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Pétrole contre nourriture : le jugement qui blanchit Total, Margerie et Pasqua

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On le pressentait pendant les débats, on en est certain à la lecture du jugement : la justice française est très mal outillée pour traiter les affaires de corruption internationale. La relaxe générale prononcée ce lundi, après quatre mois de réflexion, par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire « pétrole contre nourriture » fait les affaires du groupe Total, de son PDG, Christophe de Margerie, ainsi que de Charles Pasqua et des dix-sept autres prévenus (lire le jugement ici en format PDF et sous l'onglet "prolonger", l’essentiel se trouvant entre les pages 419 et 433).

Christophe de MargerieChristophe de Margerie© (DR)

En fait, la XIe chambre correctionnelle, présidée par Agnès Quantin, a fait siens quasiment tous les arguments de défense des prévenus. S’il y a bien eu des pots-de-vin, des paiements de commissions occultes et des millions de barils vendus sous le manteau pendant l’embargo visant l’Irak de Saddam Hussein, entre 1996 et 2003, tout cela ne serait pas constitutif d’infractions pénales en droit français, comprend-on.

Les barils offerts aux amis de Charles Pasqua, hommes d'affaires et diplomates ? « Il ne saurait y avoir de trafic d’influence si les allocations ont été attribuées à une personne physique en remerciement d’une action passée, sans que ce mode de remerciement ait fait l’objet d’un accord préalable ou sans que l’allocataire promette d’autres actions pour l’avenir », juge le tribunal.

© (DR)

Les barils promis à Charles Pasqua ? « La preuve n’est pas rapportée que Charles Pasqua ait par la suite eu connaissance que cette proposition soit devenue une réalité, l’hypothèse d’une utilisation du nom de Charles Pasqua à son insu, par un tiers, tel Bernard Guillet (un lieutenant de Pasqua, ndlr) ou Elias Firzli (un intermédiaire, ndlr), ne peut être écartée », tranche le jugement.

© (DR)

Les abus de biens sociaux reprochés à Total ?  « Ce n’est pas en lui-même le paiement des commissions à Elias Firzli qui pouvait exposer la société Total à un risque anormal de sanctions pénales ou fiscales, mais le circuit utilisé pour procéder à ce paiement, à savoir le recours aux comptes bancaires de la société Telliac. » Or, pas de chance, « ce n’est pas le recours à ce circuit qui, aux termes de l’ordonnance de renvoi, a été retenu comme contraire à l’intérêt social de la SA Total »...

© (DR)

Enfin, les faits de « corruption active d’agents publics étrangers » reprochés à Total et à Christophe de Margerie sont écartés eux aussi. « Il ne peut être soutenu que les personnes poursuivies aient cédé à un agent public étranger au sens de l’article 435-3 du Code pénal », écrit le tribunal.

Et d'ailleurs, lit-on encore, « la corruption suppose l’enrichissement personnel du corrompu ; or, en l’espèce, il n’a pas été démontré qu’un agent public étranger, personne physique, se soit personnellement enrichi, étant observé qu’il a été rappelé que les prévenus ont tous indiqué que selon eux, c’est bien l’État irakien qui profitait des surcharges, ce qui a été confirmé par la commission d’enquête indépendante ».

Certes, l’affaire « pétrole contre nourriture » est un vieux dossier  (il remonte à 1996), qui a souffert de plusieurs changements de textes législatifs, rendant le cours de l’instruction complexe, et les poursuites compliquées.

Mais la relaxe générale prononcée ce lundi constitue une défaite cuisante pour les juges d’instruction du pôle financier : neuf ans d'instruction et 66 tomes sont anéantis (c'est l'alors juge Philippe Courroye qui avait démarré le dossier, avant que Serge Tournaire le reprenne, et finisse par le boucler). Inutile de dire qu'il s'agit aussi d'une victoire des puissants intérêts et des cabinets d’avocats d’affaires présents en défense, dont celui de Jean Veil.

Au passage, il s’agit également d’une forme de désaveu pour le parquet, qui avait requis la condamnation de Total et de Christophe de Margerie en février dernier (lire notre article ici). Le parquet de Paris n'a pas encore annoncé s'il faisait appel de ce jugement.

Pourtant, des dignitaires du régime de Saddam Hussein se sont bien enrichis sur le dos des compagnies pétrolières occidentales pendant que le peuple irakien manquait de tout. C’est établi. Le groupe français Total n'était pas le dernier à essayer de contourner le programme onusien d'embargo partiel « pétrole contre nourriture », en ayant recours à de discrets intermédiaires et au paiement de non moins discrètes commissions.

Oui, l'affaire est moralement choquante. Mais face à plusieurs problèmes de droit, au caractère international du dossier, aux enjeux économiques et à l'ancienneté des faits, le parquet de Paris a déjà changé d'avis plusieurs fois sur certains points du dossier, le moindre n'étant pas le sort de Total et de son PDG. La défense a fait son travail, et s'est engouffrée dans toutes les brèches.

Résultat : aujourd'hui, pour le tribunal, ces recours aux pots-de-vin, commissions occultes et sociétés écrans ne sont pas condamnables en droit. Il faut croire que certains pots-de-vin sont plus légaux que d'autres. Seuls les esprits chagrins en concluront qu’il existe bien une justice à plusieurs vitesses, rapide et sévère avec les faibles, lente et indulgente avec les puissants.

Toutefois, Total et son PDG n'en ont pas fini avec la justice. Le 16 mai dernier, le parquet de Paris a requis le renvoi devant le tribunal correctionnel de Total SA pour « corruption active d’agents publics étrangers », et de son PDG, Christophe de Margerie, pour « abus de biens sociaux » et « corruption active d’agents publics étrangers », ainsi que de deux ressortissants iraniens, Abbas Yazdanpanah Yazdi et Bijan Dadfar, au sujet d’importants contrats gaziers et pétroliers en Iran (lire notre article ici).

Lire également sous l'onglet Prolonger.

BOITE NOIREJ'ai assisté à quasiment tous les débats du procès “pétrole contre nourriture”, qui s'est déroulé du 21 janvier au 20 février au tribunal correctionnel de Paris. Les grands médias ne se sont guère passionnés pour ce procès : la plupart n'ont, en fait, couvert que l'ouverture des débats et le réquisitoire.

PROLONGER Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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