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François Hollande efface la gauche

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C’était il y a deux ans. Une éternité. Entre le discours du Bourget de François Hollande candidat et sa conférence de presse de président de la République, ce n’est plus une affaire de nuances, c’est une véritable rupture. Mardi, le chef de l’État a annoncé qu’il allait encore amplifier la politique économique lancée depuis un an et demi, en offrant 30 milliards d’aides supplémentaires aux entreprises et en lançant une nouvelle cure d’austérité. Au risque de se couper définitivement d’une partie de son électorat.

Dans le cadre du « pacte de responsabilité », annoncé lors de ses vœux, le 31 décembre, François Hollande veut supprimer, d’ici 2017, les cotisations familiales payées par les entreprises, soit 30 à 35 milliards d’euros. Et comme il tient également à réduire les déficits publics, il a annoncé un nouveau programme de réduction des dépenses de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale : au total, il s’agira d’une baisse sur trois ans de 50 milliards d’euros. Une somme très importante, qui vient s’ajouter aux 15 milliards déjà décidés pour 2014.

Preuve de l’importance de ce « pacte » : elles seront compilées dans un texte qui sera présenté au parlement au printemps et sur lequel le gouvernement engagera sa responsabilité. « Il ne s’agit pas de changer de chemin, il s’agit d’aller plus vite, d’aller plus loin, d’accélérer, d’approfondir. En 2014, l’enjeu n’est pas simplement que la France retrouve la croissance – elle se dessine. C’est que cette croissance soit la plus vigoureuse possible. Nous n’y parviendrons qu’avec la mobilisation de tous et notamment des entreprises, sans lesquelles il ne peut y avoir de créations d’emplois dans la durée », a justifié François Hollande devant près de 600 journalistes à l’Élysée.

Depuis son arrivée au pouvoir, en mai 2012, et singulièrement depuis l’automne 2012 et l’annonce du « pacte de compétitivité » qui a permis d’octroyer 20 milliards de baisses d’impôts aux entreprises, le président de la République a fait le choix d’une politique de l’offre, selon laquelle il faut restaurer les marges des entreprises pour qu’elles créent davantage d’emplois. Mais c’est la première fois que François Hollande l’assume aussi clairement.

« Le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. Oui, je dis bien sa production. Il nous faut produire plus, il nous faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’offre crée même la demande », a déclaré le chef de l’Etat lors de son intervention liminaire de 40 minutes. Une dernière formule directement tirée des travaux de l’économiste libéral du XIXe siècle Jean-Baptiste Say.

En échange, François Hollande va demander aux entreprises des « contreparties », définies au niveau national, mais « déclinées par branches professionnelles ». Il s’agira, selon le président, « d’objectifs chiffrés d’embauches, d’insertion des jeunes, de travail des seniors, de qualité de l’emploi, de formation, d’ouvertures de négociations sur les rémunérations et la modernisation du dialogue social ».

Dans ce cadre, il a promis la création d’un nouvel organisme au nom barbare, un « observatoire des contreparties ». Mardi, François Hollande a d’ailleurs montré son appétence pour les comités Théodule puisqu’il a également annoncé l’instauration d’un « conseil stratégique de la dépense », à l’Élysée, et d’un « conseil de l’attractivité ». Tout un champ lexical qui emprunte à la fois aux technos qui l’entourent et à un bain de culture libéral.

C’est aussi la première fois qu’il se revendique sans détour « social-démocrate ». Lors de sa dernière conférence de presse de mai 2013, il avait préféré s’en tenir à l’appellation de socialiste : « Vous me demandez qui je suis. C’est une question terrible. Je suis socialiste. Ai-je besoin de me dire social-démocrate ? Est-ce que ce serait mieux d’être social-démocrate ? Il se trouve que j’ai dirigé pendant des années le parti socialiste, je ne l’ai pas appelé le parti social-démocrate. C’est parce que je crois à certaines valeurs. Je suis devenu président de la République. Je suis donc au service de la France. Donc je suis un socialiste qui veut faire réussir la France. »

Sans surprise, les premières réactions, venues des syndicats ou de la gauche du PS jusqu’à l’extrême gauche, vont toutes dans le même sens : Hollande a cédé au patronat. Ses annonces de mardi sont en effet dans la droite ligne des propositions faites par le Medef. L’été dernier, son président, Pierre Gattaz, avait demandé un « pacte de confiance », prévoyant 100 milliards d’euros de baisses de cotisations et d’impôts sur les entreprises, censé permettre la création d’un million d’emplois. Si les ordres de grandeur diffèrent avec le « pacte de responsabilité » de François Hollande, la logique est bien la même. L'ancienne présidente du Medef, Laurence Parisot, ne s'y est pas trompée, sur Twitter :

