La crise, connais plus. La bourse de Paris a effacé la catastrophe Lehman Brothers, et c’est donc une bonne nouvelle, saluée depuis hier par la presse. Mais une bonne nouvelle étrange qui vient consacrer le divorce entre l’économie, qui va mieux, et les Français, qui vivent plus mal.
Cette distorsion ne date pas d’hier. On l’a vue monter en puissance à partir des années 1980, quand les bourses se sont mises à déguster les catastrophes sociales. Il suffisait qu’un PDG prononce les mots magiques, “plan social” ou “réduction d’effectifs”, pour que le cours des entreprises concernées bondisse dans les minutes suivantes.
D’un côté les lettres de licenciements, le malheur des salariés, les régions dévastées, et de l’autre les acclamations, les dividendes, la certitude scientifique des experts économiques, saluant la décision des capitaines d’industrie, certes cruelle, mais salutaire à long terme.
Souffrir pour être beau, avoir mal pour aller mieux, telle était, et telle est toujours cette philosophie, déclinée à l’échelon des grandes entreprises, on l’a vu récemment chez EADS qui taille dans ses effectifs alors qu’elle va bien, mais aussi à l’échelon des États, on le constate avec les descentes périodiques de la célèbre Troïka dans le sud de l’Europe.
Ainsi les marchés vont leur vie autonome, sans s’occuper du sort des simples citoyens. Quand les bourses vont mal, elles entraînent tout le monde dans leur chute, mais quand elles vont mieux, quand la confiance est revenue, quand les affaires ont repris, quand le moral est à la hausse, elles gardent leurs bénéfices pour elle.
Conséquence, alors que le Cac 40 vient d’effacer la crise, on peut noter, accessoirement, que le chômage est passé de 8,3 à 10,9 % en France, de 6 à 12 % en Italie, de 3 à 6 % aux Pays-Bas, de 8 à 15 % au Portugal, de 8 à 26 % en Espagne, de 8 à 28 % en Grèce. Cinq ans après, l’économie va mieux mais les gens vont plus mal, on ne peut pas mieux souligner le découplage extraordinaire entre le bulletin de santé général et le destin des Français, et des Européens, dans leur vie de tous les jours.
Ça va donc mieux, sauf que nous allons plus mal, et l’hiatus est d’autant plus ressenti qu’il est le moteur des discours politiques. Plus la bonne santé de l’économie paraît indépendante du bien-être des populations, et plus les responsables ne parlent que de cet idéal. Exemple, à quoi le président de la République s’est-il consacré pendant sa conférence de presse ? À un cap où la France retrouverait sa puissance, en allégeant les charges de ses entreprises.
Les Français seront-ils concernés par cet horizon statistique au moment où leur vie paraît déconnectée des performances économiques ? Alors que l’Institut Ipsos, France Inter, le journal Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et le Cevipof constatent aujourd’hui, dans une enquête, la profonde défiance du public vis-à-vis des politiques, il y a là plus qu’une fracture. Un grand malentendu, qui ne se résoudra pas par un nouveau discours en direction des troupes, mais plutôt par la réparation du sonotone des chefs.
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