C’est un fait. De mémoire d’observateur, « on n’a jamais vu ça ! ». Ou plutôt si… On l’a vu la semaine dernière, et celle d’avant, mais aussi en décembre, en novembre, en octobre et en septembre. Les semaines catastrophes se sont enchaînées, comme les Jeux olympiques, elles sont allées toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus bas. Que se passe-t-il donc en Hollandie, qui chauffe à blanc la droite la plus exaltée et désespère la gauche, jusqu’à son aile la plus modérée ?
La question se pose depuis la rentrée de septembre et touche au caractère du président. Un même scénario se répète inlassablement. Premièrement, sa volonté de reconquête. Deuxièmement, un couac, qui bloque la machine et donne des armes, ainsi que des gages, à l’opposition. Troisièmement, un repli défensif de l’Élysée, qui allume les passions en croyant les éteindre.
Après l’été, François Hollande, éternel optimiste, était sûr de se refaire et disposait d’atouts. Il avait certes pris des décisions impopulaires à gauche, notamment les 20 milliards d’euros consentis aux entreprises avec le pacte de compétitivité, et fortement augmenté les impôts. Mais il pouvait justifier cette politique par les effets de la crise et par un pari social-démocrate, ou social-libéral, engagé juste après son élection au nom du redressement économique.
Cette politique pouvait être dénoncée, combattue, qualifiée de trahison par rapport à son discours du Bourget de janvier 2012, elle revendiquait une cohérence : des impôts pour boucher les trous et le pacte pour la croissance (déjà un pacte !) pour les investissements futurs…
Il n’y avait plus qu’à assumer cette posture, fermement, en espérant les résultats, notamment la fameuse inversion de la courbe du chômage. Or, qu’on le veuille ou non, ces résultats, même fragiles, mêmes faibles, même contestables, n’étaient pas totalement absents. Ce n’est pas que la France ait fait des miracles, c’est que la comparaison entre son état de santé et le cataclysme annoncé jusqu’au début de l’été ridiculisait plutôt le chœur des économistes officiels que le président de la République. Pas de quoi pavoiser, mais bon, le chômage ralentissait (un peu), les déficits se creusaient moins, le déficit du commerce extérieur, loin de se combler, cessait tout de même d’empirer.
S’il avait assumé, Hollande aurait dû remonter la pente ou tout au moins cesser de plonger. Or la chute s’est accélérée. Quand les feuilles d’impôts sont arrivées dans les boîtes aux lettres, c’est-à-dire à la veille du débat sur le Budget, l’opposition s’est déchaînée, sur le thème du ras-le-bol fiscal, monté en mayonnaise depuis le début de l’année, notamment avec l’affaire Depardieu.
Hollande aurait pu faire face. En 2012, pendant sa campagne, il n’avait pas caché que les impôts seraient alourdis : « La question n’est pas de savoir si les impôts augmenteront, mais de savoir qui les paiera », avait-il lancé dans ses meetings. De même, à l’opposition qui soufflait sur les exaspérations, il pouvait faire remarquer, sans risque d’être contredit, que cette augmentation ne datait pas de 2012, mais de son prédécesseur.
Il n’a pas tenu sa ligne. Le 19 août, sur France Inter, Pierre Moscovici se déclarait « très sensible à ce raz-le-bol fiscal », et validait ainsi le discours de l’UMP, en renonçant au sien. C’était parti pour un trimestre. Pas un jour sans une fuite dans la presse, sur telle innovation fiscale, démentie, confirmée, édulcorée, retirée, une fois les PEA, une autre les mutuelles, et à chaque concession, dans un désordre impressionnant, la montée en fureur des poussins, des présidents de clubs de foot, des routiers, des bonnets rouges, des centres équestres…
Volonté de reconquête, mais confusion sur le cap, concessions, mais suscitant d’autres révoltes, renoncements pour éviter les affrontements, mais provoquant des débordements : l’engrenage était en place.
Au mois d’août, une autre polémique venait enflammer l’été. Elle opposait Christiane Taubira, à propos de sa réforme de la justice, à Manuel Valls, le ministre de l’intérieur. Après avoir malmené sa gauche avec sa ligne économique, Hollande avait l’occasion de lui donner des gages, et des gages raisonnables. Taubira ne renonçait pas à une politique de fermeté vis-à-vis de la délinquance, mais elle pointait les impasses d’une approche uniquement répressive et tentait de mettre en place une politique moins obsédée par le tout carcéral. Hurlements mécaniques de la droite.
Hollande pouvait assumer ce débat. Il était identitaire à gauche. Il a cru bon de le renvoyer à l’après-municipales, comme si cette parenthèse allait éteindre la hargne de ses opposants. C’est le contraire qui s’est passé.Taubira a cristallisé, dans sa personne et dans sa politique, les fantasmes de la droite et de l’extrême droite la plus décomplexée. Le renvoi de sa réforme, le 9 octobre, loin de calmer les passions, les a plutôt débridées, jusqu’à l’apothéose de l’affaire raciste des bananes.
