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L'UMP et le FN rejouent la bataille contre l'IVG

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Mardi soir, l’Assemblée nationale s’est replongée quarante ans en arrière, à l’époque de la loi Simone Veil, du nom de la ministre d’un gouvernement de droite qui dépénalisa l’avortement en janvier 1975, contre une grande partie de son camp. Dans ce grand bond en arrière, on a entendu les arguments les plus rétrogrades. Il fut question de ces « adolescentes qui ont déjà subi quatre ou cinq IVG » (Nicolas Dhuicq, UMP), d’« eugénisme » (Jean-Christophe Fromantin, UDI, maire de Neuilly), d'IVG de « confort » (Marion Maréchal-Le Pen), de « fœtus déchiquetés »,« embryons balayés par une société qui se défait elle-même » (Jacques Bompard, ex-FN, mais toujours d'extrême droite) ou de ces « femmes qui avortent comme elles prennent des cachets » (le même).

Alors que chaque année 220 000 femmes ont recours à un avortement, qu’une femme sur trois a déjà eu recours à une IVG selon l’Institut national des études démographiques, une petite vingtaine d’élus de l’UMP, de l’UDI et du FN ont décidé de rejouer la bataille de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Il y a an, c'était souvent les mêmes (des hommes pour la plupart) qui portaient le fer contre le mariage des couples de même sexe : le catholique Philippe Gosselin, Jean-Frédéric Poisson (un proche de Christine Boutin), le maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin (UDI), ou encore Marc Le Fur, tous membres de l’Entente parlementaire pour la famille. Mardi soir, ils ont bataillé contre plusieurs dispositions concernant l’IVG dans le projet de loi égalité hommes-femmes, actuellement discuté à l’Assemblée nationale (et qui comprend bien d’autres mesures, voir sous l’onglet Prolonger).

À l’UMP, dix-huit députés (un dixième du groupe, leurs noms ici et ) sont allés jusqu’à défendre le déremboursement par la sécurité sociale de l’IVG. Provoquant l’indignation générale sur les bancs de la gauche, mais aussi de nettes réprobations dans leur propre camp.

« Je suis absolument estomaqué, a commenté l’UMP Bernard Debré, médecin dans le civil. J’ai vu des filles de quinze ans mourir à l’hôpital parce qu’elles s’étaient fait avorter dans une arrière-boutique. Se battre sur le déremboursement, ça m’écœure. On ne peut pas jouer avec ça. » Ancienne ministre de l’égalité professionnelle sous Jacques Chirac, Nicole Ameline s’en est prise à la « tendance Tea Party » de l’UMP qui entend « nier aux femmes la légitimité de disposer de leur corps ».

Au cours de ce débat, mené par une poignée d’ultras, il aura en tout cas été très peu question de la réalité de l’avortement en France, droit qui reste difficile d’accès alors que le nombre d'établissements qui le pratiquent ne cesse de diminuer.

Mardi soir, à l’Assemblée nationale, le débat sur l’IVG a commencé après 21 h 30. De nombreux députés UMP avaient déserté les travées. Les ultras, eux, étaient au rendez-vous. Bien décidés à s'ériger contre la disparition du code de la santé publique de la référence à la « situation de détresse » des femmes qui avortent. Inscrite dans la loi en 1975, elle est devenue une « notion désuète qui culpabilise les femmes », selon la députée PS Axelle Lemaire. De fait, l’IVG, à laquelle des centaines de femmes ont accès chaque jour, n’est plus un acte médical exceptionnel, mais un droit.

Autre disposition contestée par la droite dure : un élargissement des motifs pouvant donner lieu à condamnation des commandos anti-IVG (est désormais inclus le fait d’intimider des femmes qui se rendent par exemple au Planning familial pour s’informer). La discussion a donné lieu à une passe d’armes attendue, la gauche se faisant un plaisir de dénoncer les élus les plus rétrogrades. « Nous ne reviendrons pas aux aiguilles à tricoter ! » a lancé Danielle Hofman-Rispal (PS). « Nous assistons à un débat affligeant mais pas étonnant », a déploré le patron des socialistes, Bruno Le Roux. Finalement, seules trois députées UMP et deux UDI ont voté avec la gauche pour la suppression de la « situation de détresse », les autres s’abstenant ou votant contre.

