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Et revoici la RGPP !

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La révision générale des politiques publiques, autrement connue sous son sobriquet de « RGPP », est assurément l’une des réformes clés du sarkozysme, l’une de celles qui ont suscité dans le pays un fort rejet durant le précédent quinquennat et ont contribué à la défaite du champion de l’UMP. Réforme symbolique ! On avait pu y voir la preuve de l’autoritarisme de ce régime, de son libéralisme doctrinaire et de son égoïsme social. On aurait donc pu penser que le projet serait définitivement abandonné.

Et pourtant, il est au contraire plus que jamais d’actualité. Et la réforme prend toujours valeur de symbole – même si ce dernier fonctionne aujourd’hui différemment : on peut y voir la preuve que François Hollande ne fait que dupliquer les unes après les autres toutes les réformes économiques que Nicolas Sarkozy avait dans sa besace. Ce fut le cas d’abord du « choc de compétitivité », avec, à la clef, les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt offerts sans la moindre contrepartie aux entreprises et une hausse de la TVA, notamment, pour les financer ; ce fut le cas ensuite avec les 35 milliards d’euros de cadeaux, liés à la suppression progressive des cotisations familiales à la charge des entreprises ; et c’est donc maintenant le cas avec le plan d’économie de 50 milliards d’euros que François Hollande veut mettre en chantier.

Avec cette nouvelle « RGPP » qui ressort des cartons – même si la réforme n’a pas repris le même nom –, c’est encore plus caricatural que cela : c’est exactement le même projet que sous Nicolas Sarkozy que l’Élysée a réactivé, comme s’il n’y avait pas eu d’alternance. Le même projet, exactement le même : nous sommes en mesure, documents confidentiels à l’appui, de l’établir. Le même projet de 50 milliards d’euros d’économies, qui était déjà secrètement en chantier sous le précédent quinquennat ! Et affichant, d’un quinquennat à l’autre, le même but : couper d’abord dans les dépenses sociales. S'appuyant sur les mêmes conseillers de l’ombre, et notamment le cabinet McKinsey qui s’est goinfré de commissions sous le précédent quinquennat et a plus que jamais ses entrées dans les coulisses du nouveau pouvoir socialiste, et tout particulièrement auprès du secrétaire général adjoint de l’Élysée, Emmanuel Macron.

* La même procédure, avec l’Élysée aux commandes. Un premier constat saute aux yeux : François Hollande procède par mimétisme et a d’abord copié strictement les mêmes procédures que celles retenues sous le précédent quinquennat. Il a en effet annoncé, mardi 14 janvier, lors de sa conférence de presse « la création d'un Conseil stratégique de la dépense publique », qui se réunira chaque mois pour évaluer les politiques publiques. C’est cette structure qui va diriger le plan d’austérité voulu par François Hollande, avec les réformes structurelles qu’il impose.

Et de la parole aux actes ! Le Journal officiel du 23 janvier a publié un décret, signé la veille par le président de la République (on peut le consulter ici), précisant comment les choses vont se passer. Le texte annonce qu’il est « créé un Conseil stratégique de la dépense publique » et ajoute : « Le Conseil est chargé de proposer et de suivre le programme de réalisation des économies structurelles qui sont présentées dans le cadre du programme de stabilité de la France. Il assure le redressement des comptes de la Nation tout en veillant à favoriser la croissance et l'emploi. »

Le décret précise ensuite que « le Conseil stratégique de la dépense publique est présidé par le Président de la République », et qu’il est composé du premier ministre, flanqué de quelques autres ministres. « Le Président de la République peut également inviter à participer au Conseil les représentants des organismes ayant à connaître de la dépense publique ainsi que toute personnalité qualifiée », indique encore le décret.

En clair, c’est l’Élysée qui est aux manettes. Selon les règles autoritaires de la monarchie républicaine, c’est le chef de l’État qui commande et décide de tout, y compris avec le concours de « toute personne qualifiée » choisie par lui. Le coup d’État permanent, en quelque sorte…

Les choses n’ont d’ailleurs pas traîné. À peine le décret était-il paru au J.O., que le chef de l’État a présidé, ce même 23 janvier, un premier Conseil stratégique de la dépense publique, étant entendu qu’une réunion du même type se déroulera chaque mois.

