Le financier Pierre Condamin-Gerbier ne s’est pas borné à livrer aux juges, mardi 2 juillet, des informations précises sur les activités offshore de l’homme d’affaires Alexandre Allard en lien avec l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres (UMP) et de la famille Fabius. Selon nos informations, dès le 28 mars 2013, il avait déjà été entendu une première fois par la Brigade financière, mais cette fois, pour livrer d’autres secrets qu’il détient. Et ces secrets sont explosifs puisqu’ils concernent… le scandale Tapie !
Comme mon confrère de Mediapart, Fabrice Arfi, l’a déjà révélé, on savait en effet que Pierre Condamin-Gerbier avait confié beaucoup de ses secrets à la justice. Français établi en Suisse de longue date, il a eu à connaître personnellement de nombreuses situations de fraude et d’évasion fiscales dans sa carrière débutée en 1994 – voir son long entretien avec Mediapart ici et là. Il a notamment travaillé entre 2006 et 2010, comme associé-gérant de Reyl Private office, le « family office » de la société de gestion genevoise Reyl & Cie, l’un des établissements financiers ayant géré puis abrité les avoirs occultes de l’ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac.
C’est donc fort des informations qu’il a glanées durant cette époque qu’il a pu livrer sur procès-verbal, mardi 2 juillet, devant les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, des informations précises sur les activités financières offshore d’Alexandre Allard et de la famille Fabius (lire Comptes offshore : ce que Condamin-Gerbier a dit aux juges). Mais ce que l’on ne savait pas, c’est que le financier avait, au préalable, fait de nombreuses autres confidences à la justice, qui sont venues alimenter l’enquête policière sur le scandale Tapie.
Pierre Condamin-Gerbier a en effet été entendu le 28 mars 2013 par la Brigade financière. Lors de cette audition, évoquée par Le Monde, le financier a d’abord raconté comment il a rencontré une première fois Bernard Tapie. C’est par l’intermédiaire d’une autre financière, une dénommée Ariane Slinger, qu’il a fait la connaissance de l’homme d’affaires. Travaillant pour la filiale suisse d’une société financière britannique dénommée Rath Bones, puis rebaptisée Ace International, en qualité de Chief executive officer pour la Suisse, cette dénommée Ariane Slinger, d’origine niçoise, avait des clients communs avec Pierre Condamin-Gerbier mais avait aussi des relations d’affaires visiblement très suivies avec Me Maurice Lantourne, l’avocat de Bernard Tapie, puis avec Bernard Tapie lui-même.
Selon Pierre Condamin-Gerbier, son interlocutrice lui a demandé en octobre 2007 s’il avait envie de faire la connaissance de Bernard Tapie, qui était devenu son client. Et c’est ainsi que le premier mercredi de février 2008, Pierre Condamin-Gerbier, selon la version qu’il a donnée à la Brigade financière, finit par déjeuner à Paris, au restaurant du Plazza Athénée, avec Ariane Slinger et Bernard Tapie. Au début de la rencontre, rien de très notable : Bernard Tapie commence à lui raconter un récit qui est déjà en partie connu. Il annonce au financier son intention d'établir sa résidence principale en Suisse non pas pour des raisons fiscales mais dans le but d'acquérir un club de football, le Servette de Genève.
Mais soudain, la conversation prend un tout autre intérêt. « Connaissant ses difficultés personnelles, je lui ai demandé comment il allait financer le rachat du club. Il m'a répondu qu'il était absolument certain de percevoir une très forte somme d'argent ; somme "énorme" selon ses termes sans précision de montant, d'une décision qui serait rendue en sa faveur dans le cadre d'un arbitrage entre lui et le Crédit lyonnais. Par ailleurs, Monsieur Tapie m'a affirmé que Nicolas Sarkozy, dont il était très proche, lui devait quelque chose en retour de son soutien public dans le cadre de la présidentielle 2007 et que du fait de son élection à la présidence de la République Monsieur Sarkozy allait nécessairement influencer la décision. Monsieur Tapie avait la certitude que son conflit avec le Crédit lyonnais serait tranché en sa faveur », raconte le financier à la Brigade financière.
On peut supposer que cette version présentée par Pierre Condamin-Gerbier a fortement retenu l’attention des policiers et de la justice car à l’époque de cette rencontre, en février 2008, le tribunal arbitral est en train de siéger et ne rendra sa sentence que cinq mois plus tard, le 7 juillet 2008. Bernard Tapie n’a donc aucune raison d’avoir alors la certitude de percevoir bientôt une somme « énorme ». Sauf si la procédure arbitrale n'a pas été régulière...
Selon le financier, il a par la suite plusieurs entretiens téléphoniques avec Bernard Tapie pour parler de l’éventuelle acquisition du club de football et de celle d’une résidence à Genève. Et il rencontre quinze jours plus tard de nouveau Bernard Tapie, mais cette fois à Genève, où ils effectuent ensemble des visites immobilières.
« Par la suite, raconte le financier, j'ai eu un autre contact téléphonique avec Monsieur Tapie, à la mi-mars 2008, je lui ai proposé de formaliser un mandat pour engager officiellement nos services. Monsieur Tapie m'a indiqué qu'il n'avait pas changé ses options mais que ses conseils lui avaient recommandé de ne pas procéder immédiatement à une délocalisation professionnelle vers la Suisse car la décision qui allait être rendue en sa faveur dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais allait être explosive et que le timing entre cette décision et son départ de France serait trop dangereux médiatiquement. »
Et l’histoire s’arrête là. Selon le financier, il n’a plus eu d’autres contacts avec Bernard Tapie. La Brigade financière l’a, certes, pressé de questions, pour essayer d'en savoir plus. Elle lui a ainsi demandé si, à sa connaissance, Bernard Tapie avait des comptes à l’étranger. « Je le soupçonne du fait de ses relations avec Madame Slinger », s’est borné à répondre le financier, sans pouvoir être plus précis. Et Bernard Tapie a-t-il eu recours aux services de la banque Reyl ? « Je l’ignore », a répondu le financier.
De ces rencontres entre Pierre Condamin-Gerbier et Bernard Tapie, la justice ne pourra donc guère tirer de conclusions décisives. C’est juste un indice de plus qui vient compléter le vaste puzzle que les policiers sont en train de reconstituer. Un indice dont la portée est résumée par ce dernier échange entre Pierre Condamin-Gerbier et la Brigade financière :
« Monsieur Bernard Tapie a-t-il fait état d'une procédure d'arbitrage que l'on pourrait qualifiée "d'arrangée" » ?
— Directement non mais les propos qu'il m'a tenus pouvaient le laisser penser. »
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