Pendant ce temps, Manuel Valls qui, quoi qu'il en dise, avait combattu la ministre de la justice et que François Hollande n’avait pas recadré, s’est senti autorisé à des sorties sur l’intégration des Roms, lesquelles ont débouché sur la catastrophique affaire Leonarda, dans laquelle, une fois encore, le président de la République s’est illustré dans « la synthèse ». Leonarda, 16 ans, pourrait rentrer en France, mais sa famille resterait au Kosovo ! Moitié-moitié. Un peu comme si, à propos de la peine capitale, Mitterrand avait choisi qu’on ne trancherait plus la tête des condamnés, mais qu’on s’arrêterait à la gorge…
Dès le milieu de l’automne, de reculs en renoncements, sans parler des plongeons dans les sondages, le climat est devenu si délétère que le changement de premier ministre a paru inéluctable. Dans cet état de faiblesse de l’exécutif, il fallait un homme fort, et l’hypothèse Manuel Valls a gagné en consistance.
C’est alors que Jean-Marc Ayrault a tenté sa relance. Tirant les leçons des désordres fiscaux, il a remis au goût du jour la fameuse « grande réforme » mise en avant par François Hollande pendant sa campagne présidentielle. Puisque plus personne ne comprenait rien au maquis fiscal français, il fallait le nettoyer.
Grand débat, grande idée, qui n’allait pas tarder à connaître le même sort que la rentrée de François Hollande. Grand 1, l’annonce, le 19 novembre, d’une ambition, qui fait de l’effet. Grand 2, le torpillage. Celui-là fut d’autant plus efficace qu’il vint du sommet de l’État. Au conseil des ministres suivant, François Hollande salua « la démarche de réunir les partenaires sociaux ». Obsèques de première classe. Pas un mot de la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, oubliée depuis lors, mais une salve d’applaudissements pour tenir une réunion !
Le 31 décembre, le président de la République annonça son nouveau « pacte », le pacte de responsabilité, qui renvoya de fait la réforme fiscale au rayon des objets impossibles. Étrange relance, la troisième en trois mois, qui était en même temps le renoncement à la deuxième, et qui ne tarderait pas à connaître le même sort que les précédentes parce qu’elle correspondait elle-même, sous couvert de réalisme, à une forme de reddition. Adieu la politique de la demande, mise en avant par la gauche, bonjour la politique de l’offre, prônée par les libéraux!
Cette fois, la reconquête a d’abord buté sur un aléa, privé celui-ci. Les photos du président casqué en visite chez sa nouvelle amie ont parasité la préparation de la conférence de presse du président.
Mais c’est le débat lui-même qui a montré ses limites, dans la foulée. Le Medef, qui promettait un million d’emplois en échange d’allègements fiscaux, disait « chiche » pour économiser les charges familiales, mais refusait soudain de chiffrer ses contreparties. Mieux encore, ou pire, les ténors du libéralisme en réclamaient davantage. Dans Les Échos de ce vendredi, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, estime que « le pacte de responsabilité est un pas dans la bonne direction, mais qu’il faudra en faire d’autres » !
Comment, dans un climat qui s’apparente au « prenant-prenant » plutôt qu’au « donnant-donnant », espérer que l’opinion accorde du crédit à un tel « pacte » ? François Hollande, dans ses vœux puis sa conférence de presse, a donc suscité les commentaires des journalistes, mais toujours pas l'adhésion de l'opinion. D’autant que les choses, une fois encore, se sont gâtées.
Les adversaires du mariage homosexuel sont redescendus dans la rue, au nom de la défense de la famille. Une manifestation notable, mais pas une déferlante. Rien à voir avec la tempête de ces derniers jours et ses vagues de quinze mètres. Mais Manuel Valls, encore lui, s’est avancé le dimanche, au nom des valeurs de la gauche, pour préciser qu’il n’y aurait aucun amendement examiné sur la PMA ou la GPA, comme s’il était le premier ministre.
Constatant les dégâts dans la majorité, Jean-Marc Ayrault a dû manger son chapeau en retirant la loi, pourtant déjà édulcorée, avant de promettre de la réexaminer, mais par appartements.
Effets et contre-effets, annonces et contre-annonces. Si François Hollande espérait refaire surface ou réduire sa navigation en eaux profondes, il s’est encore enfoncé. Les candidats socialistes aux municipales sont atterrés, ou fortement inquiets. Et l’hypothèse d’un changement de premier ministre, après les municipales, revient de plus belle.
À force de concessions, de reculs, de renoncements, de semaines catastrophiques, François Hollande a fini par donner corps aux discours de ses pires opposants. Quand ils évoquent une atmosphère de fin de règne et se demandent s’il tiendra encore trois ans, les soutiens du président, même les plus indulgents, ne savent pas quoi leur répondre…
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Etat des lieux de la messagerie chiffrée