Or c’est exactement la même organisation – le même coup d’État permanent… – qu’avait choisi Nicolas Sarkozy quand, au lendemain de sa victoire de 2007, il avait donné le coup d’envoi de la RGPP (lire Réforme de l’État : préparé en catimini, l’acte II doit attaquer l’os). Tout juste le nom de la structure était-il différent : sous Nicolas Sarkozy, c’est un « Comité de modernisation des politiques publiques » qui avait la charge de trouver les nouveaux gisements d’économies. Mais à cette différence près, c’était la même organisation : la présidence était assurée par le chef de l’État, flanqué du premier ministre et de quelques autres ministres – les mêmes qu’aujourd’hui. En clair, François Hollande n’a effectivement fait que dupliquer le mode de travail voulu initialement par Nicolas Sarkozy. Un mode de travail détestable puisqu’il avait conduit à court-circuiter le travail normal du gouvernement. Et on sait comment tout cela s’est terminé : c’est finalement le secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, qui avait hérité du « bébé » et qui était devenu le grand ordonnateur de la RGPP.

À l’époque, le Comité de modernisation comprenait aussi une autre personnalité : Michel Pébereau, l’ancien président de BNP Paribas. Ce qui avait beaucoup choqué. Que venait faire l’ex-patron d’une banque, porte-parole d'intérêts privés, dans une instance publique, en charge de l’intérêt général. Beaucoup y avait vu un détestable mélange des genres. « La composition de ce comité est ubuesque », s’agaçait ainsi le député socialiste Christian Eckert (devenu depuis rapporteur général du budget à l’Assemblée), qui ne comprenait pas « la présence d’un grand financier dans une telle instance ».

Alors, maintenant que l’Élysée s’arroge toujours le droit de décider de tout, jusqu’à inviter dans ce comité une « personnalité qualifiée » – tiens, tiens !… –, les dirigeants socialistes diront-ils que ce mimétisme, jusque dans les moindres détails, est « ubuesque » ? Le qualificatif ne serait pas exagéré…

* Le même objectif : 50 milliards d’euros d’économies. C’est le second constat qui saute aux yeux : y compris dans le choix de l’objectif d’économies à réaliser, le mimétisme est total.

Lors de cette même conférence de presse, mardi 14 janvier, François Hollande a en effet annoncé son intention de procéder à 50 milliards d’euros d’économies sur les dépenses publiques d'ici 2017, venant s’ajouter aux 15 milliards d’euros d’économies décidées pour 2014 ; et il a laissé entendre que cela était un « préalable à toute baisse d’impôts ». Depuis, on a appris que le plan d’austérité devrait se décomposer de la manière suivante : 18 milliards d’euros d’économies en 2015, puis de nouveau 18 milliards d’économies en 2016 et enfin 14 milliards en 2017.

Mais d’où vient ce chiffre de 50 milliards que François Hollande a subrepticement sorti de son chapeau ? En réalité, il n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination : c’est dans un dossier de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant qu’il est allé le puiser. Le 14 octobre 2010, le Bulletin officiel des annonces de marchés publics lance ainsi un appel d’offres (on peut le consulter ici), dont l’intitulé est le suivant : « Assistance à la mise en œuvre opérationnelle du programme de révision générale des politiques publiques. » Il s’agit de l’un de ces innombrables appels d’offres que l’Élysée lance pour se faire assister par des cabinets de conseil, le plus souvent anglo-saxons, dans la réforme à la hache de l’État qu’il a entreprise.

Parmi d’autres, le cabinet McKinsey répond à l’appel d’offres et finit par le gagner. Ce cabinet présente la singularité d’être très bien introduit dans les coulisses du pouvoir sarkozyste. L’un de ses dirigeants, Karim Tadjeddine, est un proche d’un haut fonctionnaire, François-Daniel Migeon, que Nicolas Sarkozy a intronisé comme patron de la direction générale de la modernisation de l’État (DGME) pour épauler, de Bercy, sa grande œuvre, la RGPP. Ancien du cabinet d’Éric Woerth et également ancien de ce même cabinet McKinsey, François-Daniel Migeon a de bonnes raisons de s’entendre avec ce Karim Tadjeddine.

