« Je vais peut-être te rejoindre ! » Ces jours-ci, la députée Isabelle Attard, récente transfuge d'Europe Écologie-Les Verts passée à Nouvelle Donne, a entendu plusieurs fois ce genre de remarques dans la bouche de collègues socialistes de l'Assemblée. « C'était sur le ton de la blague, bien sûr, mais je sentais parfois des accents de sincérité. Ça fait des mois que Hollande mène une politique de droite avec quelques concessions sociales qui font avaler la pilule. Là, au moins, le président est au clair avec lui-même. Ça va peut-être obliger des élus de la majorité à comprendre qu'ils ne peuvent plus faire changer les choses de l'intérieur. »
Vœu pieux ? Sans doute, à quelques exceptions près. Pour l'instant, la conférence de presse de François Hollande de ce mardi 14 janvier, qui marque la conversion rhétorique du chef de l'État à une très classique politique libérale de l'offre, a surtout eu pour effet d'anesthésier un peu plus une majorité qui ne cesse de constater les écarts entre les promesses de campagne et la réalité de la politique menée depuis dix-huit mois.
Depuis les annonces présidentielles de mardi, socialistes et écologistes apparaissent comme scotchés. Évidemment, la frange la plus réaliste du PS est ravie. Idem pour les nombreux pragmatiques du PS. « Ce n’est pas un cours nouveau mais une ligne définie et clairement assumée. Je préfère les lignes politiques explicites », estime Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée pour qui ce nouveau cap est aussi le fruit d’une « inquiétude » présidentielle. « Il veut rassurer les investisseurs, relancer très vite l’économie. »
« C’est une politique rationnelle, se félicite Matthias Fekl, un jeune député proche de Pierre Moscovici. Il faut désormais convaincre l’opinion que tout cela, mais aussi la relance européenne et la réforme de l’État, c’est profondément de gauche, et que nous ne sommes en train de renoncer à rien, mais bien au contraire de transformer le pays en profondeur. »
Pour d’autres, à des degrés divers, c’est la gueule de bois. « Comment ça va ? Comme un social-libéral ! se désole un socialiste. Au moins, Nicolas Doze (éditorialiste de la chaîne BFM Business) et Pierre Gattaz (patron du Medef) sont contents… » « Hollande a dit ce qu'il pense depuis longtemps, analyse Olivier Dussopt, député proche de Martine Aubry. Il n'y a donc pas vraiment de rupture. En revanche, les mots employés sont durs. Dire "l'offre crée la demande", c'est reprendre mot pour mot la doctrine libérale. Ce sont des références que la gauche n'utilise pas. »
« Je suis dans la perplexité, l'interrogation, la réticence, avoue le député Laurent Baumel, ex-strauss-kahnien fondateur de la Gauche populaire. Les gens sont absents du discours présidentiel. Il est question d'économie, de chômage, mais toujours de façon abstraite. Il n’est nulle part question de redistribution et de pouvoir d'achat pour les classes populaires. » Le même Baumel est agacé par les multiples références du chef de l’État à la « social-démocratie » : « La social-démocratie, c'est assumer la conflictualité possible de l'économie et du social et déboucher sur des compromis sociaux globaux. Là, Hollande dit que la justice découlera de la performance économique. Il s'agit en fait d’une version française du blairisme, un social-libéralisme hors sol, car il n’a pas la base sociale pour mener cette politique. » Comme si en une conférence de presse, Hollande avait bazardé les mots, les concepts et l’héritage du socialisme français.
« Sociaux-démocrates ? Nous le sommes depuis 1920. Là où il y a un changement de pied, c'est que Hollande veut tout mettre sur l'offre et rien sur la demande. Jusque-là, sous Mitterrand ou Jospin, c'était un équilibre entre les deux », s’inquiète Gwenegan Bui, député “aubryste”. « Sur l'offre, on ne peut pas faire grand-chose de différent, du moins dans l'immédiat, reconnaît Thierry Mandon. Mais c'est vrai, il y a un chaînon manquant : celui de la demande. Sans demande, il n'y aura pas de croissance. »
À l’aile gauche du PS, la critique n’est pas aussi forte qu’on aurait pu s’y attendre. Pascal Cherki, proche du ministre Benoît Hamon, a prestement fait savoir qu’il voterait la confiance au gouvernement. Mercredi soir, seuls la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et le député Pouria Amirshahi ont dit haut et fort ce qu’ils ont sur le cœur, lors du bureau national du PS.
