Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Rue du Cirque: l'appartement, le banditisme corse et la sécurité du président

$
0
0

Le président était-il en danger ? L’hypothèse d’une grave défaillance à l’Élysée sur la sécurité du chef de l’État dans l’affaire de la rue du Cirque se renforce. Les liens avec le grand banditisme corse d’Emmanuelle Hauck, qui a prêté son appartement à François Hollande pour ses rencontres secrètes, se révèlent en effet étroits, d’après plusieurs témoignages policiers et documents judiciaires.

Des policiers ou gendarmes spécialisés dans la protection des hautes personnalités, contactés par Mediapart, font aujourd’hui état de manquements dans la protection du président, s’agissant des « antécédents » de l’appartement qu’il a fréquenté à une dizaine de reprises secrètement, d’après l’Élysée, pour des raisons privées. Entretenir ainsi une relation cachée dans un lieu qui a des liens objectifs avec le grand banditisme corse, c’est prendre un risque non seulement d’image, mais aussi de potentiel chantage pour le président de la cinquième puissance mondiale.

Emmanuelle Hauck (à gauche) dans la série "Mafiosa"Emmanuelle Hauck (à gauche) dans la série "Mafiosa" © Angela Rossi/Image & Compagnie/Canal+

« Partout ma sécurité est assurée, a assuré François Hollande mardi, lors de sa conférence de presse semestrielle. À tout moment, dans tous mes déplacements, publics et privés. » Mais l’Élysée a fait savoir dans Le Monde qu’aucune enquête n’avait été officiellement diligentée sur l'environnement humain de l’appartement prêté au chef de l’État. « On a manqué de prudence », réagit Denis Roux, aux manettes du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) de 1999 à 2002. « On aurait mis cet appartement sous surveillance », confie, sous couvert d’anonymat, un autre ex-patron du GSPR.

Car Emmanuelle Hauck, la “logeuse”, n’est pas seulement la mère des enfants de Michel Ferracci, ancien directeur des jeux du Cercle Wagram dont les liens avec le grand banditisme corse ont été révélés par la justice, et la veuve de François Masini, assassiné en Corse, le 31 mai 2013, sur fond de règlement de comptes. Les différents documents et écoutes judiciaires auxquels Mediapart a eu accès montrent que l’actrice – elle a joué dans la série Mafiosa – était également, après sa séparation, en contact régulier avec Jean Testanière, ex-secrétaire général du cercle de jeux, condamné à deux ans de prison (dont un ferme) pour « abus de confiance » et « association de malfaiteurs », le 4 novembre 2013.

Selon les mots du président du tribunal, Testanière, également visé par une enquête judiciaire pour un emploi fictif à la mairie de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), dirigée par l’UMP Patrick Balkany, a joué un « rôle assez essentiel » dans le système de détournement d’argent du cercle, destiné à financer le gang de la Brise de Mer.

La Brise de Mer, qui tient son nom d’un ancien bar du vieux port de Bastia où ses membres avaient l’habitude de se retrouver, sévit en Corse depuis le début des années 1980 à coup de braquages et d’expéditions punitives. L’enquête menée par les juges Serge Tournaire et Hervé Robert dans le cadre de l’affaire Wagram a permis d’établir que le cercle de jeux était contrôlé « depuis plusieurs années par des individus affiliés au banditisme corse, tels que les frères Jean-Angelo et Francis Guazzelli et Richard Casanova (assassiné en avril 2008 – ndlr) », trois figures du gang bastiais.

Le cercle WagramLe cercle Wagram © © Clubpoker.net

La “logeuse” de François Hollande, qui n’a pas donné suite à nos appels, apparaît dans plusieurs écoutes judiciaires sur le gang corse, au plus fort des guerres fratricides de la Brise de Mer pour l’héritage de la machine à cash que représentait le Wagram.

Dans une des écoutes versées au dossier, Michel Ferracci, le père des enfants d’Emmanuelle Hauck, raconte par exemple à Jean Testanière que l’actrice a rencontré un homme ayant eu un passé trouble « comme certaines de ses connaissances » et qu’il est ennuyé car il ne souhaite pas que ses enfants soient élevés « par un voyou ».

Testanière tente alors de le rassurer en lui disant que « Manu » (Emmanuelle Hauck – ndlr), avec qui il est encore en contact, avait simplement dit que cet homme avait « un entourage semblable à celui de Michel ». C’est-à-dire peu fréquentable… Dans leurs retranscriptions, les enquêteurs indiquent que les arguments de l’ex-secrétaire général du Wagram inquiètent « encore plus Michel car il craint que ce soit “des gens avec qui (il n’est) pas bien” ». Comprendre : d’un clan rival.

