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Décentralisation : plus proche du couac que du choc de simplification

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Voilà un quart de siècle que l’État tournicote et coupe les cheveux en quatre. Vingt-cinq ans qu’il réfléchit à la décentralisation, aux compétences des villes, communautés de commune, départements, régions, Sénat, auxquels il faut aujourd’hui ajouter les métropoles. Vingt-cinq ans que les présidents et les chefs de gouvernement trouvent le millefeuille illisible pour le citoyen, et indigeste pour le contribuable, vingt-cinq ans que des générations de ministres promettent de le clarifier et qu’on rajoute encore des sous-couches, faute d’oser l’inévitable : retirer un échelon. À cet égard, les dernières déclarations de François Hollande, sur les régions, et de Jean-Marc Ayrault, sur les départements, paraissent plus proches du couac que de la clarification.  

Le premier veut supprimer des régions, et le second des départements… Depuis les lois de décentralisation, et l’élection des conseillers régionaux au suffrage universel, en 1986, la question de « l’échelon superflu » enflamme les conversations mais se dissout dans les discours.

En privé, c’est presque un consensus : entre les régions et les départements il y aurait un joueur de trop. Combien de marins, combien de capitaines, exaspérés, n’ont pas exprimé un jour ou l’autre leur envie d’en finir, d’un coup de tranchant de la main : Crac ! « Il faut supprimer un échelon. »

Dans les discours, c’est autre chose. C’est comme si les orateurs, souvent de premier plan, avaient peur de recevoir une décharge de deux mille volts en mettant les doigts dans cette prise. Le 19 octobre 1989, déjà, devant l’Association des présidents de conseils généraux, à Nantes, Michel Rocard noyait le poisson : il éludait la question du nombre et de la taille des régions en estimant qu’elle était « mal posée », et décrétait que le débat entre régionalistes et départementalistes n’était « plus d’actualité » !

Il se trouve qu’en 2013, on en parle plus que jamais, malgré des réformes et des retouches incessantes. Création des “pays” en 1995, réforme des modes d’élection des conseillers régionaux en 1998 et 1999, création des intercommunalités en 1999, révision constitutionnelle de 2003 sur « l’expérimentation », en 2004, autonomie financière des collectivités locales, en 2005, transfert de compétences et clarification (déjà !), comité pour la réforme des collectivités locales en 2008, sous l’égide d’Édouard Balladur, avec, comme par hasard, le projet de regroupement des régions et des départements sur la base du volontariat !

Je me souviens de cet élu du Nord, persuadé en 2007 que cette fois Nicolas Sarkozy aurait le courage de supprimer les départements : « S’il ne le fait pas, je démissionne de l’UMP », avait-il promis au restaurant de l’Assemblée nationale, entre la poire et le fromage. Prudent, Nicolas Sarkozy ne l’a pas fait, et l’élu n’a pas démissionné. Le président de l’époque a inventé un hybride, le « conseiller territorial », à la fois élu du département et de la région, mais n’est pas allé jusqu’à la suppression d’un échelon. Courageux mais pas téméraire...

C’est que depuis la chute de Charles de Gaulle, tombé lors du référendum de 1969 en voulant réformer le Sénat, les présidents, les gouvernements, et les ministres hésitent avant d’affronter les élus rassemblés en associations de maires, de départements, ou de régions de France. Et ce ne sont pas les mésaventures de la seule région de droite, l’Alsace, qui relanceront les ardeurs : l’idée de regrouper le Haut-Rhin et le Bas-Rhin dans un seul Conseil général a été sèchement repoussée, par un nouveau référendum…

Au fond, demander à ce public d’élus, le plus souvent passionnés par leur mission, si le bon sens ne conduit pas à supprimer les régions et les départements, reviendrait à faire voter un plan social par les salariés eux-mêmes.

Donc on élude, on tergiverse, on bricole, on tourne en rond, on jure à la tribune que le problème ne se pose pas et on fulmine en coulisse en proclamant que « ça ne peut plus durer »...

À cet égard, la position du candidat François Hollande était un modèle du genre. Il convenait pendant sa campagne qu’il fallait faire quelque chose, et proposait théâtralement un « Acte 2 de la décentralisation », qui consistait à abolir le conseiller territorial et à créer un “Haut conseil des territoires” chargé non pas d’abolir telle ou telle strate, mais d’inventer une sorte de chef d’orchestre qui ferait jouer tout le monde ensemble. Las ! On s’aperçut très vite que ce “Haut conseil” ferait doublon avec le Sénat, et la proposition se perdit dans les méandres du débat parlementaire.

François Hollande a cependant apporté sa pierre à l’édifice territorial, non pas en le simplifiant, mais en posant au sommet de l’édifice une dizaine de métropoles ajoutées aux trois premières, celles de Marseille, Lyon et Paris. Ces super-régions sont soupçonnées par les présidents de conseils généraux de vouloir avaler les départements, et de fait, une controverse oppose désormais les « modernes », c’est-à-dire les partisans de ces métropoles, et les « anciens », les conservateurs en quelque sorte, c’est-à-dire les défenseurs de l’échelon départemental.

Cette querelle n’est pas subalterne. Il est certain que les métropoles conviennent mieux, sur le plan économique, à la concurrence européenne et mondiale. Mais le géographe Hervé Le Bras a démontré, cartes à l’appui, qu’elles agissaient aussi comme une sorte de lessiveuse, en faisant venir à elles les catégories supérieures et en rejetant à la périphérie des populations entières, qui nourrissaient alors un sentiment de déclassement et de rejet. Ces cartes établissent une corrélation spectaculaire entre ces nouvelles zones de déclassement et le vote Front national.

Aussi les départements se présentent-ils non pas comme les héritiers d’un découpage qui consistait à ce que le chef-lieu de canton ne soit pas distant de plus d’une journée de diligence des frontières du département, mais comme les mainteneurs d’une France de la proximité, où se joueront les grands défis humains de l’Europe et de la mondialisation.

Autant dire que le débat n’est pas secondaire, et que le choix inévitable entre les départements et les régions, sous couvert des métropoles, ne sera pas une formalité. Encore faudra-t-il que le pouvoir politique ait le courage de trancher entre l’idée qu’il se fait de la France du vingt et unième siècle, et les inévitables intérêts corporatistes qui émanent des niveaux du millefeuille. La fin du cumul des mandats, en coupant le cordon entre les élus nationaux et les groupes de pression locaux, permettra peut-être aux pouvoirs centraux, quels qu’ils soient, d’en finir avec cette paralysie.

Pour l’heure, nous n’en sommes pas là. Hollande parle de supprimer cinq ou six régions, et Ayrault d’effacer quelques départements de la couronne parisienne. Déjà les régions s’inquiètent, déjà les départements s’alarment, déjà, à vouloir ne faire peur à personne, le pouvoir prend le risque de mobiliser tout le monde...   

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