« C'est une ligne qui ne marche pas. C'est un renoncement à placer l'épanouissement et l'émancipation au cœur des politiques publiques, s’insurge Pouria Amirshahi. Ces méthodes ont fait la preuve de leur échec. Le chef de l'État est en train de mener une opération d'assistanat généralisé au patronat le plus cupide d'Europe. »
Elle aussi de plus en plus critique, la députée PS du Doubs Barbara Romagnan dresse un vrai réquisitoire du discours du chef de l’État. « Il n'y a que des références à la droite, à la droite libérale. François Hollande reprend la définition de la politique de l'offre qui a inspiré des gens comme Ronald Reagan. Il se vante même de faire ce que la droite n’a pas fait ! N'essayons pas de faire l'exégèse de gauche d'une politique de droite qui n'est ni moderne, ni de gauche, ne crée pas d'emplois ou alors dans des conditions de précarisation qui ne sont pas acceptables. Ce n'est pas pour ça que la gauche est au pouvoir ! »
À part ces quelques voix dissidentes, la gêne des socialistes ne s’exprime qu’à fleurets mouchetés. « Sur le fond, la ligne du président correspond à ce qu'est le PS aujourd'hui, plus social-démocrate que social-révolutionnaire », rétorque le président du groupe PS au Sénat, François Rebsamen. Pour ce vieux fidèle du président, « Hollande devait retrouver sa liberté, et ne plus se sentir tenu par les jeux d'équilibre ». François Hollande et les siens savent bien que les années électorales (municipales, européennes, sénatoriales) ne facilitent pas les émancipations partisanes.
Par ailleurs, à la différence du crédit-impôt compétitivité emploi (CICE), ce chèque de 20 milliards d'euros aux entreprises voté à la va-vite en 2012, François Hollande a été plus habile, prenant soin d’accoler à son futur « pacte de responsabilité » un « observatoire des contreparties » auquel seront associés les parlementaires. Même si le nom de ce nouveau "machin" technocratique les fait souvent sourire, les socialistes ont au moins un motif de satisfaction. « On s'y retrouve, c'est ce qu'on demande depuis des mois », explique Olivier Dussopt. Sans trop d'illusions pourtant. « Il y a une amélioration par rapport au CICE, mais cet observatoire, que met-on dedans ? », s’interroge Gwenegan Bui. « Désormais, on s'accroche à l'idée de ces contreparties, avec l'espoir qu'on puisse les imposer a priori et pas les observer a posteriori. Quid d'un remboursement des exonérations en cas d'objectifs non tenus par l'entreprise ? Si la contrepartie est incantatoire, c'est un chèque en blanc… », prévient Jérôme Guedj, de l’aile gauche du PS.
« Y aura-t-il des conditions ou seulement de vagues objectifs ? Pour l'instant, le discours présidentiel semble exclure quelque chose de contraignant, comme le souhaite d’ailleurs le patronat », déplore Laurent Baumel, qui déplore aussi le flou du financement et l'absence de précisions sur la future réforme fiscale. Au moment de la discussion au Parlement, les débats entre le gouvernement et la majorité risquent donc de se focaliser sur ces fameuses contreparties. Le virage social-libéral, lui, ne sera pas mis en cause.
Enfin, les uns et les autres ont conscience de l’absurdité de crier trop fort alors qu’ils voteront tous, ou presque, “oui”. Comme François Hollande l’a annoncé, le « pacte de responsabilité présidentiel » (suppression de 35 milliards de cotisations familiales d'un côté, promesses de plus d'embauches par les entreprises de l'autre) fera l'objet d'un vote de confiance au Parlement : voter contre, ce serait forcément sortir de la majorité, un pas que très peu de parlementaires de la majorité sont prêts à franchir. « La majorité n’a jamais manqué au président et elle ne lui manquera pas », assure Matthias Fekl, qui convient que la démarche est « assez brutale ». « Ce sont les joies de la Ve République... », déplore ce social-démocrate assumé, partisan d’une réforme des institutions.
