Ce devait être une grande mobilisation « citoyenne » contre le gouvernement, après le tour de chauffe du 30 novembre « contre le matraquage fiscal ». Mais derrière la manifestation organisée dimanche 26 janvier à Paris à l'appel du collectif « Jour de colère », on trouve toute la nébuleuse de l'ultra-droite et les réseaux catholiques traditionalistes.
Un an après les manifestations des anti-mariage pour tous, combien seront-ils dans la rue ? Une cinquantaine d'associations partiront de la place de la Bastille à 14 h. Mais une grande partie d'entre elles n'existe pour l'instant que virtuellement, à travers des sites internet ou des pages Facebook.
Le mot d’ordre est très large : lutter « contre le matraquage fiscal, la misère paysanne, le chômage, l’insécurité, la faillite de l’éducation nationale, la destruction de la famille, le mépris de l’identité française, les atteintes à la liberté et le déni de démocratie ». Le collectif prévoit un rassemblement sous huit bannières différentes : fiscalité, éducation-jeunesse, famille, identité nationale, chômage-emploi, respect des convictions religieuses, liberté d'entreprise, respect des libertés fondamentales.
À l’origine de cet événement se trouve un site internet vide de tout contenu qui décrète, à l’automne 2013, le 26 janvier « Jour de colère ». Depuis, le site s’est étoffé, avec une liste d’une cinquantaine de soutiens et un manifeste qui réclame « la “coagulation” de toutes les colères ». « Jusqu’ici, le gouvernement table sur la segmentation des contestations pour mieux les isoler et les mépriser. Il est temps d’unir nos forces autour des points communs qui nous rassemblent », explique le texte.
Ce collectif anonyme se présente comme « apolitique » et « citoyen » et affiche neuf organisateurs anonymes : « Adélaïde, journaliste », « Frédéric, avocat », « Grégoire, professionnel de l'événementiel », « Louis, collaborateur parlementaire et étudiant », « Stanislas, entrepreneur », etc.
Béatrice Bourges, la porte-parole du Printemps français, la branche radicale issue de la “Manif pour tous”, jure ne pas être à l'origine de ce collectif : « Ça part de citoyens qui n’appartiennent à aucun parti politique ou de mouvement particulier. »
Pourtant, les coïncidences sont troublantes entre les noms des organisateurs du JDC et plusieurs piliers du Printemps français, ou figures proches de cette nébuleuse. Comme l'avocat Frédéric Pichon, ancien leader du GUD (Groupe Union Défense), qui a défendu l'année dernière certains manifestants prônant la radicalisation (et qui avait lui-même évoqué « un devoir de désobéissance contre les lois injustes »).
Ou encore Grégoire Boucher, à la tête du groupe Millésimes, « agence conseil communication événementielle », et des éditions TerraMare, qui viennent de publier un « agenda pour Tous 2014 » avec une cinquantaine de « figures » du « combat pour la famille », dont plusieurs soutiens de « Jour de colère ». Boucher gravite autour de la galaxie du GUD : il est « ami » de Frédéric Chatillon et de son bras droit, Olivier Duguet, l'ex-trésorier du micro-parti de Marine Le Pen ; Duguet fut aussi le comptable de sa société Correctif.
Autre exemple : Adélaïde Pouchol, qui signe dans l'Homme nouveau, journal catholique traditionaliste. En juin, elle a animé une conférence sur le Printemps français avec Béatrice Bourges, à Orléans. L'Express note de son côté que « Stanislas », autre organisateur de « Jour de colère », « était bien engagé aux côtés du Printemps français ces derniers mois » d'après ses différents écrits sur Internet.
L'hebdomadaire cite aussi David Van Hemelryck, leader d'Hollande-Démission, qui confirme à demi-mot la présence du Printemps français derrière JDC : « Je ne pourrais pas dire que non mais si certaines personnes souhaitent rester en retrait, c'est leur droit. » Amputé d’une partie de ses membres, miné par les dissensions internes, et sans véritable structure, le Printemps français a tenté de rebondir à l’automne, mais sans que ses membres n'apparaissent directement.