Le président a logiquement multiplié les appels du pied à son opposition : « Le pacte de responsabilité, c’est une chance. Chacun doit la saisir. Pas simplement pour son intérêt, mais pour la France. Toutes les organisations professionnelles, toutes les familles politiques d’une certaine façon, tous les territoires sont concernés. » Une façon d’appeler à l’union nationale – et de placer, du même coup, l’UMP, mais surtout l'UDI et le MoDem, dans une position embarrassante. Interrogé sur sa différence avec son prédécesseur en terme de politique économique, Hollande a d’ailleurs commencé par répondre : « Ce qui nous distingue, déjà, c'est qu’il ne l’a pas fait… »

Rien, en revanche, n’a été fait pour rassurer la gauche, déjà échaudée par le « pacte de compétitivité » et par les 18 premiers mois du quinquennat. Les écologistes, qui avaient fait mine de se satisfaire de la mention faite lors des vœux du 31 décembre du projet de loi sur la transition énergétique, en sont cette fois pour leur frais. Mardi, il en a à peine été question, alors qu’il devait s’agir de la mise en œuvre d’une des plus importantes promesses de campagne.

François Hollande et son gouvernement, lors de la conférence de presse.François Hollande et son gouvernement, lors de la conférence de presse.

« EELV déplore l’absence de dimension environnementale du discours présidentiel », a réagi mardi soir le parti écologiste. Sa porte-parole, Sandrine Rousseau, « s’inquiète » également « d’un possible transfert vers les ménages. Si la baisse des cotisations familles des entreprises est un transfert vers la CSG, cela revient à reporter le poids de ces économies sur les ménages, ce qu’EELV ne peut cautionner ».

Le Front de gauche est évidemment furieux. « C’est un véritable “pacte d’irresponsabilité sociale” qu’a présenté François Hollande au cours de sa conférence de presse. Ses annonces sont une attaque profonde, un dynamitage en règle du modèle social et républicain français », a aussitôt dénoncé le secrétaire national du PCF Pierre Laurent dans un communiqué. Avant d’ajouter : « Les communistes avec le Front de gauche seront mobilisés pour faire échouer le plan présidentiel. » Quant au compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon, il a fait une allusion à la vie privée de François Hollande et à la petite phrase de Nicolas Sarkozy, en son temps, lâchant : « Avec Carla, c'est du sérieux ! »

Mais c’est vers l’aile gauche du PS que les regards vont aussi se tourner : François Hollande a voulu la mettre au pied du mur mardi. La vingtaine de députés proches de Benoît Hamon a déjà exprimé ses réserves à plusieurs reprises, sur le traité européen TSCG, les retraites ou l’accord sur le marché du travail (Ani). Cette fois, ils vont devoir voter le « pacte » en même temps que la confiance au gouvernement. Refuser, c’est de facto sortir de la majorité. Mardi soir, les premières réactions n’en étaient pas encore là mais les mines étaient dépitées.

« François Hollande a commencé par dire : “On ne change pas de chemin…” Autant dire qu’il continue dans l’erreur, soupire le député Pouria Amirshahi. Il continue une politique de baisse de cotisations engagée depuis 30 ans au nom de la lutte contre le chômage qui ne cesse d’augmenter depuis 30 ans ! Le Medef tient la plume pour une politique qui ne répond qu’à ses intérêts. »

Le choix politique fait par François Hollande en cette rentrée ne peut que désarçonner une partie de ses militants et de son électorat, déjà déçus depuis un an et demi. Car si le président pouvait laisser croire pendant la campagne que la première phase de son quinquennat serait difficile pour que la deuxième soit consacrée à la redistribution (et donc plus à gauche), il n’en a plus parlé mardi. À part pour dire : « Cela viendra. » Et s’il se défend d’avoir abandonné Le Bourget, la comparaison entre les deux discours ne laisse guère de place au doute. Le 22 janvier 2012, François Hollande citait devant ses partisans enflammés une phrase de Nicholas Shakespeare : « Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve. »

Mais le président de la République n'a que faire de la comparaison : tout au long de sa conférence de presse, il n'a cité qu'une seule échéance, celle de 2017, passant rapidement sur les élections intermédiaires, les municipales et les européennes dès cette année, « traditionnellement toujours très difficiles ». Hollande continue de faire le pari qu'il peut être réélu dans trois ans si le chômage recule, face à une opposition de droite en lambeaux.

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