Pour Guillaume Balas, responsable du courant Un monde d’avance au PS (proches de Benoît Hamon), « cela revient à mettre les partis et groupes parlementaires en dehors de la mise en mouvement de la société voulue par Hollande. Si l'on annonce d'ores et déjà qu'il y aura un vote de confiance du gouvernement, comment fait-on si finalement, le gouvernement refuse les amendements et impose le pacte comme il l'entend ? Ça, ce n'est pas la social-démocratie, c'est de l'autoritarisme à la sauce Ve république ».
« La confiance amène tout le monde à se positionner, nuance Thierry Mandon. Ça ne déstabilisera pas la majorité : la confiance sera votée à une ou deux exceptions près et il n’y aura sans doute pas besoin des voix de la droite. Mais en effet, c’est de nature à cristalliser des désaccords existants, à faire apparaître deux gauches. Il n'y a pas de raison que ceux qui ne sont pas à l'aise depuis le début le soient davantage. » Parmi ceux-là, Barbara Romagnan déplore « quelque chose qui ressemble à un coup de force institutionnel, une pratique qui exagère les travers antidémocratiques de la Ve République, contre laquelle la gauche se plaint toujours quand elle est dans l’opposition ».
La députée du Doubs refuse de dire aujourd’hui si elle votera ou non la confiance au gouvernement. Pouria Amirshahi, lui, dit clairement qu’il « n’envisage pas de voter pour quelque chose avec lequel (il n'est) pas d'accord à ce stade ». Si la rupture n’est pas actée, tous deux semblent déjà avoir un demi-pied en dehors de la majorité. « Si certains veulent partir, tant pis. Il faut se méfier des révolutionnaires en herbe… », lance ce proche de François Hollande, cinglant.
Côté écologistes, le vote de confiance du pacte de responsabilité n’est pas le premier des problèmes. Le président du groupe EELV au Sénat, Jean-Vincent Placé, se fait même bienveillant, bien plus enclin à s’accorder avec les socialistes depuis que le congrès de son parti (qui se gagne souvent plus à gauche que lui) est passé.
« Je veux croire qu'il y a une volonté de mieux traiter le débat démocratique, notamment en amont dans la majorité, explique-t-il. Le vote de confiance, ce n'est pas une procédure que j'apprécie, Jospin n'avait jamais utilisé le 49.3, mais le PS n'avait pas la majorité à lui tout seul. En engageant la confiance du gouvernement, ça oblige la majorité, mais ça permet aussi que la droite ne vote pas le pacte de responsabilité, ce que certains auraient peut-être fait. »
En quelques mots, le député Christophe Cavard résume le dilemme. « Je ne pourrai jamais cautionner le fait qu'on réponde à la crise de système à laquelle nous sommes confrontés par une politique de l'offre. C'est à contresens de l'écologie politique. Mais en même temps, je suis en accord avec d'autres points mentionnés par Hollande et je pense toujours qu'on est plus efficace dedans que dehors. Donc oui, on va faire le grand écart. » Cavard explique toutefois que « voter le texte du président de la République en l'état lui poserait un problème ».
« Les écologistes continuent de rechercher désespérément des compromis et le bon Dieu dans les détails », soupire Noël Mamère, qui a lui aussi quitté EELV pour protester contre la participation gouvernementale des écologistes mais reste membre du groupe écolo à l'Assemblée. Il dit « ne pas encore savoir » s’il votera le « pacte de responsabilité ».
Pour la secrétaire nationale du parti écologiste, Emmanuelle Cosse, EELV est « au milieu du gué ». « Nous sommes des partenaires fidèles mais aussi extrêmement exigeants. Alors, nous attendons des clarifications et des actes concrets. Nous ne sommes pas opposés à l'idée de faire des économies, mais encore faut-il qu'elles soient justes et décidées collectivement. Par exemple, l'EPR, la ligne Lyon-Turin ou l'argent donné au Rafale seraient des économies souhaitables. » Ce qui inquiète davantage les Verts, c’est surtout l’absence de parole présidentielle sur la transition énergétique (« enfin, hormis de savoir que le pape va sauver le climat… », persifle l’un d’entre eux, allusion à la longue tirade de François Hollande sur le pape lors de sa conférence de presse).
« Le vote sur le pacte de responsabilité aura lieu juste après les européennes, au même moment que sera inscrite au conseil des ministres la loi sur la transition énergétique, explique Stéphane Sitbon, proche conseiller de la ministre Cécile Duflot. Mais est-ce que la seule loi sur la transition énergétique peut nous faire accepter le reste, l'orientation économique ou Manuel Valls premier ministre ? »
Pour autant, la situation ne serait pas si désespérée pour les écologistes : « On est beaucoup moins dans la merde que le PS, au bout du compte. Nous n'avons pas à nous renier sur nos valeurs et Hollande nous laisse un espace politique et électoral. Nous sommes au-dessus du Front de gauche dans les sondages, ce qui invalide pour l'instant l'hypothèse de Mélenchon de rester en dehors du jeu. Le plus essentiel désormais va être l'évolution de notre rapport de force électoral avec le PS. Depuis la présidentielle, on est dans un rapport de 1 à 15 (2 % d’Eva Joly contre 30 % de François Hollande, ndlr). Si au sortir des municipales et des européennes, on passe de un à deux, on ne nous parlera pas pareil. »
Pour Noël Mamère, le risque est surtout de voir Hollande renverser son alliance. « Il est en train d'installer les jalons qui vont le conduire à redéfinir l'architecture de sa majorité en direction des centristes. » De fait, les leaders centristes ne tarissent pas d’éloges depuis deux jours. « Baisser les charges des entreprises et les dépenses publiques : Hollande s'inscrit dans la tradition libérale française, se rengorge Yves Jego, député UDI. Et à court terme, il prive l'UMP de l'oxygène de ce discours-là. »
Dans Le Monde daté du vendredi 17 janvier, le président de l’UDI Jean-Louis Borloo fait assaut d’amabilités envers François Hollande : « Il y a eu un changement d'état d'esprit (...). Nous ne serons pas dans le "non" systématique. Chaque fois qu'il y aura une mesure qui ira dans le bon sens, nous la voterons. »
Certes, il n’est pas encore question d’alliance ou de restructuration d’ampleur de la majorité. « Un tel changement de majorité n’est possible que devant les électeurs, pas au cours d’un mandat », rappelle Matthias Fekl. De toute façon, Hollande n’en a pas besoin pour le moment et les centristes se méfient encore. « Hollande profite de l’extrême faiblesse de sa majorité pour tenter un début de reconversion du système, explique le président du Nouveau Centre, Hervé Morin. Sur la forme, c’est pas mal. Il utilise pour la première fois au PS le mot “social-démocrate”. Mais je n’y crois pas car Hollande s’est renié sur tout… »
« Hollande, ce n'est pas Tony Blair, encore moins Churchill, explique Yves Jego. Pour l'heure, j'ai plutôt l'impression qu'il s'apprête à gravir l'Himalaya en tongs. » Mais il affirme aussi que si « Hollande changeait le mode de scrutin, il se donnerait un peu plus de chances de reformater la majorité sur laquelle il est assis ». Une façon, pas subliminale du tout, de suggérer d’éventuelles futures alliances si Hollande intègre dans son programme de la présidentielle de 2017 une dose de proportionnelle à l’Assemblée…
« Hollande agit comme s'il recherchait désormais la “France unie” (le slogan de Mitterrand en 1988 – ndlr), estime ce député PS. Après avoir désintégré la gauche, il veut désintégrer la droite. Et en 2017, être le candidat naturel de la droite et de la gauche… » « Si Hollande réussit ce pari, si la droite le suit, créant ainsi les conditions d'une nouvelle équation politique, alors ce sera sans moi », prévient déjà Pouria Amirshahi. C’est aussi ce que pourraient se dire bien des électeurs de gauche.
BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été interrogées mercredi 15 et jeudi 16 janvier par les auteurs. Les propos de François Rebsamen ont été recueillis par Lénaïg Bredoux.
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