Interrompu depuis le 20 décembre, le feuilleton du futur procureur de la République financier reprend en catastrophe. Dernier épisode en date : le ministère de la justice a enfin fait connaître aux magistrats et au CSM, ce mardi, ses candidats pour les six premiers postes qui doivent être pourvus au plus tard le 1er février.
Comme on pouvait s'y attendre depuis les révélations de Mediapart le 9 décembre, le nom de Catherine Pignon, une magistrate compétente mais étiquetée à droite, a été retiré de la “short-list”, elle-même ayant préféré jeter l'éponge. C’est une autre femme, Éliane Houlette, 60 ans, sans sensibilité politique ou attache syndicale connue, qui est proposée par le ministère devant douze autres candidats (dont quatre hommes plus anciens dans le grade « hors hiérarchie ») pour devenir procureur financier.
Quant aux magistrats ayant la préférence de la Chancellerie pour entourer le procureur financier, ce sont Ulrika Delaunay-Weiss et Michel Pelegry (comme procureurs adjoints), Patrice Amar et Monica d’Onofrio (comme vice-procureurs) et Ariane Amson-Heilbronn (comme substitut). Deux de ces cinq candidats sont actuellement en poste au parquet de Paris, qui est le grand perdant de cette réforme annoncée ex abrupto après l’affaire Cahuzac.
Éliane Houlette a effectué presque toute sa carrière au parquet, en dehors de son premier poste de juge des enfants (à Blois, en 1978), et trois années passées dans les services centraux du ministère de la justice (de 1984 à 1987).
Elle a été en poste au parquet de Versailles, puis à la section financière du parquet de Paris (de 1993 à 2001), avant de devenir substitut général puis avocat général à la cour d’appel de Paris. Éliane Houlette siège, par ailleurs, au Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), en tant que commissaire du gouvernement, depuis juin 2012.
Ces six noms peuvent faire l’objet jusqu’au 20 janvier d’« observations » de la part des candidats malheureux, annonce le ministère de la justice dans sa circulaire de 5 pages, datée du 14 janvier, dont Mediapart a pris connaissance. Un délai qui semble très court, voire intenable, aux yeux des spécialistes, dans la mesure où des magistrats expérimentés, comme les (ex-)juges d'intruction Jean-Marie d’Huy, Henri Pons, Charles Duchaine ou Éric Halphen, notamment, avaient postulé.
Cet examen en urgence des six candidatures, ainsi que des inévitables recours à venir, par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) semble d’ores et déjà problématique pour tenir les délais légaux. Le procureur financier doit, en effet, être impérativement désigné par décret du président de la République le 1er février, date à partir de laquelle ce magistrat aura la compétence exclusive pour les délits boursiers.
Annoncée pour faire oublier l'affaire Cahuzac, la création d'un procureur de la République financier n'est pas la panacée. Ainsi, ce magistrat ne pourra se saisir lui-même des infractions de fraude fiscale. Le « verrou de Bercy » ayant été maintenu, c'est la commission des infractions fiscales, saisie par le ministre du budget, qui seule peut demander au parquet d'engager des poursuites.
Outre son mode de désignation (très politique), sa compétence (mal définie), le manque de moyens à la disposition du futur procureur financier est, lui aussi, souvent invoqué par ses contempteurs.
Selon la loi adoptée le 5 novembre dernier, « ce procureur aura une compétence nationale qu’il exercera concurremment à celle des autres parquets en matière de corruption d’agents publics étrangers et plus généralement d’atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, pantouflage, favoritisme, détournements de fonds publics) ou obtention illicite de suffrages en matière électorale, lorsque ces procédures apparaîtront d’une grande complexité ». « Il sera en outre compétent en matière d’escroqueries à la TVA de grande complexité ou de fraude fiscale complexe ou commise en bande organisée. Il disposera enfin d’une compétence exclusive en matière de délits boursiers. »
De fait, le procureur financier « dépendra hiérarchiquement du procureur général de Paris ». Placé à côté de l’actuel procureur de la République de Paris, François Molins, avec le même grade hiérarchique, il risque de dépouiller celui-ci de la plupart de ses dossiers sensibles... à condition que le procureur de Paris, François Molins, le veuille bien. La répartition des dossiers étant, en effet, la grande inconnue de cette dyarchie à venir, une usine à gaz qui risque de susciter rivalités et jalousies.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Prettify CSS et HTML