Dans ce grand chaudron hétéroclite du « Jour de colère », un seul point commun : l’opposition à François Hollande. Le politologue Jean-Yves Camus, chercheur à l'IRIS et spécialiste des droites extrêmes, voit plutôt dans ce « Jour de colère » un « Jour de défoulement ». « On y retrouve des mouvements anti-fiscalité, des catholiques traditionalistes qui pensent encore que la loi Taubira pourra être remise en cause, des catholiques intégristes qui combattent l'avortement, des groupuscules d'extrême droite, et tous ceux qui pensent qu'Hollande est illégitime. Tout cela n'est pas très cohérent. »
Dans la liste des soutiens, on croise effectivement aussi bien des collectifs dans la galaxie du Printemps français (Camping pour tous, Hollande-démission, le Collectif pour l'enfant de Béatrice Bourges), des associations réclamant la démission d'Hollande (Hollande Dégage, Hollande m'a tué, Stop-Hollande), des mouvements anti-fiscalité (Rassemblement des contribuables français de Nicolas Miguet, les Citrons pressés, les Vaches à lait, etc.), anti-islam (Reconquête républicaine, le Comité Lépante), identitaires (Réseau-Identités, Nationalité-Citoyenneté-Identité, la Ligue francilienne), des catholiques intégristes (comme Civitas, proche de la Fraternité Saint-Pie X), des associations aux revendications plus ciblées (comme les Bonnets blancs qui s’opposent à la réforme des rythmes scolaires) et d'autres aux mots d'ordre plus flous (l'Observatoire du mensonge, Foutez-leur la paix).
Le mouvement se targue aussi d'avoir le soutien de « Bonnets rouges » (« Les Bonnets rouges », « Les Bonnets rouges 69 », « Les Bonnets rouges nantais »). Ces dérivés identitaires ne sont pourtant pas liés au mouvement officiel breton, qui martèle qu'il « ne s'associ(e) pas » à cette manifestation « contrairement à certains dires sur les réseaux sociaux ». Sur le site, le collectif diffuse également des photos de manifestants anonymes annonçant leur présence :
D'autres, sans figurer dans la liste des soutiens, ont annoncé leur venue. Les organisateurs ont expliqué qu'ils ne comptaient pas empêcher « quiconque de participer au rassemblement ».
C'est le cas d'Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac, les leaders de l'Œuvre française et des Jeunesses nationalistes, ces groupuscules antisémites dissous en juillet. Les deux militants ont réactivé leur site internet Jeune Nation, qui a appelé à une « mobilisation générale des nationalistes » avec « Jour de colère ».
L'ex-FN Bernard Antony, ancien chef de file des catholiques traditionalistes au sein du parti lepéniste, et fondateur de l’Agrif, participera aussi à la manifestation pour combattre le « racisme anti-blanc et anti-chrétien », selon Libération.
De son côté, Égalité et Réconciliation, l'association d'Alain Soral, « invite toutes les personnes sensibilisées par au moins l’un des 8 thèmes abordés » à « se joindre à cet événement », tout en précisant qu'elle « n’organise ni ne participe à la mise en place de la manifestation ».
Mais c'est surtout l'appel de Dieudonné qui divise le mouvement. Mi-janvier, sur sa page Facebook, l’humoriste a relayé les appels à manifester de « Jour de colère » et invité ses soutiens à se joindre au mouvement. « Et ne vous fiez pas aux rumeurs comme quoi la manif serait anti-islam ! c'est faux ! », écrit-il.
Dieudonné lui-même ne sera pas présent, puisqu'il sera sur scène à Bordeaux pour son spectacle, à 17 h. Mais son annonce a perturbé le mouvement. L'association anti-islam Résistance républicaine, satellite de Riposte laïque, a pris ses distances en rejetant « Dieudonné et ses sbires ». « Nous allons crier notre colère face à l’islam (...) ; il est impensable que les soutiens antisémites pro-islam de Dieudonné manifestent à nos côtés avec barbus et femmes voilées, tout simplement », explique sa présidente Christine Tasin dans un communiqué, le 12 janvier.
Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous, a expliqué à Libération vouloir tenir son mouvement à distance de ce défilé : « Quand on se mobilise, on dit qui l'on est, et on revendique des choses précises », a-t-elle justifié.
Dimanche, des frictions ne sont pas à exclure entre les différents groupes. À l'extrême droite, certains ironisent déjà sur les revendications divergentes des manifestants :
Sur Internet, les organisateurs semblent dépassés par des participants diffusant des tracts et slogans ultraradicaux. Sur Twitter, Résistance royaliste appelle par exemple à rejoindre le mouvement en prenant comme référence les manifestations des ligues d'extrême droite contre le gouvernement, le 6 février 1934 :
Peu d'élus de droite et d'extrême droite ont annoncé leur venue. « C'était en débat dans les partis politiques, mais c'est moins d'actualité : personne ne veut courir le risque d'être assimilé à Dieudonné ou aux catholiques intégristes de Civitas. Pour un candidat aux municipales UMP, s'afficher à cette manifestation serait suicidaire », estime Jean-Yves Camus.
Pilier des manifs anti-mariage pour tous, le député UMP Hervé Mariton assure au Point qu'il ne participera pas à cette manifestation dont il n'avait « jusque-là pas connaissance ». Au FN, Bruno Gollnisch répond à Mediapart qu'il n'est « pas sûr de pouvoir s'y rendre » car il est retenu « à Hyères pour (sa) campagne municipale ».
D'autres font carrément marche arrière. Le collaborateur de Marion Maréchal-Le Pen, qui avait d'abord indiqué à Mediapart que la députée FN serait probablement présente à la manifestation, nous a expliqué en milieu de semaine qu'elle ne s'y rendrait pas à cause de « l’environnement, l’appel des pro-Dieudonné, la crispation des échanges sur le Web ». Pourtant, en décembre, sa fédération du Vaucluse participait à l'organisation de la manifestation. Depuis, ce billet a disparu.
Mais « Jour de colère » veut entretenir l'idée d'un rassemblement de grande ampleur. Les organisateurs expliquent que leur appel « est relayé officieusement » à l'Assemblée nationale et que « certains parlementaires auraient même prévu de venir dimanche, en se mêlant aux manifestants de façon anonyme ».
La mobilisation de dimanche sera un test, un an après les grandes manifs contre la loi Taubira. Que reste-t-il du mouvement des anti-mariage pour tous ? La mobilisation virtuelle des derniers mois se concrétisera-t-elle sur le terrain ? Sur Facebook, quelque 25 600 personnes avaient annoncé leur participation, vendredi en fin de journée. « La grande question, c'est quelle ampleur prendra cette manifestation », souligne Jean-Yves Camus. Pour le chercheur, cependant, non seulement ce rassemblement « n'est pas unitaire », mais il souffre de l'absence d'« objectif », de « débouché politique » et de « cadre politique ». « Contrairement au mouvement contre la loi Taubira, il n'y a pas de figure politique ou médiatique permettant de coaguler tous ces mouvements », explique-t-il.
Le politologue souligne aussi un déficit de logistique. Les organisateurs de « Jour de colère » ont mis en place des relais locaux et affirment qu’« une soixantaine de cars » ont été mobilisés. Un système de covoiturage est proposé par le site. Mais le collectif est loin de la puissante organisation de la « Manif pour tous », qui avait permis d'acheminer des milliers de manifestants à Paris l'année dernière.
Difficile enfin de mobiliser trois semaines consécutives une partie des troupes. « Il y a trois manifestations en trois semaines, j'étais présent à la Marche pour la vie (contre l'avortement, le 19 janvier, ndlr), je serai à celle de la Manif pour tous (le 2 février, ndlr), je ne suis pas sûr d'être à celle de dimanche », explique ainsi Bruno Gollnisch.
Lire notre enquête du 29 novembre : « Comment la droite catho identitaire se régénère ».
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