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Financement de la présidentielle: faut-il créer une peine d'inéligibilité?

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Nicolas Sarkozy est de retour, au moins au siège de l’UMP, où il doit s’exprimer lundi devant un bureau politique extraordinaire, plus décomplexé que jamais. L’appel aux dons lancé jeudi par le parti, rebaptisé « Sarkothon », aurait déjà récolté plus de 1,5 million d’euros. Paradoxalement, l’invalidation de son compte de campagne par le Conseil constitutionnel (qui le prive d’un remboursement de 10,6 millions d’euros et le condamne à verser 516 000 euros au Trésor public) offre à l’ancien président l’occasion de rappliquer à grands coups de menton et de ravaler ses rivaux au rang de simples “supporters”.

Ce fric-frac politique est à peine croyable : dans n’importe quelle autre élection (législative, cantonale ou municipale), les irrégularités relevées dans son compte lui auraient valu une peine d’inéligibilité automatique. Mais à la présidentielle, rien de tel : « C’est la seule élection où les candidats, même en cas de fraudes, ne risquent aucune inéligibilité, rappelle le trésorier du PS, Régis Juanico. Peut-être faudrait-il corriger cette anomalie pour l’avenir… Après des années de laxisme dans le contrôle du financement, après le tripatouillage sur le compte Balladur en 1995, ce serait sans doute une étape supplémentaire dans la responsabilisation. Mais franchement, je ne sais pas. »

La socialiste Corinne Narassiguin livre un avis plus tranché, lié à son expérience personnelle : élue députée en juin dernier, elle a perdu son siège quand son compte de campagne a été rejeté (pour des raisons mineures), écopant d’un an d’inéligibilité. Interrogée sur le cas Sarkozy, elle pointe une inégalité de traitement et juge l’absence de risque d’inéligibilité à la présidentielle « injustifiable », « alors que les tentatives de manipulation du scrutin, notamment par le dépassement du plafond des dépenses, peuvent avoir des conséquences graves pour le pays tout entier ».

Nicolas Sarkozy.Nicolas Sarkozy.© (Reuters)

Dans son rapport de fin 2012, la commission Jospin sur « la rénovation et la déontologie de la vie publique » dénonçait également cette « différence de traitement difficilement justifiable sur le plan des principes ». Dérogatoire au droit commun, le régime de sanctions strictement financières prévu pour les candidats à la présidentielle n’est « absolument pas satisfaisant sur les plans juridique, démocratique, éthique », insiste Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public à l’université Bordeaux IV et membre de la commission Jospin. « Pour eux aussi, il y a une obligation de vertu. »

Si l’absence d’inéligibilité n’a jamais fait débat jusqu’ici, c’est qu’aucun gros candidat n’avait encore vu son compte rejeté par le Conseil constitutionnel – seuls Jacques Cheminade et Bruno Mégret ont subi les foudres des « Sages » en 1995 et 2002. « Le Conseil venant de franchir le Rubicon, il paraît nécessaire de se poser aujourd’hui la question », note Ferdinand Mélin-Soucramanien.

Nombre de juristes seraient favorables, dans l’absolu, à l’introduction d’une peine d’inéligibilité en cas de rejet du compte, mais la mise en pratique se heurte à un obstacle quasi insurmontable. S’il est facile d’imaginer que les « Sages » puissent infliger trois ans d’inéligibilité à un candidat battu, il paraît en effet impossible de les autoriser à démissionner le gagnant, déjà installé à l’Élysée.

Quelques constitutionnalistes ont bien réfléchi à la possibilité, dans ce cas, de geler la peine d’inéligibilité le temps que le nouveau chef de l’État termine son mandat, mais l’autorité présidentielle de ce dernier serait trop émoussée, et la sanction perdrait tout son sens dans l’hypothèse d’un président élu pour la seconde fois (puisque la Constitution interdit un troisième mandat).

« C’est vraiment compliqué, résume Jean-Claude Casanova, membre de la commission Jospin et président de la Fondation nationale des sciences politiques. Autant on peut admettre qu’un juge, en cas de financement irrégulier, désapprouve un électorat local et mette fin au mandat d’un conseiller régional ou d’un député, autant permettre au Conseil constitutionnel de désapprouver l’électorat national me paraît une étape difficile à franchir. Regardez déjà les réactions aujourd’hui… »

La loi pourrait-elle prévoir une inéligibilité uniquement pour les perdants ? « Non, on ne peut pas instaurer un dispositif à deux vitesses qui sanctionne le battu mais amnistie l’élu », balaye Jean-Claude Casanova. « Non seulement ça n’aurait pas de sens juridiquement », complète Bastien François, conseiller régional écologiste et professeur de science politique, cofondateur de la Convention pour la sixième République, « mais ça veut dire qu’il y aurait encore plus de risques pour les candidats à ne pas gagner ; ça inciterait à fauter. »

Reste donc à trouver une instance suffisamment légitime pour prononcer une peine d’inéligibilité à l’encontre d’un président de la République fraîchement élu. « Il n’y a que le suffrage universel qui puisse arrêter le suffrage universel, rappelle Ferdinand Mélin-Soucramanien. On pourrait donc envisager, dans l’hypothèse où le compte rejeté serait celui du gagnant, que le Conseil constitutionnel fasse appel au Parlement constitué en Haute cour. » C’est d’ailleurs la proposition avancée fin 2012 par la commission Jospin.

« Le Conseil constitutionnel notifierait sa décision aux présidents des deux assemblées, lesquelles mettraient en œuvre ou non la procédure de destitution », résume Julie Bénetti, professeur de droit public à l’université de Reims et membre de la commission Jospin. À ses yeux, cette procédure ne serait légitime qu’en cas de « fraudes graves » dans le financement de la campagne et pas seulement d’« irrégularités » (comme dans le cas de Nicolas Sarkozy).

Cette réforme nécessiterait sans doute une modification de la loi organique sur le financement des campagnes présidentielles, ainsi qu’une réécriture de l’article 68 de la Constitution, qui ne prévoit pour l’instant la destitution du président de la République qu’« en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

Ferdinand Mélin-Soucramanien estime qu’il faudrait revoir plus largement le panel des sanctions disponibles dans l'arsenal du Conseil constitutionnel. « Aujourd’hui, le Conseil n’a pas la possibilité de moduler ses sanctions financières : c’est tout ou rien. Si le compte de campagne est rejeté, même pour un dépassement mineur du plafond des dépenses, c’est tout le remboursement des frais de campagne qui est refusé. » L’objectif est clair : dissuader les candidats de tricher. « Mais cette absence de gradation, de proportionnalité, a un revers, remarque le juriste. C’est ce qui a retenu la main du Conseil en 1995, quand il a validé les comptes d’Édouard Balladur et de Jacques Chirac, pourtant en dépassement. Cette absence de proportionnalité pose en plus un problème au regard du droit européen. »

L’ancien « Sage » Jacques Robert, qui a dénoncé les « tripatouillages » auxquels le Conseil et lui-même se sont livrés en 1995, sous la houlette de Roland Dumas, pour mettre un tampon sur les comptes truqués d’Édouard Balladur et de Jacques Chirac, acquiesce. « Il faut réformer la totalité du système de contrôle et de sanction de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, ça ne fonctionne pas bien. » Interrogé sur la création d’une peine d’inéligibilité pour la présidentielle, Jacques Robert fait la moue : « De toutes façons, il ne faudrait plus donner le contrôle de l’élection au Conseil, dit-il. Ça n’est pas son job. Son job, c’est le contentieux de la loi. »

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