L'instruction des juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire dans le volet financier de l'affaire Karachi touche à sa fin. Après plus de trois ans d'enquête, les deux magistrats anticorruption ont signé, vendredi 7 février, une ordonnance de 168 pages au terme de laquelle ils demandent à la Cour de justice de la République (CJR) de se saisir des cas de l'ancien premier ministre Édouard Balladur et de son ministre de la défense François Léotard. Ils sont tous les deux soupçonnés d'avoir pris une part active dans un vaste système gouvernemental de détournement d'argent sur des marchés d'armement avec le Pakistan et l'Arabie saoudite.
Dans le même temps, les deux juges ont signé une deuxième ordonnance estimant que Nicolas Sarkozy, ministre du budget au moment des faits, ne pouvait être entendu comme simple témoin, « au vu des éléments et des témoignages » recueillis durant leur enquête. Les magistrats recommandent pour M. Sarkozy un statut de témoin assisté à la CJR, seule juridiction habilitée à juger les délits commis par des ministres dans l'exercice de leurs fonctions.
Bizarrerie du droit français, le statut de témoin assisté consacre le fait qu'il existe des indices contre quelqu'un dans un dossier judiciaire, mais que ceux-ci ne sont pas suffisamment « graves et concordants » pour justifier une mise en examen. Ce sera donc in fine à la CJR de trancher le cas Sarkozy.
Selon des documents de l’enquête consultés par Mediapart, 82,6 millions d’euros ont été versés, entre 1993 et 1995, à un réseau d’intermédiaires formé par les hommes d’affaires Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir, imposés par le gouvernement Balladur dans des négociations de vente d'armes internationales. Et d’après les documents comptables (rapports financiers, comptes bancaires, déclarations fiscales) réunis par la Division nationale des investigations financières (DNIF), 32,4 millions d’euros ont été versés avant le 23 avril 1995, jour du premier tour de l’élection présidentielle pour laquelle avait concouru le premier ministre Édouard Balladur.
Quatre marchés d’armement conclus entre 1993 et 1995 avec deux pays étrangers – un avec le Pakistan et trois avec l’Arabie saoudite – sont dans le viseur des juges. Les magistrats suspectent qu’une partie de cet argent noir a pu alimenter des financements politiques occultes, notamment la campagne présidentielle d’Édouard Balladur, voire d’éventuels enrichissements personnels.
L'enquête a notamment permis d'établir qu'en tant que ministre du budget, Nicolas Sarkozy avait autorisé le versement de commissions occultes, contre l'avis de sa propre administration, dans le cadre d'un contrat avec l'Arabie saoudite, baptisé Mouette.
À côté des responsabilités politiques dans ce dossier, que devra traiter la CJR, les juges Van Ruymbeke et Le Loire ont déjà mis en examen plusieurs protagonistes de ce fric-frac d’État. Parmi eux : Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet d’Édouard Balladur, Thierry Gaubert, conseiller de Nicolas Sarkozy à Bercy, et Renaud Donnedieu de Vabres, ancien conseiller spécial de François Léotard. Les marchands d'armes Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir, par lesquels ont transité les fonds occultes, sont également mis en examen.
Les magistrats instructeurs devraient décider dans les prochaines semaines de leur renvoi devant un tribunal correctionnel pour un grand procès, mais sans responsable politique de premier plan.
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