celui des propositions du rapport Mechmache/Bacqué. Est également annoncé le lancement d'un appel soumis à pétition, pour la reconnaissance d'un « fonds de dotation pour la démocratie d’interpellation citoyenne ». Il serait financé par un prélèvement de « 10 % de la réserve parlementaire » et de « 1 % du financement des partis politiques », ce afin de briser le lien de dépendance et de clientélisme entre élus locaux et associations de quartiers.
Après plusieurs « votes de tendances », pour estimer l'ampleur réelle des controverses, finalement pas si grande, des représentants par région se sont portés volontaires et ont été désignés (en tenant compte de la présence de femmes à chaque fois), pour tenter de lever les débats ne faisant pas encore consensus. Il s'agit de préparer un « espace de représentation, d'expression et d'appui aux collectifs et associations des quartiers populaires », qui pourrait voir le jour lors d'une université d'été. D'ici là, le collectif en cours de formation pourra compter sur l'aide financière d'une fondation de charité franco-américaine (FACT), qui a accepté de continuer de prendre à sa charge les frais de déplacement et d'organisation.
Contrairement à Mohammed Mechmache, Marie-Hélène Bacqué n'a pas cédé aux demandes de rester porte-parole (« Je resterai bien sûr très présente, mais je ne suis pas une représentante associative », assure-t-elle). Elle a proposé le poste à Nicky Tremblay, avec l'aval unanime de l'assemblée. Éducatrice spécialisée en prévention et danseuse, cette figure de la mobilisation dans les quartiers veut elle aussi « dépasser les blocages qui nous ont plombés pendant trente ans » et « être une courroie de transmission pour les nouvelles générations ».
Nicky Tremblay, qui est aussi la cheville ouvrière d'une liste citoyenne à Toulouse, soutenue par plusieurs collectifs et le NPA, estime que « les divisions entre “professionnels” et “associatifs”, “blancs” et “non-blancs”, c'est exactement ce que veulent les pouvoirs en place. Ce qui doit nous animer, c'est la défense des opprimés, point. Et comme dit le proverbe africain : “Avec un seul doigt, tu ne ramasses même pas un caillou” ».
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