« Il n’y a pas de tournant. » Tout au long de sa conférence de presse, François Hollande s’est employé à nier un changement de politique. Pourtant, comment ne pas voir la rupture consommée entre le pacte de responsabilité annoncé le 14 janvier et le discours du Bourget, censé être toujours sa référence ? Même le mot socialiste est gommé pour être remplacé par social-démocrate.
D’une certaine façon, pourtant, François Hollande n’a pas totalement tort de dire qu’il n’y a pas de changement dans sa démarche : elle s’inscrit dans le droit fil du tournant engagé en 1983. En actant le choix d’une politique de l’offre, François Hollande revient aux fondements de ce qui a été à l’origine de la grande rupture des socialistes depuis trente ans : l’Europe reste l’horizon indépassable pour la gauche française, et la politique de Gerhard Schröder comme une référence incontournable, fût-ce au prix de l’enterrement du socialisme.
Les dirigeants socialistes espagnols, grecs, portugais sont aussi passés par ce chemin de Damas : l’Europe, bien qu’elle ait été portée et construite par les sociaux-démocrates pendant des décennies, dissout la social-démocratie et même toute référence à un modèle social européen. Mais qu’importe ! Il convient de poursuivre le projet. « Je ne laisserai personne toucher à l’Europe et à l’euro », a martelé François Hollande à plusieurs reprises durant sa conférence de presse, soulignant que tout retour en arrière, tout aménagement à la carte, comme le souhaitent les Britanniques, étaient impossibles.
S’érigeant en héritier naturel de Jacques Delors, François Hollande a toujours pris l’Europe comme la boussole de sa politique. Conseiller à l’Élysée au début des années 1980, il a été aux premières loges au cours de cet automne terrible de 1982 : le gouvernement déboussolé par la crise des changes, menacé de devoir faire appel au FMI, sauvé in extremis par un prêt de l’Arabie saoudite, se déchirait sur la conduite à tenir. François Hollande s’était rangé d’emblée derrière le ministre des finances, Jacques Delors, qui prônait une rupture politique et un alignement sur l’Europe. Après des mois de tergiversations, François Mitterrand finit par choisir cette option, sans jamais l’assumer.
Pour la gauche, ce tournant de la rigueur reste une blessure à vif. Pendant des années, une partie des socialistes se sont payé de mots, parlant de parenthèse, jurant qu’ils ne renonçaient pas à leurs idéaux de gauche. François Hollande n’a jamais été de ceux-là. De l’acte unique au traité de Maastricht en passant par le référendum de 2005, il a toujours pris l’Europe comme son premier axe politique. Aujourd’hui encore, alors que l’ensemble de la zone euro et la France se retrouvent dans une extrême difficulté, c’est cette voie qu’il choisit. Désormais, son gouvernement se rallie sans hésiter à la ligne de conduite dictée par Bruxelles.
Ce ralliement était attendu avec impatience par la commission européenne. Dès mercredi matin, le porte-parole de la commission s’est félicité de voir la France adopter les mesures qu’elle recommandait : le verrou français venait de sauter. « Nous considérons que les objectifs du pacte de responsabilité sont en ligne avec les recommandations que nous avions faites l'année dernière. Nous avions fixé un cap et nous sommes contents de voir que les propositions d'hier vont dans la bonne direction », a-t-il déclaré. Un moment a été particulièrement apprécié à Bruxelles : lorsque François Hollande a annoncé qu’il renonçait à toute nouvelle augmentation de la fiscalité et optait à l’avenir pour des réductions des dépenses et des réformes structurelles. C’est exactement ce que la commission préconise depuis le début de la crise, et continue de recommander, même si les résultats escomptés sont loin de répondre aux prévisions.
Qu’espère François Hollande avec ce choix ? Des emplois, éviter que la France ne décroche, a-t-il répondu lors de sa conférence de presse. Le jeu de la monnaie et du marché uniques est implacable. Tous les pays se trouvant en concurrence, aucun ne peut plus faire bande à part. À partir du moment où l’Allemagne mène une politique mercantiliste et de réduction sociale, où l’Espagne et l’Italie s’engagent à leur tour dans des politiques d’austérité, de dévaluation interne reposant sur la réduction des salaires et des prestations sociales, la France ne peut rester à l'écart, sous peine de voir fuir toutes les entreprises et les emplois, puisqu’il n’y a plus aucune barrière aux délocalisations au sein de l’Europe.
