Mine de rien, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault vient d’introduire une nouveauté dans le fonctionnement de la République. En repoussant à 2015, et sans doute à plus jamais, l’examen de la loi sur la famille, il a porté sur les fonts baptismaux la notion d’amendement interdit.
Jusqu’à ce matin, le débat était électrique mais finalement habituel. D’un côté un gouvernement, de l’autre des opposants qui descendent dans la rue, et entre eux un parlement composé d’une majorité et d’une opposition.
Hier, la “Manif pour tous” a été importante mais sans plus, entre 80 000 et 500 000 personnes à Paris, soit deux fois moins que l’année dernière, mais virulente dans les mots d’ordre. On pouvait donc s’attendre à des esquives, côté pouvoir, et des attaques dans les rangs de l’opposition. Le rituel républicain, en quelque sorte, qui permet d’ouvrir des débats, puis de les trancher en les mettant au vote.
Il se trouve que le dossier de Dominique Bertinotti, la ministre de la famille, ne cassait pas, comme on dit, trois pattes à un canard. Ni la procréation médicalement assistée, ni la gestation pour autrui, dénoncée par avance par les manifestants d’hier, ne figuraient dans son texte. Comme le disaient les ministres montés au front la semaine dernière, il y avait plus de fantasmes que de revendications concrètes dans un mouvement d’abord motivé par un désir de revanche sur le mariage homosexuel.
Théoriquement, même à six semaines des élections municipales, cet épisode tenait de la tempête dans un bénitier, plutôt que de l’affaire d’État. C’est là que les choses ont dérapé.
Au nom de l’Autorité, l’Autorité s’est diluée... (voir La droite réac fait plier le gouvernement)
Le ministre de l’intérieur Manuel Valls a cru utile de taper du poing sur la table, non pas pour impressionner ses adversaires, mais pour mettre au pas les députés socialistes. « Si d’aventure des amendements parlementaires venaient à se greffer sur le projet de loi sur la famille, s’est-il écrié sur RTL, le gouvernement s’y opposerait ! »
Le couac était enclenché. Le chef de file des députés socialistes à l’Assemblée a naturellement rejeté ce propos qui effaçait le droit d’amendement d’un coup de menton, et prévenu que le groupe prendrait les choses en main. Dans la foulée Jean-Marc Ayrault, soucieux de cohésion, et de ne pas paraître absent, a soutenu le ministre de l’intérieur. La bataille entre la Manif pour tous et le pouvoir venait de tourner à la mêlée entre le gouvernement et ses parlementaires !
En milieu d’après-midi, le débat était clos. Plus de loi au printemps, et pas d’avis du comité d’éthique avant 2015, comme si ce texte était une forme de péché. L’idée d’ouvrir au Parlement un débat peut-être délicat, mais républicain, venait de céder la place à une préoccupation plus conforme aux canons des marcheurs de ce dimanche : ne pas commettre un sacrilège...
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Google Glass : la fin des mots de passe?