D'après nos informations, le parquet de Nanterre vient d'ouvrir une information judiciaire pour « détournement de fonds publics » visant Patrick Balkany, maire et député UMP de la ville de Levallois-Perret. Il s'agit cette fois de l'affaire des chauffeurs de la municipalité, que l'élu est soupçonné d'avoir utilisés à des fins personnelles, notamment lors de ses vacances sur l'île de Saint-Martin.
L'enquête préliminaire menée depuis le mois de janvier 2013 a par ailleurs révélé qu'environ 80 000 euros en espèces ont été dépensés par le couple Balkany pour acheter des billets d'avions notamment (comme l'indique aujourd'hui Le Monde). Les juges désormais désignés vont tenter d'établir l'origine de ces fonds.
Ces investigations s'ajoutent à d'autres boulets, en particulier l'information judiciaire pour « blanchiment de fraude fiscale » ouverte à Paris en décembre dernier, visant à la fois Patrick Balkany et son épouse Isabelle, tous les deux soupçonnés d'avoir dissimulé une partie de leur fortune au fisc français depuis des décennies.
Nous republions ci-dessous l'enquête que nous avions réalisée sur le sujet en octobre dernier.
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À la police municipale de Levallois-Perret, les initiés utilisent un nom de code pour parler de l’île de Saint-Martin : « SXM » (le sigle de l’aéroport). C’est sur ce joyau des Antilles que Patrick Balkany a emmené, pour ses vacances, certains agents municipaux qui lui servaient d’habitude de chauffeurs. Comme Mediapart l’a dévoilé en janvier dernier, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Nanterre sur ces pratiques du maire susceptibles de relever – si elles étaient avérées – de la prise illégale d’intérêts. L’élu UMP a-t-il embarqué ses chauffeurs sous les cocotiers aux frais de la collectivité ?
Alors que la justice s’est aussi lancée sur la piste de fonds placés par Patrick Balkany dans des paradis fiscaux, autrement plus compliquée à remonter (voir les révélations du Point), cette « petite » affaire de Saint-Martin pourrait se transformer en boulet pour l'édile, candidat à sa réélection dans cinq mois.
En fait, depuis des années, deux policiers municipaux sont enrôlés au service exclusif du cabinet du maire, qu’ils conduisent à tour de rôle à l’Assemblée comme à l’aéroport, et jusqu’à sa fastueuse demeure de Giverny en Normandie, où il leur arrive même de dormir – depuis peu, l’élu se serait toutefois séparé d’un des deux.
La justice, alertée par le syndicat SNPM-FO et son secrétaire général Frédéric Foncel, cherche avant toute chose à comprendre si ces agents ont été détachés de leur brigade en toute légalité, après parution d’arrêtés municipaux nominatifs. Sollicités par Mediapart, les services de la ville n’ont jamais daigné transmettre le moindre arrêté de détachement, Isabelle Balkany (épouse et première adjointe) se contentant de justifier leur drôle d'affectation en ces termes : « Ça nous évite de nous tamponner des gardes du corps. »
Mais les enquêteurs de la police judiciaire de Paris, chargés du dossier, veulent surtout savoir combien de chauffeurs se sont envolés aux Antilles ces dernières années, qui a payé leurs billets (de Patrick Balkany ou de la municipalité), s'ils ont conduit sur place ou fait bronzette, s’ils ont voyagé sur leur temps de travail ou posé des vacances.
Le 3 octobre, la PJ a ainsi débarqué en mairie pour saisir une masse de documents sur le fonctionnement de la police municipale, des plannings, des feuilles de congés, etc.
Dans un communiqué publié cinq jours plus tard sur Twitter, Patrick Balkany s'est efforcé de déminer : « Un policier municipal est, en toute légalité et conformité administrative, détaché au cabinet du maire pour assurer les fonctions de chauffeur de sécurité. Lors de ses vacances, je l’ai invité une fois, bien entendu sur mes deniers personnels. » Questionnée il y a plusieurs mois sur Saint-Martin, Isabelle Balkany avait préféré nous congédier : « On va s’arrêter là ; faites votre article qui sera à chier comme d’habitude. »
À l’époque, en pleine surchauffe à la police municipale de Levallois, l’un des chauffeurs du maire, Yannick Dartois, venait de commettre un impair et de poster sur Facebook une photo de lui sur une plage faisant bigrement penser à Saint-Martin, aussitôt repéré par ses collègues. Sollicité par Mediapart, ce dernier n’a pas retourné nos appels.
