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L'université de Strasbourg cherche désespérément un vrai budget

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Pour sa première visite dans une université depuis son élection, François Hollande avait, a priori, choisi la facilité. Dans un paysage universitaire malmené par l’austérité et qui n’a vu aucun des changements attendus depuis un an et demi, l’université de Strasbourg, où il doit se rendre jeudi, devait jouer les vitrines. Issue de la fusion de trois universités, elle est, avec plus de 43 000 étudiants, l’une des plus grandes du pays et l’une des premières à être passées à l’autonomie. Son pôle de recherche, qui compte aujourd’hui trois prix Nobel en activité, est mondialement reconnu. L’université vient d'entrer dans le Top 100 du dernier classement de Shanghai, qui recense les meilleures établissements d'enseignement supérieur dans le monde.

En se rendant à Strasbourg, François Hollande a voulu mettre les projecteurs sur un site d’excellence, dans la droite ligne de la politique défendue par Valérie Pécresse, ancienne ministre de l'enseignement supérieur sous Nicolas Sarkozy. Ce choix est aussi destiné à éclipser la récente fronde de Montpellier 3, où la présidente menaçait de fermer son antenne de Béziers ou de tirer au sort les étudiants faute de pouvoir tous les accueillir, ou plus récemment les appels au secours de l’université de Versailles-Saint-Quentin, en quasi-cessation de paiement. Autant d’événements qui ont rappelé qu’en dépit de la priorité affichée pour l’éducation, la situation des universités n’a cessé de se dégrader.

François Hollande et Geneviève FiorasoFrançois Hollande et Geneviève Fioraso

La visite du chef de l’État à Strasbourg s’annonce pourtant moins sereine que prévu. Depuis une dizaine de jours, l’université de Strasbourg est secouée par une crise inédite qui illustre combien les universités sont plus que jamais dans une position intenable. Un mois seulement après l’adoption du budget 2014 en conseil d’administration, la présidence de l’université a reconnu que son budget avait été bien trop optimiste par rapport aux dotations effectives de l’État et qu’elle devait donc immédiatement récupérer… 3,8 millions d’euros.

Passé les fêtes, les composantes de l’université ont reçu une lettre qui leur a fait l’effet d’une douche froide. La direction générale des services, dans un courrier adressé le 16 janvier, demande à chacune « d’indiquer à la direction des finances les centres financiers sur lesquels il était possible de restituer des crédits ». Soit, très concrètement, de proposer des pistes pour amputer leur budget de fonctionnement de 20 % ! « Il est désormais nécessaire que des mesures structurelles soient prises, le modèle économique actuel ne permettant plus de fonctionner comme nous l’avons fait depuis des années », précisait pour ceux qui n’avaient pas bien saisi le président Alain Beretz dans une lettre aux personnels.

Dans un contexte financier déjà très tendu – l’université avait notamment gelé 50 recrutements pour contenir son budget –, ces nouvelles restrictions indignent. « Il y a un profond sentiment de ras-le-bol qui est en train de monter », reconnaît le professeur de biotechnologie élu au CEVU(conseil des études de la vie universitaire) Jacques Haiech. Il estime que, ces trois dernières années, les budgets de fonctionnement récurrents des composantes auront diminué de près de 40 %. Concrètement, ce sont des conférences, des colloques, qui vont être annulés tout comme sera réduit au minimum le recours à des intervenants extérieurs ou le budget photocopies… Tout ce qui fait, au quotidien, qu’une université « fonctionne ».

Dans un entretien au journal interne de la fac, le président Alain Beretz donne le ton : « Chacun peut agir concrètement sur la situation en éteignant son ordinateur le soir en partant, en baissant le chauffage dans son bureau le week-end, en se demandant s’il est vraiment nécessaire de voyager en première classe… »

L’intersyndicale, qui estime que cette décision « mettra toutes les entités de notre université dans une situation intenable », a demandé qu’un congrès exceptionnel soit convoqué pour envisager d’autres pistes que cette nouvelle amputation. « Les composantes ont déjà atteint leurs limites les plus extrêmes. Pour les personnels, dont certains sont déjà en grande souffrance, on est vraiment au-delà du supportable », tonne Pascal Maillard, secrétaire académique du Snesup-FSU.