Quant au déremboursement de l’IVG, il a été massivement rejeté (142 voix contre 7). Six députés UMP ont voté pour (Nicolas Dhuicq, Philippe Gosselin, Marc Le Fur, Yannick Moreau, Jean-Frédéric Poisson, Claudine Schmid), de même que Jacques Bompard, qui a fustigé la « liberté de la mère de tuer son enfant ». Plusieurs se sont abstenus : Xavier Breton et Jean-Pierre Decool (UMP), Jean-Christophe Fromantin (UDI), Marion Maréchal-Le Pen (Front national).

Philippe Gosselin et Jean-Frédéric Poisson, ultras de l'UMPPhilippe Gosselin et Jean-Frédéric Poisson, ultras de l'UMP © DR


Depuis deux jours, l’UMP est apparue très gênée par l’irruption d’un débat qu’elle n’avait pas anticipé. Certes, le président du parti Jean-François Copé et le patron des députés UMP, Christian Jacob, ont désavoué leurs ultras mardi, se disant opposés au déremboursement de l'IVG. Mais ils se sont gardés de les pointer du doigt, préférant dénoncer la « provocation » de la gauche (Jacob) ou un « gouvernement pitoyable » (Copé). Au cours de la journée, Jacob a même laissé entendre qu’une grande partie de son groupe pourrait voter la suppression de la « situation de détresse », avant de se dédire le soir. « Encore un piège dans lequel nous sommes tombés… », se désole l’UMP Daniel Fasquelle.

Quant à l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy François Fillon, il est allé très loin en dénonçant une « faute morale et politique » du gouvernement. « Faute morale car il risque de "banaliser" l’avortement (...). Faute politique, car il prend le risque de diviser, une fois encore, les Français. » Mardi après-midi, dans les travées de l’Assemblée, ses lieutenants, conscients du trouble que ces déclarations très à droite peuvent susciter dans l’opinion, réaffirmaient leur opposition totale à tout déremboursement de l'IVG, histoire que le nom de leur mentor ne soit pas associé à la frange la plus réactionnaire de la droite…

Si le FN a longtemps milité contre l’avortement, et si Marine Le Pen elle-même proposait son déremboursement pendant la campagne présidentielle (son numéro deux, Louis Alliot parlant d’« IVG de confort »), le parti d'extrême droite a pris soin d’apparaître ces jours-ci plus modéré que les plus durs de l’UMP : comme Jacques Bompard, la députée Marion Maréchal-Le Pen a signé un amendement contre la suppression de la « situation de détresse». Mais la nièce de Marine Le Pen, qui s'installe désormais tout près des députés UMP quand l'hémicycle est peu rempli, s’est habilement abstenue de demander le déremboursement de l’IVG.

Quant à Marine Le Pen, elle s’est permis d’affirmer que le Front national ne « voulait pas modifier la capacité d’accès à l’IVG », mais juste lutter contre sa « banalisation totale ». C'est peu ou prou la position exprimée par de nombreux responsables de la droite. Loin des propos de son père, Jean-Marie Le Pen, qui s’est fendu ce week-end d’une énième diatribe sexiste, en phase avec les positions habituelles du FN.

Comme lors du mariage pour tous, la droite conservatrice est tiraillée. Galvanisés par deux ans de mobilisation contre le mariage homosexuel ou la prétendue « théorie du genre », les anti-IVG ont montré ces derniers jours la vigueur de leurs réseaux. Dimanche 19 janvier, à Paris, une manifestation du noyau dur des opposants à l’avortement, tendance catholiques intégristes, a réuni entre 16 000 et 40 000 personnes, dont Christine Boutin et le Front national Bruno Gollnisch. Le pape François a soutenu le cortège. De nombreux médias ont présenté l’événement comme une manifestation d’ampleur. En réalité, les anti-IVG manifestent chaque année depuis dix ans à Paris à la même époque, avec toujours un certain succès : en 2012, la manifestation, passée inaperçue dans le cadre de la campagne présidentielle, avait déjà réuni entre 7 000 et 30 000 personnes.

Manifestation anti-IVG à Paris, dimanche 19 janvierManifestation anti-IVG à Paris, dimanche 19 janvier © Reuters


Les anti-IVG ont aussi su profiter des hasards du calendrier, qui leur ont donné une fenêtre médiatique favorable : visite de François Hollande ce vendredi au Vatican ; manifestation à l’appel du « Printemps français » (mouvement radical dissident de la "Manif pour tous") ce dimanche 26 janvier ; enfin, nouvel épisode de la "Manif pour tous" le 2 février contre la future loi famille, la procréation médicale assistée pour les couples de femmes (qui ne figure pas dans cette loi) ou les revendications du « lobby LGBT » (lesbiennes, gay, bi, trans).

Dimanche, les anti-IVG étaient vêtus de jaune et de rouge, aux couleurs de l’Espagne, où le gouvernement conservateur vient de limiter fortement le droit pour les femmes d’avorter – il sera désormais limité au viol ou aux cas où la santé de la mère est en danger. « Les évolutions dans certains pays voisins nous montrent que nous ne sommes jamais à l’abri de régressions », a lancé la ministre du droit des femmes Najat Vallaud-Belkacem. « Des menaces pèsent sur le droit fondamental des femmes à exercer leur sexualité et le choix de disposer librement de leur corps », s’inquiète la ministre de la santé, Marisol Touraine. Dans l’hémicycle, la communiste Marie-George Buffet comme le ministre Alain Vidalies ont appelé à la « solidarité avec les Espagnoles ».

Finalement, au milieu de ce tumulte, il aura été assez peu question de la réalité de l’avortement aujourd’hui. Un droit garanti par la loi mais dont l’accès reste difficile. « Les lois ne sont pas appliquées, a insisté Sergio Coronado, député écologiste. Le nombre d’établissements pratiquant l’IVG diminue, les délais s’allongent et 5 000 femmes partent chaque année avorter à l’étranger », la plupart du temps parce que le délai légal de douze semaines au-delà duquel il n’est plus possible d’avorter a été dépassé.

Fin 2013, un rapport du Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes (voir sous l’onglet Prolonger) jugeait l’accès à l’IVG « problématique » notamment en raison d’une baisse de l’offre de soins. De fait, 130 établissements de santé pratiquant l’IVG ont fermé en dix ans et la qualité de l’accueil se dégrade. « Faire une IVG s’avère plus difficile dans certains endroits en France, notamment dans les territoires ruraux », explique le rapport. « Sur le plan matériel, les délais d’attente peuvent être quelquefois importants, les distances à parcourir longues et la possibilité de choisir la méthode et le mode d’anesthésie n’est pas toujours garantie. »

Le Haut Conseil insistait aussi sur le fait que les sanctions pour les établissements qui refusent de la pratiquer, notamment entre dix et douze semaines, sont très « rares ».

Depuis juin 2012, le gouvernement a fait voter la prise en charge de l’IVG à 100 %, une augmentation des tarifs de l’IVG pour encourager les établissements de santé à pratiquer ces actes et a créé un site internet d’information (www.sante.gouv.fr/ivg) qui n’existait pas, sans compter d’autres mesures en faveur de la contraception, chez les mineures notamment. Mais pendant la campagne présidentielle, Marisol Touraine avait aussi promis un centre IVG dans chaque hôpital. Pour l'instant, la promesse n’a pas été tenue.

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Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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