Difficile pour un Européen convaincu d’avouer que l’Europe qu’il a défendue pendant trente ans comme une construction de paix et de prospérité aboutit en fait à placer les pays, leur économie, les populations, dans une situation de fragilité inconnue depuis des décennies. Alors plutôt que de reconnaître l’erreur, il est plus facile de dire que le chômage, la récession, l’étouffement progressif de toutes les forces vitales sur le continent sont dus au fait que seulement une moitié du chemin a été parcourue.
À la différence de toutes les autres constitutions qui sont neutres et n’interdisent pas de changement de politique, les traités européens, comme le rappelle Robert Salais dans Le Viol d’Europe (voir vidéo ici), ont inscrit dans le marbre les règles d’une politique néolibérale : la liberté des capitaux, la fin des barrières douanières, la concurrence libre et non faussée, la non-intervention des États, la déréglementation, sont des principes intangibles. Tous ceux qui ont essayé de modifier même à la marge ces préceptes s’y sont cassé les dents.
La crise de la zone euro, qui a marqué à la fois la défaillance du modèle libéral et les graves manques de la construction européenne, aurait pu provoquer des changements. Au contraire. Loin de reconnaître les erreurs passées, l’Europe, sous l’influence conservatrice d’Angela Merkel et de ses alliés, a encore raidi sa ligne de conduite, mettant sur le dos des États et des protections sociales une crise provoquée par les dérèglements du monde financier. Depuis le démantèlement méthodique de tous les systèmes, sociaux, au nom de la sauvegarde de l’euro – surtout – et de l’Europe – un peu – s'est accéléré.
Après son élection, François Hollande était vivement attendu par nombre de pays de l’Europe du Sud qui espéraient qu’il ferait entendre une autre voix, tenterait de dessiner un autre chemin. Il ne s’y est même pas essayé. À peine installé à l’Élysée, il s’est empressé de faire adopter le traité budgétaire européen (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG), imposant un contrôle strict des budgets des pays par la commission européenne avant même les parlements nationaux, sans en modifier une virgule, en dépit de ses engagements durant la campagne présidentielle. Par la suite, il n’a rien dit sur... rien. Ses silences sont devenus proverbiaux lors des réunions des gouvernements européens, ce qui a d’abord plongé ses interlocuteurs dans la perplexité puis les a amenés à penser que la France n’avait rien à dire.
François Hollande a souligné l’arrivée des socialistes allemands au sein de la grande coalition, ce qui allait permettre de faire adopter un salaire minimum en Allemagne, s’était-il félicité. A-t-il l’illusion que cela va changer le cours de l’histoire ? Dans ce cas, sa déception risque d’être grande. Les forces déchaînées du monde financier vont continuer à agir. Notre modèle social, déjà bien abîmé, n’y résistera pas, quels que soient les engagements pris par François Hollande.
« Il faut libérer les forces créatrices », a répété ce mercredi le ministre britannique des finances, George Osborne. À l’appui de sa démonstration, il reprenait les chiffres d’Angela Merkel s’indignant de la cherté des modèles européens : « L’Europe compte 7 % de la population mondiale, représente 25 % de l’économie mondiale mais 50 % des dépenses sociales dans le monde. Cela ne peut pas durer ainsi », a-t-elle expliqué à plusieurs reprises.
Le programme est fixé. Un démantèlement va suivre l’autre. L’annonce de la suppression des allocations familiales payées par les entreprises était à peine faite que déjà le patronat demandait de nouvelles réformes. Les allocations chômage ? Bien trop généreuses et un frein à l’emploi. La sécurité sociale ? Un gouffre à juguler de toute urgence en laissant la place aux assurance privées. Le code du travail ? Un pavé qui vitrifie le marché du travail.
La logique infernale, dans laquelle tous les pays européens sont pris, va se poursuivre. Il ne s’agit pas seulement de conduire une politique de l’offre, en réduisant les barrières et les obstacles qui briment les entreprises. Nous voilà entraînés dans une concurrence folle où tous les pays européens vont se retrouver en rivalité les uns avec les autres, où le moins-disant fiscal et social sera la norme.
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