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Marseille: derrière les bons chiffres, des trafics qui perdurent

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Depuis décembre 2012, le tout nouveau préfet de police de plein exercice de Marseille, Jean-Paul Bonnetain, a entrepris de reconquérir l’une après l’autre 39 cités, en y concentrant l’action des forces de l’ordre afin de faciliter le travail d’autres intervenants (bailleurs, police municipale, Urssaf, Caf, associations de prévention, éducation nationale, Pôle emploi, etc.). Un travail sur le long terme qui rompt avec les opérations « coup de poing » et l'approche bulldozer du précédent gouvernement. Pari impossible ? Trente et une cités ont déjà fait l’objet de cette « approche globale », fer de lance de l’action du gouvernement Ayrault dans la métropole.

Lundi 27 janvier 2014, le ministre de l’intérieur Manuel Valls, qui dit vouloir rompre avec la « politique du chiffre », ne s’est pas privé d’en égrener quelques-uns... juste avant d'assister au lancement d'une de ces opérations policières à la cité Picon-Busserine (14e arrondissement). Pour la ZSP nord, les violences aux personnes enregistrées par la police ont diminué de 17,4 % (de 7 022 en 2012 à 5 803 en 2013) et les atteintes aux biens de 9,3 % (19 778 à 17 944). Dans la ZSP sud, cette baisse est de 10,4 % pour les violences (2 280 à 2 043) et de 15 % pour les atteintes aux biens (8 296 à 7 053). Le tout au prix d'un véritable quadrillage : près de 1 000 journées de présence policière, 71 058 personnes et 49 554 véhicules contrôlés dans les deux ZSP depuis un an. Quelque 450 épaves ont été enlevées. Les forces de l'ordre ont saisi 313 kilogrammes de cannabis, 3 kilos de cocaïne, 42 armes, et 1,7 millions d'euros en liquide. On pourrait continuer longtemps cette litanie de chiffres, mais elle ne dit finalement pas grand-chose sur l’impact réel pour les habitants.

La cité des Oliviers quadrillée par les policiers pour la venue du ministre, le 14 août La cité des Oliviers quadrillée par les policiers pour la venue du ministre, le 14 août © LF

Selon une note de la préfecture de police, ses partenaires constatent « plus de sérénité au niveau des résidents de plusieurs cités traitées, un impact réel sur le comportement des trafiquants qui se montrent – sauf exceptions – moins agressifs, ainsi qu’un ressenti très positif des actions destinées à améliorer le cadre de vie, notamment l’enlèvement massif des épaves par la police municipale ». Une centaine de contrats d'avenir, mesure phare de la politique d'emploi de François Hollande, ont été signés (sur 4 232 signés dans les Bouches-du-Rhône au 31 janvier 2014, dont 1 762 prescrits par la mission locale de Marseille). Une trentaine de chantiers éducatifs et une douzaine de chantiers d'insertion ont été lancés. Mais le volet social semble à la traîne. Comme l’ont raconté Marsactu et le Monde, les conseillers marseillais de Pôle emploi rechignent à tenir des permanences dans les centres sociaux des quartiers difficiles. La préfecture de police compte désormais sur le plan d'aide annoncé en novembre 2013 par le premier ministre Jean-Marc Ayrault pour mener des « actions plus massives en faveur de l’emploi » et une meilleure coordination contre le décrochage scolaire.

Également au programme : l’installation de caméras de vidéosurveillance et la prise en compte de « la dimension sécurité dans les nouveaux plans de renouvellement urbain ». Côté policier, le défi reste entier à en croire cette note : «Il faudra s’atteler à préserver le terrain reconquis de haute lutte sur les réseaux de trafiquants, par la pérennisation du "SAV" (service après vente, ndlr) dans chacune des cités. » « On part de très loin, confie-t-on à la préfecture de police de Marseille. Depuis des années, la situation ne cesse de se dégrader. Là, on a une inversion de tendance et des services de l’État qui s'impliquent enfin, il ne faut pas perdre cet élan. »

Méthode Coué ? Un rapport plus critique sommeille depuis un mois sur le bureau de Jean-Paul Bonnetain, réalisé par Serge Supersac, un officier de police retraité. Chercheur associé à l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), il a été missionné en octobre 2013 par la préfecture pour observer l’impact de l’« approche globale » sur la population à l’échelle d’un quartier, celui de Frais-Vallon dans le 13e arrondissement. Il y a constaté que « malgré cette forte présence policière, le trafic perdure grâce à l’adaptation quasi instantanée du réseau au nouveau système de surveillance ». Au risque que les policiers ne « deviennent transparents et (ne) perdent une part de leur crédibilité », met en garde l’ancien officier qui a dirigé une compagnie de CRS en Seine-Saint-Denis.