Ce nouveau tour de vis passe d’autant plus mal que la confiance vis-à-vis de la présidence est sérieusement ébranlée. Les élus des conseils centraux ont en effet découvert que la présidence de l’université avait fait voter sciemment un budget qu’elle savait insincère. Les dotations définitives de l’État – 320 millions d’euros – lui sont en effet parvenues le 13 décembre, soit quatre jours avant le conseil d’administration qui a approuvé le budget. Interrogé par Mediapart, le président Alain Beretz justifie cet équilibrisme par le manque de temps : « Nous avons reçu la dotation finale le vendredi à 17 heures alors que notre CA était prévu le mardi. Vous ne pouvez pas corriger un tel budget en 48 heures ! » La réponse ne convainc guère jusqu’au ministère qui estime qu’il était tout à fait possible et bien plus raisonnable de repousser le CA.

Au-delà, certains s’interrogent sur la stratégie même du président de l'université. Pour Pascal Maillard, Alain Beretz « se sert en réalité du levier de l’austérité pour mener les restructurations de fond dont il pense que l’université a besoin ». Les déclarations d’Alain Beretz qui affirmait dans un récent entretien au journal de l’université que ces difficultés financières pouvaient être « une opportunité » pour « prioriser les chantiers », voire pour « faire mieux », ont achevé de semer le doute.

Rationaliser, mutualiser, réduire l’offre de formation, mais aussi développer leurs financements propres par des partenariats avec les entreprises… Autant de remèdes chocs que les universités autonomes sont désormais contraintes d’appliquer pour ne pas voir leurs comptes trop se dégrader et que la ministre Geneviève Fioraso encourage d’ailleurs avec constance. Aujourd’hui, alors qu’une quinzaine d’universités sont en déficit et que près de la moitié ont un fonds de roulement de moins de 30 jours – le seuil prudentiel à, normalement, ne pas dépasser pour un établissement public –, le ministère a clairement fait le choix de leur maintenir la tête sous l’eau, persuadé qu’il est que c’est la seule manière de « réformer » un monde universitaire enfermé dans des postures archaïques et idéologiques.

L’université de Strasbourg, si bonne élève qu’elle soit, n’échappe pas à la règle. « Cela n’amuse personne d’être amené à ce type de décision mais la fuite en avant budgétaire serait irresponsable, explique Alain Beretz. Ne pas reconstituer notre fonds de roulement, c’est handicaper l’avenir des étudiants comme des enseignants-chercheurs. » Ce président élu sous le précédent quinquennat estime aussi qu’il est « difficile de faire abstraction de la situation des finances publiques, le budget de l’enseignement supérieur étant plutôt moins touché que les autres ».

À la veille de l’arrivée du chef de l’État, le ministère s’agace de cette agitation et rappelle que les dotations à l’université de Strasbourg sont stables voire en légère hausse ces dernières années. Cette stabilité ne couvre pas néanmoins la croissance « naturelle » de la masse salariale par l’effet mécanique du vieillissement et se traduit concrètement par un financement étatique toujours très en deçà des besoins réels.

Dans l’entourage de Geneviève Fioraso, on fait valoir que la crise que connaît Strasbourg démontre aussi un certain amateurisme sur les questions financières des jeunes universités autonomes. « Le budget d’une université comme Strasbourg, c’est trois fois le budget du Louvre, est-ce qu’ils ont vraiment les compétences en interne pour le gérer ? » s’interroge un fonctionnaire du ministère. Pour faire face à leurs nouvelles responsabilités en matière financière, les universités ont pourtant bien privilégié l’embauche de gestionnaires au détriment – à moyens constants – de l’enseignement et de la recherche. Jusqu’où ?

Les récentes déclarations de Geneviève Fioraso aux Échos, appelant les universités à se considérer comme « des centres de coûts et de profits », ont jeté la consternation dans un monde universitaire déjà profondément déboussolé. « Le pouvoir de résilience du milieu scientifique (…) touche malheureusement une limite structurelle qui ne peut plus exempter les politiques de leur responsabilité d'assurer l'avenir de la recherche et des universités », écrit à ses collègues de Strasbourg le chimiste Jean-Pierre Djukic, directeur de recherche au CNRS dans un courrier résumant bien l’état d’esprit général. François Hollande, qui devrait être accueilli par diverses actions de mécontentement, sait à quoi s’en tenir.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Google Glass : la fin des mots de passe?


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