Le lendemain, les deux hommes ont une nouvelle conversation sur le sujet. Michel Ferracci croit avoir trouvé le nom du nouveau compagnon de la “logeuse” de Hollande. « Michel ajoute que cette personne connaît le frère de “son ami” avec qui se trouve Jean et dont il ne veut pas prononcer le nom au téléphone, peut-on lire dans les retranscriptions. Michel explique qu’il sait comment ça se passe en Corse et que comme il est patron du cercle Wagram, il a du se renseigner auprès de certaines personnes qui lui ont dit qu’il pouvait sortir avec son ex. »

Les enquêteurs soupçonnent alors Jean-Angelo Guazzelli, considéré comme l’un des parrains de La Brise de Mer, d’être cet « ami » dont le nom n’est jamais prononcé au téléphone. Officiellement producteur d’huile d’olives, celui que l’on surnomme “Angelo” et que la justice présente comme « l’ex-cerveau » du Wagram, a été condamné le 4 novembre 2013 à 3 ans de prison dont 2 fermes et 100 000 euros d’amende.

Angelo Guazzelli et son avocat Me Jean-Charles Vincensini. Angelo Guazzelli et son avocat Me Jean-Charles Vincensini. © © Corse-Matin

Quelques heures après avoir tenté de calmer Michel Ferracci, Jean Testanière est de nouveau en conversation téléphonique, mais cette fois-ci avec Emmanuelle Hauck elle-même. Selon les retranscriptions des enquêteurs, il assure à l’actrice que « notre ami », dont il faut « taire le nom », est « à fond » pour elle. Hauck demande alors à Testanière si son ex-compagnon a parlé à « notre ami », ce à quoi il répond par la négative, ajoutant que Michel Ferracci n’ose pas car il a peur.

Ces écoutes judiciaires permettent de mettre en lumière un autre fait intéressant : « notre ami », celui dont on tait le nom, et que les enquêteurs soupçonnent être Jean-Angelo Guazzelli, donne visiblement à Emmanuelle Hauck sa bénédiction quant au couple qu’elle forme avec son nouveau compagnon. Reste à comprendre les raisons pour lesquelles une figure du grand banditisme corse dit à une actrice si oui ou non elle peut fréquenter tel ou tel homme.

Après s'être officiellement séparée de Michel Ferracci, Emmanuelle Hauck a vécu avec François Masini, un autre Corse connu des services de police pour des affaires de braquage et que les autorités judiciaires disaient « proche de La Brise de Mer ». Ce dernier a été assassiné le 31 mai 2013, dans la commune de San-Nicolao (Haute-Corse). L’avis de décès mentionne Emmanuelle Hauck comme sa compagne. Ce commerçant de 48 ans, que Corse-Matin décrit comme « très impliqué professionnellement dans sa microrégion (de Sante-Reparata-di-Moriani, en Haute-Corse – ndlr) », avait déjà été blessé en octobre 1993 lors d’une fusillade en plein centre-ville de Bastia.

Selon le quotidien, cette ancienne affaire n’aurait aucun lien avec l’assassinat du compagnon d’Emmanuelle Hauck et la « méthode bien rodée » employée par ses tueurs : « guet-apens, action, et repli sans laisser de trace. » Dans le cadre de l'enquête menée par l’antenne bastiaise de la direction régionale de la police judiciaire, les enquêteurs ont, selon Le Monde, interrogé à trois reprises l’actrice, en qualité de témoin. L’instruction est toujours en cours.

La voiture de François Masini, le jour de son assassinat en CorseLa voiture de François Masini, le jour de son assassinat en Corse © DR

Le nom de François Masini est réapparu quelques semaines après son assassinat dans l’affaire de « la fusillade de Castagniccia », où quatre hommes circulant en voiture ont été pris pour cibles, dans la nuit du 2 au 3 juillet 2013, sur la commune de Casabianca (Haute-Corse). Trois des victimes, « défavorablement connues des services judiciaires » et « sous surveillance des autorités judiciaires », étaient, selon Corse-Matin, considérées comme des proches du compagnon d’Emmanuelle Hauck, mais également de Christian Leoni, un chef d’entreprise présenté comme un membre de La Brise de Mer, lui aussi assassiné en octobre 2011.

Alors, François Hollande a-t-il eu vent des liens existant entre cet environnement dangereux et sa logeuse occasionnelle ? Depuis dimanche, l’Élysée a fait savoir – au Monde comme à Mediapart – que le chef de l’État ignorait tout du “pedigree” de l’appartement.

Nombre de questions restent donc ouvertes : les hommes du GSPR, le service chargé de la protection du président, avaient-ils repéré les « particularités » du logement (pour ne pas dire ses failles de sécurité) ou sont-ils passés à côté ? Les ont-ils plutôt signalées au chef de l’État, qui serait passé outre ? La patronne du GSPR, la commissaire divisionnaire Sophie Hatt, a-t-elle été mise au parfum – ou bien tenue à l’écart – de ces sorties par les « silhouettes » de François Hollande (ces deux agents qui ne le quittent pas d’une semelle) ?

