« Des mesures d’une ampleur inédite », c’est par ces mots que François Hollande a présenté mardi lors de sa conférence de presse le plan de relance de l’éducation prioritaire dévoilé aujourd’hui en conseil des ministres. Des mots forts… au risque d’un peu décevoir ceux qui attendaient beaucoup sur un sujet aussi essentiel et sur lequel, jusqu’ici, le ministre de l'éducation, Vincent Peillon, s’est toujours montré d’une très grande prudence.
Décharges horaires pour les enseignants de zone d'éducation prioritaire (ZEP) et doublement de leur prime dans les établissements les plus difficiles, hausse des moyens pour la formation continue, les grandes lignes de son plan présentées par le ministre de l’éducation nationale visent essentiellement à améliorer les conditions de travail des enseignants de ZEP pour stabiliser un peu plus les équipes de ces établissements soumis à un très fort turn over.
Compte tenu des faibles marges budgétaires, ces mesures ne seront appliquées à la rentrée prochaine que dans une centaine d’établissements avant d’être étendues au noyau dur que sont aujourd’hui les 300 réseaux ECLAIR. Si la carte de l’éducation prioritaire, aujourd’hui inadaptée – avec des écoles ou des collèges qui devraient y être et n’y sont pas et d’autres qui n’ont plus rien à y faire –, sera revue, l’architecture d’ensemble ne change pas (lire l'onglet Prolonger).
Moins qu’une réelle refondation de l’éducation prioritaire, c’est donc un nouveau plan de relance, dans la continuité des politiques menées jusque-là, qui a été présenté.
Absente de la loi d’orientation et de programmation pour l’école, l’éducation prioritaire est une question identitaire pour la gauche qui l’a inaugurée en 1982 sur le principe du « donner davantage à ceux qui ont moins » et l’a, depuis, « relancée » pratiquement à chaque fois qu’elle est revenue au pouvoir. Un signe qu’il s’agit bien d’une composante essentielle du logiciel socialiste sur l’école mais un signe, aussi et surtout, que depuis qu’elle a été lancée en 1982 par Alain Savary, elle n’a jamais vraiment rempli ses promesses. Ainsi, les résultats de la dernière enquête PISA a mis en lumière la spécificité française en matière d’inégalités scolaires, avec des résultats scolaires corrélés comme nulle part ailleurs au milieu social d’origine.
Une récente enquête de la DEPP montrait que le retard scolaire à l’entrée en 6e est deux fois plus important en éducation prioritaire qu’ailleurs (pour le noyau dur de l’éducation prioritaire que sont actuellement les 300 réseaux ECLAIR), que les élèves y échouent deux fois plus au brevet et, plus inquiétant encore, que depuis 2007 la proportion d’élèves qui maîtrisent les compétences de base en français parmi les collégiens des Éclair est en baisse. Par ailleurs, la ghettoïsation des établissements, renforcée par l’assouplissement de la carte scolaire, n’a jamais été aussi forte avec des écarts de résultats entre établissements favorisés ou non de plus en plus marqués.
Quel bilan ! Comment l’engagement de compenser les difficultés sociales, territoriales, par des moyens spécifiques a-t-il pu à ce point échouer ?
Première piste : la grande fiction des moyens entretenue depuis trente ans. La Cour des comptes l’a récemment rappelé, l’engagement de donner plus à ceux qui ont moins n’a, en réalité, jamais été tenu. Le surcoût de cette politique représente 1,56 % dans le budget de l’éducation nationale alors même que 20 % des élèves y sont désormais scolarisés. L’OCDE note aussi que dans les pays où l’éducation prioritaire a fonctionné, le double est en réalité investi. Au cœur de ce sous-investissement, le fait que les enseignants en éducation prioritaires y sont affectés en début de carrière et en partent dès qu’ils le peuvent. Les salaires y sont structurellement plus bas. « L’offre scolaire est aussi régie par une immense ségrégation avec une concentration des options dans les établissements de centre-ville », rappelle de son côté le chercheur Pierre Merle auteur notamment de La Ségrégation scolaire (La Découverte, 2012). Autre chiffre, en Seine-Saint-Denis – où se concentrent les établissements prioritaires –, seuls 5 % des enfants sont scolarisés avant trois ans contre 13 % en moyenne.
Au-delà pourtant de cette question budgétaire – évidemment cruciale et dont rien dans les pistes présentées aujourd'hui ne permet de penser que cette sous-dotation va prendre fin –, l’éducation prioritaire a aussi largement perdu au fil des années son cap et sa boussole, comme en témoigne la multiplication des acronymes et sigles la désignant : Eclair, RRS, RAR, ZEP… où plus personne ne se retrouve.
