Un procès sans précédent s’ouvre mardi matin devant la cour d’assises de Paris. Pascal Simbikangwa, un Rwandais de 54 ans, est accusé de complicité de crimes contre l’humanité et complicité de génocide. Il risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Ce rendez-vous judiciaire d’importance, qui survient vingt ans après le génocide rwandais, doit se dérouler sur sept semaines, du 4 février jusqu’au 28 mars. Il doit être le premier d’une série de procès d’anciens dignitaires du régime rwandais impliqués dans les événements de 1994. C’est en effet le premier procès du pôle « génocides, crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre », qui a été créé en janvier 2012 au tribunal de grande instance de Paris, et instruit actuellement plusieurs dossiers, pas uniquement rwandais (lire notre article sur l’Irak ici).
À la lecture de l’ordonnance de mise en accusation (un document de 64 pages) signée le 29 mars 2013 par les juges d’instruction Emmanuelle Ducos et David De Pas, le procès qui va s’ouvrir mardi s’annonce assez difficile, en raison de l’éloignement dans le temps et dans l’espace, et de la disparition de nombreux acteurs et spectateurs des atrocités, cela même si une cinquantaine de témoins ont été cités (dont les quatre cinquièmes par le parquet).
Né en décembre 1959, Pascal Simbikangwa a fait carrière dans l’armée et les services de renseignement rwandais, parvenant au grade de capitaine. En poste à la gendarmerie au début des années 80, il est devenu membre de la garde présidentielle quand, en 1986, un grave accident de voiture le laisse paraplégique.
Il est ensuite affecté au bureau G2, chargé du renseignement militaire, de l’état-major de l’armée rwandaise à Kigali. En 1988, il devient directeur au Service central du renseignement (SCR), qui est rattaché à la présidence rwandaise jusqu’en 1992.
Selon la justice rwandaise, Simbikangwa faisait partie des « escadrons de la mort » chargés d’empêcher le processus de démocratisation en marche depuis les accords d’Arusha, en août 1992, et qui assassinaient des opposants au président Habyarimana avant le déclenchement du génocide en 1994.
Il est considéré comme un proche du régime, un homme influent, par ailleurs cofondateur et actionnaire de la Radio-télévision des mille collines (RTLM), dont le rôle dans le génocide a été établi (lire l'article de Joseph Confavreux ici).
Le capitaine Simbikangwa a été arrêté sous une fausse identité, le 28 octobre 2008 à Mayotte. Il était recherché par les autorités rwandaises et par Interpol en raison de son rôle pendant le génocide. En vertu de la loi du 22 mai 1996, qui a adapté en droit français la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies, les juridictions françaises sont compétentes pour le juger. Une information judiciaire a donc été ouverte contre lui par le parquet de Paris, le 9 avril 2009.
Pascal Simbikangwa est poursuivi pour des faits commis entre avril et juillet 1994, au pire de la folie génocidaire qui a fait 800 000 victimes en trois mois, selon l'ONU, dans ce petit pays de onze millions d’habitants.
En droit, il lui est reproché « de s’être, sur le territoire du Rwanda notamment à Kigali et dans la préfecture de Gisenyi entre avril et juillet 1994, rendu complice d’atteintes volontaires à la vie et d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique des personnes, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, en l’espèce le groupe ethnique tutsi, en aidant et en assistant sciemment les auteurs desdits actes afin d’en faciliter la préparation ou la consommation, et en se donnant des instructions pour les commettre ».
Il lui est également reproché « de s’être, sur le territoire du Rwanda notamment à Kigali et dans la préfecture de Gisenyi entre avril et juillet 1994, rendu complice d’une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires et d’actes inhumains, inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisée en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile, en l’espèce la population tutsie, en aidant et assistant sciemment les auteurs desdits actes afin d’en faciliter la préparation ou la consommation, et en donnant des instructions pour les commettre ».
Quatre personnes ont, par ailleurs, accusé Simbikangwa en personne de les avoir torturées. Il a donc également été mis en examen pour des faits qualifiés d’« actes de torture et de barbarie ». Mais ces faits ayant été commis entre 1990 et 1994, ils sont aujourd’hui prescrits et ne peuvent donc être jugés (à la différence des génocides et des crimes contre l'humanité, qui sont imprescriptibles).