Mais sous le sceau de l’anonymat, l’un des anciens chauffeurs de Patrick Balkany accepte de raconter un peu son escapade à Saint-Martin, par souci de défendre son « boss ». « C’est le maire qui a payé le billet à titre personnel, comme un cadeau », assure-t-il. Sur place, « c’était la journée typique : plage le matin, plage l’après-midi. On était dans sa maison, il fallait que je fasse attention à comment me tenir, le maire me présentait comme son collaborateur. »
Parfois, il dînait avec Patrick Balkany, parfois non. Conduisait parfois la voiture, parfois laissait le volant au « patron ». Il est aussi arrivé que ce dernier lui demande de « faire une course ». Mais avait-il posé des vacances ? Bien sûr, jure-t-il, tout en ajoutant cependant que « les chauffeurs ne comptent jamais leurs heures », qu’il pouvait s’agir de simples « récup », que les congés des agents dépendant du cabinet du maire ne sont peut-être pas transmis au service des ressources humaines systématiquement, qu’il « n’aurait pas forcément de papier attestant de ses congés » si on les lui réclamait… À ses yeux, quoi qu'il en soit, Patrick Balkany n’aurait rien à se reprocher.
Si la justice arrivait aux conclusions inverses, ce ne serait pas une première. En 1996, Patrick Balkany avait en effet été condamné à quinze mois de prison avec sursis et deux ans d’inéligibilité pour avoir utilisé, durant son mandat, trois agents municipaux à ses domiciles privés – l’un servait de jardinier, l’autre de gouvernante, le troisième d'homme à tout faire. Alors qu'il avait été sommé de rembourser la ville, Patrick Balkany n’avait toujours pas soldé sa dette en janvier dernier (comme nous l'avions découvert).
Accessoirement, sa tendance à considérer la police municipale comme son affaire personnelle ne s'est pas arrêtée aux chauffeurs, si l’on en croit Olivier de Chazeaux, son successeur à la mairie de Levallois entre 1995 et 2001 (à l'issue des deux premiers mandats de Patrick Balkany). Cet ancien élu RPR confie en effet à Mediapart avoir « constaté la disparition d’une arme dans l’armurerie de la police municipale ». Manquait un revolver 357 Magnum. « À l'époque, les responsables m'ont dit qu'il était chez Patrick Balkany, se souvient Olivier de Chazeaux. Nous lui avons gentiment demandé, mais comme l'arme n’est jamais revenue, j’ai fait un signalement au parquet. » Sous couvert d’anonymat, plusieurs sources confirment l’épisode : « On s’est aperçu qu’il manquait une arme quand la police municipale a dû changer son armement et qu’on a fait un inventaire... »
Interrogée sur cette anecdote, Isabelle Balkany dément vigoureusement ces assertions « grotesques ». « Vous rigolez ? Vous êtes dans le délire des bruits de chiottes ! »
Par ailleurs, comme Mediapart l’a détaillé dans un précédent article sur les dérives de “la police des Balkany”, des écoutes avaient été mises en place sur les coups de fil passés par les agents municipaux depuis leur central. Faute de déclaration préalable auprès de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ces enregistrements ont longtemps été dénués de tout fondement juridique. Des « balivernes », avait réagi Patrick Balkany.
Si le procureur de Nanterre vient de classer ce dossier « sans suite » (d'après un courrier adressé le 26 septembre au syndicat qui l'avait alerté), c'est seulement « au motif que la régularisation de la situation est intervenue à la demande du parquet. »
BOITE NOIREJ'ai échangé sur ce sujet avec Isabelle Balkany (par téléphone) dès janvier 2013, ainsi qu'avec le chargé de communication du cabinet du maire. Avant d'écrire cet article, j'ai renvoyé des questions à ce dernier mercredi 16 octobre, qui sont restées sans réponse.
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