« Il y a eu un empilement depuis trente ans de conceptions politiques autour de l’éducation prioritaire », souligne Marc Douaire, le président de l’Observatoire des zones prioritaires. Pour son concepteur Alain Savary, le ministre de l’éducation de François Mitterrand, cette politique s’inscrivait dans une logique de territoire et associait donc naturellement les collectivités locales et les associations. Ministre déléguée à l’enseignement scolaire sous Jospin, Ségolène Royal a initié, quant à elle, un recentrage sur les établissements. « On est dans des situations de villes périphériques pour lesquelles le gouvernement acte qu’il ne peut pas grand-chose, donc on se recentre sur le scolaire et on se met à souligner l’importance de la pédagogie », précise Marc Douaire qui connaît cette histoire par cœur.
Plus récemment, la droite a développé une logique de promotion de la réussite individuelle dans les ZEP dont Nicolas Sarkozy estimait qu’il était d’ailleurs temps qu’elles « déposent le bilan ». Il n’y a plus d’aspiration à la promotion d’une classe d’âge dans son ensemble mais il s’agit juste d’offrir une planche de salut aux élèves méritants à travers différents dispositifs : internats d’excellence, convention ZEP-Grandes écoles... La création du label ECLAIR (pour les établissements les plus difficiles de l’éducation prioritaire) sous le précédent quinquennat est à ce titre (l’UMP ne s’en est d’ailleurs jamais cachée) moins une énième relance de cette politique qu’une expérimentation grandeur nature des vertus d’une gestion managériale et libérale dans l’éducation (lire aussi notre article).
« L’une des difficultés, c’est que ces conceptions ne se sont pas annulées entre elles, elles se sont emboîtées », relève Marc Douaire.
Dans cette histoire chaotique, aucune évaluation systématique n’est non plus venue rendre compte de l’efficacité des dispositifs développés dans ces établissements. Pire, les quelques études sérieuses parce qu’elles dérangeaient politiquement ont même été enterrées. Alors que l’essentiel des – maigres – moyens des ZEP étaient attribués à la baisse du nombre d’élèves par classe, au vu des faibles résultats obtenus, la rue de Grenelle a, par exemple, conclu que ce facteur n’était pas décisif. « On a arrosé le désert », nous disait sans détour un haut fonctionnaire du ministère.
Dans une étude de 2006 qui fait aujourd’hui référence, Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire ont pourtant montré qu’en ZEP les différentiels étaient trop faibles – deux à trois élèves de moins par classe en moyenne – pour être significatifs. Pour ces économistes, les effets bénéfiques de la réduction des classes se font sentir en baissant beaucoup plus sensiblement le nombre d’élèves par classe, ce qui peut se faire – précisent-ils – à moyens constants à condition de réellement redistribuer à ceux qui en ont vraiment besoin.
« Cette étude embête le ministère, assure Pierre Merle. Elle montre que si on rajoute un élève là où ça va bien, on peut en supprimer quatre à cinq dans les établissements les plus en difficulté. Le problème, c’est que cela revient à prendre à ceux qui ont le plus et que cela, politiquement, Peillon pense que c’est impossible. » La récente colère des professeurs de classes prépa autour de leurs heures sup a prouvé qu’il n’avait sans doute pas tort…
Autre exemple de l’incurie des pouvoirs publics sur le dossier, le ministère annonce aujourd’hui que l’éducation prioritaire doit devenir « le lieu privilégié de l’innovation pédagogique », comme l’a déclaré Vincent Peillon en conseil des ministres. Elle l’a en réalité toujours été mais sans que les innombrables innovations pédagogiques menées en ZEP n’aient, là non plus, été réellement évaluées. Comme si l’on craignait que les résultats ne soient pas bons…
Ce qui fait dire à Pierre Merle que « le bilan scientifiquement globalement négatif a été édulcoré, travesti par différents processus », essentiellement « par la nécessité de légitimer l’action politique ».
Pourtant la perspective d’une véritable réforme d’ampleur de l’éducation prioritaire a bien été un moment sur la table. Le rapport issu de la concertation sur l’école organisée à l’été 2012 avait de manière inédite pris acte de l’échec de cette politique allant jusqu’à parler de « discrimination négative» à l’égard des ZEP. La chercheuse Nathalie Mons, qui dirigeait les travaux de concertation, avait alors prôné la fin des labels jugés stigmatisants et contre-productifs puisqu’ils provoquaient la fuite des familles. Dans son discours inaugural sur l’école, le 9 septembre 2012, François Hollande avait repris à son compte l’idée qu’il était effectivement temps de faire table rase.
« Le système éducatif a accumulé les dispositifs, souvent résumés à autant d'acronymes plus ou moins heureux : ZEP, Eclair, ZRR et bien d'autres. Et ce faisant, la labellisation n'a pas toujours su éviter le piège de la stigmatisation. » Sortir des labels, c’était sortir des rails confortables de la politique menée depuis trente ans. C’était ouvrir un immense et complexe chantier pouvant se heurter à une série d’intérêts pas toujours convergents : ceux des maires et de la politique de la ville, ceux des enseignants, des familles…
Et sans aucun doute ouvrir de nouveaux fronts. Aujourd’hui, Vincent Peillon n’en a manifestement plus les moyens.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Prettify CSS et HTML