Pour ce qui est de l’accusation principale, plusieurs témoins ont assuré que Simbikangwa avait d’abord entraîné des génocidaires et leur avait fourni des armes.
Plusieurs témoignages détaillés et recoupés attestent en effet qu’à partir du 6 avril 1994, jour où débute le génocide immédiatement après l’attentat contre l’avion du président rwandais, le capitaine Simbikangwa a donné des instructions et distribué des armes aux militaires et miliciens hutus postés sur les barrages édifiés dans son quartier de Kiyovu, à Kigali. Des barrages où ceux qui étaient considérés comme tutsis ou « inyenzi » (« ennemis ») étaient le plus souvent abattus sommairement, femmes et enfants compris.
Ces témoignages, nombreux, émanent soit de personnes que Simbikangwa avait hébergées chez lui pour les protéger, soit de gardiens des résidences du quartier, ou encore d’ex-militaires ayant participé aux massacres et déjà jugés. Selon ces témoins, Simbikangwa, qui inspirait la peur, franchissait les barrages à sa guise, donnait des ordres, et stockait des armes à son domicile.
Pour les juges d’instruction, « il résultait ainsi de ces développements que Pascal Simbikangwa avait contribué aux crimes commis contre les Tutsis à Kigali en fournissant des armes et des instructions aux auteurs desdits crimes ».
La seconde partie du dossier concerne les massacres commis à partir du 8 avril 1994 sur la colline de Kesho, dans la région de Gisenyi. Depuis plusieurs années, les Tutsis avaient pris l’habitude de se réfugier en nombre sur cette colline pendant les périodes de troubles, échappant ainsi aux pogroms.
Après l’attentat contre Habyarimana, plusieurs milliers d’entre eux s’étaient abrités sur cette colline, mais ils y ont été attaqués sans merci par l’armée et les miliciens hutus lourdement armés. Ce massacre a fait plus de 1 500 victimes.
Plusieurs témoins ont affirmé que le capitaine Simbikangwa s’était rendu sur place, sur la colline de Kesho, et avait dirigé les opérations. Quelques-uns prétendant même qu’il se déplaçait avec des béquilles. Mais le caractère tardif de ces témoignages, et plusieurs contradictions relevées lors des constatations opérées sur place par les gendarmes et les magistrats français ont abouti à un non-lieu quant à sa participation directe à ces crimes.
Reste que pour la justice française, l’érection de barrages dans les rues de Kigali, les instructions données et les massacres qui s’y sont opérés entraient dans un plan concerté visant à exterminer les Tutsis en tant que tels.
« Ainsi des civils tutsis ont été tués ou ont subi d’autres actes de violence en masse et de façon systématique, notamment aux barrages établis dans le but de les identifier et de les éliminer. Bras armés d’une campagne dirigée contre les Tutsis de l’intérieur, organisée ou facilitée par les pouvoirs publics, les gardiens des barrières et autres auteurs de ces crimes étaient animés d’une intention génocidaire entretenue quotidiennement par la RTLM et les encouragements de personnalités politiques », écrivent les juges d’instruction dans leur arrêt de renvoi.
Selon eux, « les faits reprochés à Pascal Simbikangwa sont constitutifs d’actes de complicité par aide ou assistance, en donnant des armes et par fourniture d’instructions ».
En outre, « les passages fréquents de Pascal Simbikangwa sur les barrages de Kigali et les précautions qu’il a lui-même entendu prendre pour protéger certains Tutsis appartenant à son entourage montrent qu’il connaissait l’existence des actes violents commis à l’encontre de ce groupe, le contexte général dans lequel ces actes s’inscrivaient, et l’intention génocidaire de leurs auteurs ».
L’accusé, qui est défendu par les avocats parisiens Alexandra Bourgeot et Fabrice Epstein, proteste farouchement de son innocence. Face à lui, outre le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, la LDH, la FIDH, la Licra et Survie seront également présentes au procès.
Lire l'ordonnance de mise en accusation ici et sous l'onglet Prolonger
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Google Glass : la fin des mots de passe?