Les deux hommes s’entendent d’ailleurs si bien que l’on peut retrouver sur le site Internet du cabinet McKinsey un entretien du premier réalisé par le second (il est ici), qui est un chef-d’œuvre de complicité (lire Le conflit d’intérêts se loge au cœur de la réforme de l’État).

Le cabinet McKinsey est l’un de ceux qui ont été au centre d’une âpre controverse pour s’être enrichis grâce à la RGPP, en monnayant leurs conseils par des commissions astronomiques. On a ainsi appris, grâce au rapport d’information publié en décembre 2011 par le député UMP François Cornut-Gentille et le député socialiste Christian Eckert (il peut être téléchargé ici), que le total des commission a atteint de 2006 à 2011 la somme astronomique de 111,64 millions d’euros. Le chiffre figure à la page 63 du rapport parlementaire ou peut être consulté ci-dessous :

Et sur ce montant, McKinsey est celui qui a été le plus boulimique puisque, en association avec le cabinet Accenture, il a reçu 38,99 millions d’euros d'honoraires, ce qui a fait de lui le cabinet le plus engagé dans la RGPP.

Or il est du plus haut intérêt de comprendre dans quelle condition le cabinet McKinsey a répondu à l’appel d’offres de l’État du 14 octobre 2010, que nous venons d’évoquer. Le document qu’il a soumis à l’État pour essayer de gagner l’appel d’offres était resté jusqu’à ce jour confidentiel, mais Mediapart est parvenu à s’en procurer une copie. On peut consulter ci-dessous les passages les plus importants de ce document :

Et bingo ! On a tôt fait de constater que l’objectif de 50 milliards d’euros d’économies est l’obsession qui parcourt ce document. On le lit à la page 5/33 : « D’ici à 2013, dans l’hypothèse où la croissance du PIB apporterait 50 milliards de recettes supplémentaires, 50 milliards d’euros d’économies doivent être consenties de manière récurrente. » On le lit encore à la page 9/33 : « Cette trajectoire suppose une réduction des dépenses récurrentes de l’ordre de 50 à 100 milliards d’euros en fonction de la croissance du PIB. » Et ainsi de suite, page après page…

CQFD ! François Hollande n’a pas seulement recopié les procédures choisies par Nicolas Sarkozy pour mettre en œuvre la RGPP ; il a aussi fait sien son objectif central, celui des 50 milliards défendus par McKinsey. Et ce n’est pas tout…

* La même obsession : tailler dans les dépenses sociales. D’un quinquennat à l’autre, le mimétisme va de fait encore au-delà. Sous Nicolas Sarkozy, la RGPP se fixait pour première priorité de tailler dans les dépenses sociales ou celles des collectivités territoriales. On en trouve trace dans le document de McKinsey que nous venons d’évoquer : il invite ainsi l’État à réfléchir – délicieux jargon ! – à « une refocalisation des prestations sociales sur la base d’une analyse par bénéficiaire », ou encore (bigre !) « la mise en place de nouvelles règles de gouvernance » pour les hôpitaux.

Or, si l’on ne sait encore que peu de choses sur la nouvelle RGPP à la sauce socialiste, on comprend tout de même que cette fois encore, ce sont très exactement les mêmes cibles qui seront visées. Dans le cas des collectivités locales, c’est le chef de l’État lui-même qui a précisé qu’elles seraient les premières concernées par le plan d’austérité.

Et avant même la conférence de presse du mardi 14 janvier, Bercy s’est répandu en indiscrétions auprès de nombreux médias pour expliquer que ce seraient bel et bien les dépenses sociales qui seraient les premières concernées par le plan de 50 milliards d’euros d’économies. Toute la presse s’en est donc fait l’écho. Tel BFMTV, qui faisait ces annonces : « Il n'y a pas de temps à perdre car l'ampleur de la tâche est historique. L'idée est qu'à partir de l'année prochaine, 100 % des efforts budgétaires reposent uniquement sur les économies sur les dépenses. Au niveau de la méthode, François Hollande veut en finir avec les coupes budgétaires aveugles. Il compte s'appuyer sur des réformes structurelles. Le logement en ligne de mire. À Bercy, on se fait épauler par le cabinet de conseil McKinsey. On a déjà dans le viseur la Sécurité sociale et le logement, deux champs sur lesquels on pourrait faire des économies le plus rapidement. Le budget de l'État va être sérieusement mis à contribution. Chaque ministre doit présenter au plus vite un plan d'économies. François Hollande va donc présider tous les mois cet observatoire de la dépense, afin de faire des points d'étape et trancher lui-même sur des sujets comme les dépenses sociales ou le millefeuille territorial où les lignes ont toujours beaucoup de mal à bouger. »

Et dans L’Expansion, c’était, au même moment, presque la même petite musique : ce sont les dépenses sociales et les dépenses des collectivités locales qui seront d’abord mises à contribution.

* Les mêmes exécutants. Mais il y a encore autre chose qui n’a pas changé : ce sont les mêmes conseils que sous Sarkozy qui sont à la manœuvre pour proposer à l’Élysée les ingrédients du plan d’austérité.

Au détour de l’article de BFMTV que nous venons de citer, nous venons de voir réapparaître le nom de McKinsey, chargé selon ce média d'épauler Bercy. Et c’est effectivement le cas. Selon nos informations, si le patron de la DGME, François-Daniel Migeon, a été remercié au lendemain de l’alternance (lire Le Monsieur RGPP de l’ère Sarkozy va quitter Bercy), les contrats liant l’État aux si gourmands cabinets de conseil ont été reconduits. Et notamment celui de McKinsey.

Malgré l’alternance, McKinsey a même désormais ses entrées en direct à l’Élysée, pour des raisons qui ne manquent pas d’intérêt. L’un des ténors du cabinet, Karim Tadjeddine, y compte en effet un ami précieux, en la personne d’Emmanuel Macron, qui est le plus proche collaborateur de François Hollande sur ces sujets, en sa qualité de secrétaire général adjoint de l’Élysée.

Karim TadjeddineKarim Tadjeddine

Il faut dire que les deux amis ont fait un long chemin ensemble. D’abord, Karim Tadjeddine et Emmanuel Macron sont, l’un et l’autre, membres de l’association « En temps réel » qui regroupe quelques financiers en mal de notoriété et des strauss-kahniens reconvertis dans la vie des affaires. Mais les deux amis ont aussi pour point commun d’avoir participé aux travaux de la commission Attali, qui s’était distinguée en janvier 2008 en faisant 216 propositions sulfureuses, prétendument pour « libérer » la croissance française – des propositions néolibérales que Nicolas Sarkozy, dans les violentes turbulences de la crise financière, s’était empressé de jeter à la poubelle.

Emmanuel MacronEmmanuel Macron

Emmanuel Macron était ainsi le secrétaire général de cette commission et, comme sa biographie sur le site Internet de McKinsey le confirme, Karim Tadjeddine en était le rapporteur.

Elle est pas belle, la vie ? Les deux amis ont cheminé ensemble, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, pour promouvoir une politique de déréglementation. Et les voilà qui continuent, avec la bénédiction de François Hollande, pour tailler l’État en pièces, et dans la foulée l’État-providence…

Non, décidément rien n’a changé. Absolument rien. François Hollande a tout recopié de la RGPP, jusqu’aux moindres détails…

BOITE NOIREKarim Tadjeddine a refusé de me parler en m'indiquant que les règles de McKinsey ne l'y autorisaient pas. Il m'a donc renvoyé vers le responsable de communication de l'agence, qui n'a pas plus voulu répondre à mes questions.

Avant l'élection présidentielle, j'avais des relations professionnelles “normales”, si je puis dire, avec Emmanuel Macron, qui acceptait de proche en proche de répondre à mes curiosités. Depuis l'alternance, sans la moindre explication, la herse est tombée. Il n'a répondu à aucun de mes nombreux mails et appels téléphoniques. J'ai aussi fait savoir plusieurs fois au service de presse de l'Élysée que je souhaitais le rencontrer, mais mes demandes n'ont jamais abouti.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Google Glass : la fin des mots de passe?


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