À l’heure où l’État veut moderniser le droit de l’environnement, pour renforcer la protection de l’écosystème mais aussi faire le contraire en facilitant « la réalisation des projets d’intérêt économique et social », étudier quelques batailles judiciaires emblématiques se révèle être un exercice fort instructif.
C’est ce que propose l’avocat Christian Huglo dans un livre de souvenirs et d’analyse juridique, Avocat pour l’environnement (LexisNexis). Depuis le début des années 1970, il s’est engagé dans d’innombrables affaires judiciaires : « boues rouges » en Méditerranée, marée noire de l’Amoco Cadiz, mines de potasse d’Alsace, plusieurs centrales nucléaires (Belleville, Cattenom, Creys-Malville…). Un travail mené conjointement avec son associée et épouse, Corinne Lepage. Leur cabinet, aujourd’hui composé d’une vingtaine de personnes, continue de batailler par les recours et dans les prétoires, au sujet par exemple de la centrale nucléaire de Fessenheim.
Raconté à la première personne, le livre entremêle les souvenirs personnels et l’analyse juridique. Il permet de mesurer l’ampleur de la tâche accomplie en près de 40 ans : « À l’époque à laquelle j’ai débuté ma profession d’avocat, à la fin des années 1960, le mot “environnement” n’existait pas », indique-t-il en début d’ouvrage. En 2013, les questions juridiques occupent une place centrale dans plusieurs conflits environnementaux de premier plan, comme pour les gaz de schiste (voir ici) et le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (lire ici). « Le droit de l’environnement est très mouvant », explique Huglo, qui insiste par exemple sur le récent arrêt de la Cour de cassation reconnaissant le « préjudice écologique » dans l’affaire de l’Erika.
Au-delà des anecdotes dont fourmille le livre, il est porté par un propos général beaucoup plus politique : la bataille permanente contre l’État. « D’une certaine façon l’État se moque du monde, explique Christian Huglo, il n’a jamais défendu spontanément l’environnement. Il m’a très souvent mis des bâtons dans les roues, dans l’affaire des boues rouges de Montedison, comme dans celle de l’Amoco Cadiz et d’autres. En définitive il n’agit que contraint et forcé. »
C’est peut-être dans l’affaire de l’Amoco Cadiz, ce pétrolier libérien appartenant à la flotte d’une filiale de la Standard Oil qui a répandu 220 000 tonnes de pétrole brut au large de la Bretagne en mars 1978, que le comportement de l’État paraît rétrospectivement sidérant. Car cette marée noire est considérée comme l’une des plus graves catastrophes écologiques survenues en France. Et le procès intenté par les responsables locaux bretons permit d’obtenir, pour la première fois, la reconnaissance de la responsabilité d’une maison mère dans les agissements de ses filiales, une victoire juridique certaine.
Pourtant, à l’époque, dans cette France de la fin de l’ère giscardienne, « l’État français, plus exactement son gouvernement, s’est opposé, soit directement soit indirectement, à toutes les initiatives que j’ai prises pour rendre ce procès possible et susceptible de succès », écrit-il. Il rapporte ainsi cette incroyable réaction du ministre de l’environnement, Michel d’Ornano : « De toute façon, c’est avec des gens comme vous que nous allons perdre les élections. » Commentaire de l’avocat : « Nous étions à la veille des élections présidentielles de 1981, mais ce n’était tout de même pas notre faute si le président de la République n’avait pas daigné se rendre en Bretagne après la catastrophe. »
Quelques années plus tard, à Chicago, à l’occasion du procès qui va reconnaître l’ampleur du dommage subi par les côtes bretonnes et la responsabilité de la Standard Oil, il entend le consul de France confier « son profond regret s’agissant du but de notre déplacement. Pour lui il était absolument invraisemblable que l’on fasse un procès à cette grande société américaine dont le président, son voisin de palier, était un homme honorable, tout à fait remarquable ».
Quant au nucléaire, il note que « le nucléaire civil s’est fait sans les Français et sans le droit. La charte de l’environnement intervenue en 2005 ne pourrait pas aujourd’hui autoriser un tel système juridique ».
Souvenirs d’avocat à valeur essentiellement historique ? L’exécutif socialiste veut aujourd’hui mettre en œuvre un choc de simplification visant à alléger toute une série de procédures administratives. Dans ce contexte, l’ouvrage de Christian Huglo sonne comme une utile piqûre de rappel sur la nécessaire vigilance dont les citoyens doivent faire preuve quand l’État se mêle de droit et d’environnement.
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