Pire, « la pression qui peut s’exercer sur les habitants peut être consécutive à l’action des forces de sécurité ». Le chercheur raconte ainsi comment, après l’interpellation et l’incarcération du gérant d’un point de deal, son successeur a diminué le nombre de guetteurs (pour des raisons bassement économiques) et verrouillé les portes des escaliers, mettant ainsi en danger la vie des locataires en cas de sinistre…

Dans ce quartier de 41 00 habitants, construit au début des années 1960 et géré par Habitat Marseille Provence, le bailleur social de la Ville, le trafic de cannabis fait partie de la vie quotidienne. Au point, raconte Serge Supersac, qu’un « charbonneur » s’est vu déléguer par un gardien la propreté d’un couloir, que les « choufs » aident les mères de famille à monter leurs cabas, ou encore que des dealers font la leçon sur les règles élémentaires de sécurité à une responsable associative qui avait oublié de fermer la porte de son local. « La stratégie est de réaliser un commerce illégal sans s’aliéner les habitants », constate l’ex-policier, sans cacher que les réseaux peuvent se montrer bien plus agressifs dans d’autres quartiers.

Dans ce cadre, « les poursuites judiciaires et l’incarcération sont vécues comme des rites initiatiques du parcours déviant, décrit Serge Supersac. La prison n’est pas anodine mais elle fait partie du coût ». Aux yeux des jeunes impliqués dans le deal, « la violence intrinsèque du réseau » serait considérée « comme un danger plus important », voire un obstacle insurmontable pour ceux tentés de tourner la page. « Si la police interpelle les dealers, elle ne peut venir en aide à un membre du réseau qui souhaite en sortir », regrette l’officier retraité.

La présence massive de forces de l’ordre (pendant 71 jours) a été accueillie par les habitants comme « la démonstration que le quartier n’est pas un endroit abandonné par les pouvoirs publics ». Mais selon le rapport, cette police « distante » et obnubilée par les affaires judiciaires ne répond pas vraiment aux attentes d’une population d’abord en demande de « tranquillité publique ». Témoin sur l'ensemble du territoire marseillais, le faible nombre d’interventions de Police secours à la suite d'appels au 17 : 192 par jour, un chiffre qui « semble bien inférieur à la demande réelle pour une circonscription de près d’un million d’habitants ». Mais dans la hiérarchie des tâches policières, « l’enquête pour un trafic est d’une haute priorité alors que le problème de tapage récurrent est une mission de basse police qui peut attendre », sabre l’ex-officier. Quant aux CRS postés aux abords de Frais-Vallon, ils sont « cantonnés dans un rôle d’épouvantail », sans contact avec les habitants et donc privés de tout « renseignement opérationnel », regrette Serge Supersac qui craint « un gaspillage de ressources humaines ».

Depuis l’automne 2012, la préfecture de police de Marseille a mis le paquet sur le démantèlement des réseaux de quartier, longtemps négligés par la police judiciaire. Au sein de la PJ et de la sûreté départementale, sept groupes d’enquêteurs sont désormais dédiés aux trafics des cités. Ce qui permet à Manuel Valls d’afficher de beaux résultats : « En 2013, les enquêteurs de la PJ ont résolu quatre fois plus d’affaires que l’année précédente », s’est réjoui le ministre le 27 janvier 2013.

Mais cette mobilisation réelle et massive des services marseillais (très bien décrite dans ce reportage du Nouvel Observateur) se heurte à un mur. « S’il est vrai que le commerce a pu être momentanément déstabilisé au niveau local, le nombre trop important de points de vente sur la ville a permis la continuité de l’approvisionnement pour les usagers potentiels », affirme Serge Supersac. Selon lui, « pour déstabiliser financièrement le réseau, il faudrait réaliser des saisies au moins 70 % de l’ensemble du trafic, ce qui paraît être un objectif irréalisable ».

La solution qu'il propose va à rebrousse-poil des politiques actuelles, en préconisant de déplacer la « pression sociale » des dealers vers les clients. « En tout état de cause les clients, qui contrairement aux dealers sont socialisés et parfaitement intégrés, ont plus à craindre de leur identification "officielle" que des dealers récidivistes », conclut l'ex-officier. Contactée, la préfecture de police n'a pas souhaité commenter ce rapport « qui n'a pas été rendu public » et rappelle que l'approche globale s'inscrit dans le long terme. Tout en affichant sa volonté de faire évaluer le dispositif et son impact sur les habitants « par une entité externe et indépendante ».

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