Sophie HattSophie Hatt © DR

Sollicité par Mediapart, l’actuelle patronne du GSPR, n’a pas souhaité nous répondre, pas plus que ses adjoints.

Certains de ses prédécesseurs ont cependant confié leur étonnement. « On a manqué de prudence, on va dire ça comme ça », estime ainsi Denis Roux, aux manettes du GSPR de 1999 à 2002. Qui « on » ? Conscient qu’il lui manque des éléments, cet ancien gendarme ne veut accabler personne à distance. « Mais j’espère que tout le monde débriefe (au GSPR), réagit-il. Et qu’on arrive à comprendre ce qui s’est passé. » Une manière d’affirmer que ça n’aurait jamais dû arriver.

Pour sa part, aurait-il considéré comme un échec que « son » président se retrouve dans pareil appartement, avec le nom d’un Ferracci sur la boîte aux lettres et le parfum persistant d’un Masini dans le salon ? « On ne peut jurer de rien, déclare-t-il. Moi, je n’ai pas la tête dans le guidon. Mais je pense qu’à mon époque, le président n’y serait pas allé, j’aurais fait le maximum. Par rapport à la nature et aux antécédents de cet appartement… »

Un autre ancien patron du GSPR, ayant requis l’anonymat, se projette : « On aurait mis cet appartement sous surveillance, on aurait fait l’enquête sur les personnes qui le fréquentent. J’aurais dit au président : “Voilà ce qu’on a…” En voyage officiel ou déplacement privé, ça m’est arrivé de dire : “N’allez pas là !” parce qu’il y avait un risque. Par exemple que des micros soient posés, dans un hôtel qu’on n’avait pas dépoussiéré. Après, le président est seul juge. Quelles que soient les précautions émises par le GSPR, il a sa marge d’opinion. »

François HollandeFrançois Hollande © Reuters

De son côté, René-Georges Querry, aux manettes du service de protection des hautes personnalités de 1992 à 1995, ne semble toutefois pas considérer le « CV » de la rue du Cirque comme problématique a priori. « On ne peut pas évoluer en permanence dans un environnement aseptisé », lance-t-il.

Interrogé sur la probabilité que le GSPR ait ignoré l’existence même de Masini et Ferracci, René-Georges Querry précise : « Vouloir faire une enquête, c’est laisser des traces et mettre en danger la discrétion de la vie privée du président. Pour faire une enquête, il faut chercher dans des fichiers. Or si les officiers de sécurité ont accédé au fichier Stic, par exemple, ils l’ont fait sous le coude, dans des conditions douteuses que vous n’auriez pas manqué de dénoncer. Et si c’était sorti, ça aurait fait un scandale d’État : “Des enquêtes privées faites par des barbouzes !” Ils ont donc pris le risque, c’est tout. »

Il y aurait donc eu risque. Pour un ancien responsable policier proche de la « Sarkozie », en tout cas, « ce serait une erreur lourde de la part du GSPR si aucune enquête sur l’appartement n’a été menée », comme l’affirme Le Monde aujourd’hui. « C’est du travail basique ! Même si M. Ferracci n’a jamais occupé cet appartement, son nom est sur la boîte aux lettres. Une simple vérification permet de le passer au fichier. Imaginez qu’il se soit agi d’un groupe de djihadistes ! » Et l’ancien policier de pointer le doigt vers le ministre de l’intérieur : « Manuel Valls est forcément au courant. S’il ne dirige pas la police, qui la dirige ? Sophie Hatt a travaillé pour Lionel Jospin au même moment que Manuel Valls, il y a des liens de fidélité, de loyauté… » Sans doute l’accusation est-elle facile à porter.

À ce stade des informations, le journaliste Philippe Durant, auteur de l’ouvrage Haute protection (enquête parue en 2010 aux Éditions du Nouveau monde), s’en garde bien. « Une condition sine qua non des officiers de sécurité (du GSPR), c’est de ne pas faire remonter d’informations, sinon ce ne serait plus de la protection mais de l’espionnage. Ils savent tout mais ne disent rien. C’est leur intégrité. Je ne vois pas comment ça peut être remonté aux oreilles de Manuel Valls. »

Questionné dès dimanche par Mediapart, le cabinet du ministre a assuré que « le GSPR (avait) une autonomie totale de fonctionnement, renforcée par la pratique de la cohabitation. Car il n'était pas concevable que le ministre de l'intérieur soit au courant de la vie privée d'un président. » Un bon moyen d’éviter les questions un peu trop gênantes.

BOITE NOIREUne demi-douzaine de journalistes ont participé à la rédaction de cet article. Les personnes citées ont été contactées lundi 13 et mardi 14 janvier.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Prettify CSS et HTML


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles