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Pourquoi Hollande laisse à Valls les pleins pouvoirs

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L’un parle et s’agite, l’autre ne dit mot et consent. La relation entre Manuel Valls et François Hollande s’est, tout au long de ce début du quinquennat socialiste, imposée comme le cœur médiatique de l’action politique gouvernementale. Au point que le ministre de l’intérieur, encore une fois seul sur le devant de la scène publique dans l’affaire Dieudonné, est devenu la plus visible et incontournable des incarnations du pouvoir hollandais, élu le 5 mai 2012. La presse commente et analyse régulièrement la singularité de ce duo qui s’impose à tous les autres ministres, Jean-Marc Ayrault le premier (lire nos articles ici, ou ici), mais rarement on a entendu les intéressés s’exprimer sur la nature de leur relation.

Deux ouvrages, publiés en cette rentrée de janvier, apportent un complément fort utile à cette étude de cas complexe, qui voit un ministre, ancien “petit candidat” à la primaire socialiste, transformer peu à peu ses 5,7 % des suffrages d’alors en 100 % de l’espace idéologique de la majorité actuelle. Dans Jusqu’ici tout va mal (Grasset) de Cécile Amar, journaliste au Journal du Dimanche, et Valls à l’intérieur (Robert Laffont) de David Revault d’Allones et Laurent Borredon, reporters au Monde, trois journalistes au plus près du “pouvoir beauvau-élyséen”, Hollande et Valls ont la parole, et ce qu’ils disent l’un sur l’autre permet d’éclairer davantage le blanc-seing du premier accordé au second.

Entre les deux figures du pouvoir socialiste, tout semble affaire de rapport de force, assez peu d’amitié, la proximité entre eux ne remontant qu’au soir du premier tour de la primaire, quand Valls fut le premier à appeler à voter pour Hollande, avant de devenir le directeur de communication du candidat socialiste à la présidentielle, puis de confier la direction de la communication élyséenne au plus fidèle des collaborateurs de Valls, Christian Gravel (directeur de cabinet de Valls à Évry).

À Revault-d’Allones et Borredon, le président confie ainsi : « Avant la campagne présidentielle, Valls ne faisait pas partie de mes proches, d'un point de vue politique ou amical, ce n'est qu'à cette occasion que nous nous sommes mieux connus et appréciés. (…) Ce ne sont ni son score à la primaire ni son ralliement qui justifiaient sa nomination dans ce ministère. C'est son attitude pendant la campagne et sa connaissance des questions de sécurité publique comme son expérience de maire d'Évry. Pas seulement sa fidélité, mais son efficacité. »

Une efficacité qui semble s’entendre essentiellement au sens du charisme et de l’occupation du terrain médiatique, où l’aisance de Manuel Valls contraste cruellement avec la fragilité de François Hollande dans ce domaine, qui n’a cessé de s’amplifier depuis son accession au sommet de l’État. Le décalage dans les sondages d’opinion entre l’un qui s’enfonce et l’autre qui décolle, achève de déséquilibrer la relation politique, au profit du ministre, peu à peu surnommé « Le Vrai » (pour « Le Vrai président ») par les journalistes.

Cette « relation/compétition », ainsi que la décrit Cécile Amar, a tourné largement au profit de Valls, qui s’est très rapidement imposé comme celui qui donne le la sur ce que pense l’exécutif, en lieu et place de celui-ci. L’omniprésence du ministre de l’intérieur et la façon dont il impose son agenda à l’actualité politique et son point de vue à la majorité donnent en effet le tournis, pas seulement depuis trois semaines et l’affaire Dieudonné.

Dés la première année d’exercice, Valls impose son avis sur l’extradition d’Aurore Martin, l’abandon de l’amnistie sociale, du vote des étrangers, de la PMA dans le texte du mariage pour tous, du récépissé de contrôle d'identité policier ou du report de l’application du non-cumul des mandats en 2017. C’est aussi lui qui condamne, « à titre personnel », une décision de justice (à propos de la crèche Babyloup) et martèle sa vision d’une laïcité de fer essentiellement contre l’islam.

Durant l’été 2013, il défend l’ordre républicain sans reconnaître les actes islamophobes à Trappes et à Argenteuil, juge « digne d’intérêt » l’interdiction du voile à l’université, met en doute de la compatibilité de l’Islam avec la République et s’interroge sur l’avenir du regroupement famillial (lire ici), estime que les Roms n’ont « pas vocation à s’intégrer » (lire ici), critique la réforme pénale et la peine de probation souhaitée par Christiane Taubira… Sur tous les sujets, il parle le premier et Hollande se tait, ne le recadre jamais. « Il ne m’a jamais fait une remarque de l’été, se satisfait Valls devant Cécile Amar. Comme tout homme politique, il est darwinien. Il laisse faire. »

Le 13 juillet 2013, en marge de son discours dans le Gard sur « ce qu’est le hollandisme », à la veille de l’intervention télévisée de Hollande pour la fête nationale, Valls est au summum de la confiance en soi et lâche aux journalistes l’ayant accompagné : « Je suis protégé en étant ministre de l’intérieur, protégé par mon statut politique, par les sondages d’opinion. » Valls se permet même une fanfaronnade tout anticipatrice : « Hollande sent bien que je pourrais être tenté de lui forcer la main. » Pour Cécile Amar, le président est « fasciné par la popularité de Valls », et « lui, le chef de l’État le plus impopulaire, n’ose pas l’affronter ».

Parfois, un ministre nuance le point de vue vallsien, comme les écologistes Cécile Duflot et Pascal Canfin lors de ses propos sur les Roms ou Geneviève Fioraso sur le voile à l’université. Parfois, le premier ministre laisse percevoir son agacement (comme lors de l’affaire Leonarda). Mais à la fin, c’est toujours Manuel qui gagne, donnant raison à cette règle d’or édictée par son chef de cabinet Sébastien Gros, cité par Revault d’Allones et Borredon : « Mieux vaut surréagir inutilement plutôt que de passer à côté de quelque chose. »

Manuel Valls refuse d’ailleurs d’admettre qu’il a été recadré par Hollande puis Ayrault sur ses propos violemment anti-Roms (lire ici). Et dit « regrette(r) la polémique, mais pas (s)es propos ». Peu à peu, l’hyperactivisme du locataire de la place Beauvau aura effacé le premier ministre, de moins en moins tacitement. Le 1er juin 2013, dans La Provence, Valls répond ainsi à la question de son intérêt pour Matignon : « J’ai toujours pensé que j’avais la capacité d’assumer les plus hautes responsabilités de mon pays. » Ces derniers mois, les confidences de l’entourage de Jean-Marc Ayrault se multiplient dans les gazettes, à propos du ras-le-bol des agissements de Manuel Valls. Le député Olivier Faure, un très proche du premier ministre, fait d’ailleurs partie des rares socialistes (avec les mitterrandiens historiques, Pierre Joxe et Jack Lang) à critiquer la position de Manuel Valls face à Dieudonné : « Aucun ministre ne peut s'ériger en censeur. Ce n'est pas au ministre de l'Intérieur de dire quand on peut rire ou ne pas rire. »

Une du JDD qui aurait, selon les auteurs de “Valls à l'intérieur”, fortement irrité Hollande… en secret…Une du JDD qui aurait, selon les auteurs de “Valls à l'intérieur”, fortement irrité Hollande… en secret…

En secret, plusieurs sources ministérielles rapportent aussi l’agacement de François Hollande. Revault d’Allones et Borredon citent ainsi « une ministre importante », mais anonyme, qui certifie que « son influence s'est atténuée » et que le président a désormais « une ­analyse un peu moins traumatisée de la popularité de Manuel, qui a été pendant un moment un facteur d'intimidation ». Cécile Amar écrit de son côté que « en privé, à ceux qui l’aiment pas, Hollande peut dire du mal de Manuel Valls, parfois. Mais en public, il n’en dira que du bien ».

Hollande a été interpellé au moins une fois sur le cas Valls, par Cécile Duflot, qui lui a écrit une lettre le 30 septembre 2013, à propos de « sa conception de l’intégration des Roms, sa manière de lutter contre le FN et son malaise », révèle Cécile Amar. Interrogée sur sa réponse, Hollande botte en touche et répond sur Duflot : « C’est une bonne ministre. Mais elle est très engagée dans la vie politique et du coup, elle tient des propos qui posent parfois problème, comme quand elle attaque Valls. »

À la journaliste du JDD, il affirme que Valls est « en mouvement » et que « si les ministres parfois le trouvent trop présent, c’est qu’eux ne le sont pas forcément assez ». Des propos qu’il n’assume toutefois plus, bien qu’enregistrés par la journaliste, au moment de leur relecture, en pleine affaire Leonarda.

François Hollande et Manuel VallsFrançois Hollande et Manuel Valls © Reuters

Car avant Dieudonné, il y a eu Leonarda. Un premier symbole fort d’un pouvoir socialiste totalement embarqué dans l’aventure sécuritaro-républicaine de Manuel Valls. Un moment où le rapport de forces a définitivement basculé en faveur du premier flic de France. Revault d’Allones et Borredon expliquent ainsi que Valls confie alors à ses amis : « À la fin de cette séquence, mon message est clair. Celui de Hollande ne l'est pas. »

À ce moment, alors que Hollande hésite à trancher entre quasiment toute la gauche, qui s’émeut de l’expulsion de la lycéenne kosovar en marge d’un déplacement scolaire, et Valls (soutenu seulement par Jean-Pierre Chevènement et Ségolène Royal), le ministre de l’intérieur fait un chantage à la démission. « Si je gêne, il faut me le dire, et je pars », dit-il au président. Aux auteurs de Valls à l’intérieur, il assure : « Je n'ai pas dit : “Je remets ma démission si on fait revenir la famille.” J'ai dit : “Si on fait revenir la famille pour des raisons politiques et symboliques, la situation devient intenable pour moi.” » Mais Revault d’Allones et Borredon expliquent que plusieurs ministres ont recu « un lapidaire SMS » (« Je me barre ! ») et que le président a dû « appeler plusieurs d'entre eux pour leur demander de convaincre Valls de rester .

Comme pour Montebourg lors de la nationalisation avortée de Florange, Hollande redoute plus que tout la démission d’un homme fort de son gouvernement. Hanté par le 21-avril, il veut à tout prix éviter un “nouveau Chevènement”, qui viendrait le concurrencer dans sa réélection, et risquerait de le faire perdre. Résultat : à cause de son ministre de l’intérieur, le président offre finalement aux téléspectateurs éberlués des chaînes d’information en continu le spectacle d’une lycéenne kosovare balayant en direct la proposition – il est vrai assez insensée – de son retour en France sans sa famille. Une façon de faire synthèse qui n’opère pas avec le même succès qu’au temps où Hollande dirigeait le PS. L'habileté ne suffit plus à cacher sa faiblesse et son peu de soutiens véritables.

Reste la question à laquelle personne n’est capable de répondre : sur le fond, Hollande partage-t-il l’orientation de Valls ? Et Hollande lui-même, le sait-il ? Comme le rappelle Cécile Amar, le président de la République a soutenu par le passé la cause de Battisti ou Julien Coupat, mais il a surtout fait sien le virage sécuritaire du début des années 2000 des anciens de la Gauche socialiste, Julien Dray, Malek Boutih et Delphine Batho, qu’il a promus au sein du PS qu’il dirigeait.

Pourtant, en 2002, il a préféré Valls et son « réseau Bauer » (Alain Bauer, criminologue et ami de fac de l’ancien maire d’Évry), quitte à recycler depuis nombre de sarkozystes à la tête de la police et parmi le corps préfectoral, plutôt que son fidèle François Rebsamen, notoirement plus proche de ce qu’il reste des « réseaux Joxe » (Pierre Joxe, ancien ministre de l’intérieur de Mitterrand).

Dans l’ouvrage de Cécile Amar, une curieuse remarque de Manuel Valls permet peut-être de mieux comprendre la subordination idéologique de Hollande, l’homme sans ligne, vis-à-vis de son ministre, communicant talentueux sans vergogne : « Il sait que je dis vrai sur le fond. Il sait qu’il partage mes idées. » Par consentement tacite ou par souci réélectoraliste, Hollande aux abois s’est rangé à la triangulation sarko-vallsienne. Objectif : éviter un nouveau 21 avril 2002. Pour Valls, ce n’est pas une insuffisance de gauche sur les questions économique et sociale qui expliquerait le naufrage jospinien d’alors, mais bien de ne pas avoir été suffisamment de droite sur les questions sécuritaire et migratoire. Faute d’imagination politique autre que la foi en l’inversion de courbes statistiques, Hollande n’a pas d’autre choix que de se ranger à cette idée.

Manuel Valls, le 2 août 2013Manuel Valls, le 2 août 2013 © Reuters

Mais la marche triomphale de l’ordre républicain made in Valls, face à laquelle Hollande est impuissant, comme Ayrault ou Taubira, est-elle résistible ? Déjà, les échos sont nombreux dans les coulisses du pouvoir sur l’envie d’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon de jouer les ailes gauches de Valls, histoire de mettre à la retraite une génération politique, celle de Hollande. Beaucoup de socialistes laissent entendre qu'« au PS, la force va toujours à la force », et beaucoup de proches de Moscovici et d'anciens strausskahniens sont prêts à se recycler pour cet héritier du rocardisme historique.

Pour Revault d’Allones et Borredon, qui ont écrit leur livre avant l’affaire Dieudonné, « le scénario de la rupture avec le président » est « désormais plausible ». Ils racontent que le ministre de l'intérieur l'a glissé à l'un de ses intimes : « À ce stade, on ne peut rien construire sur une telle hypothèse. Mais cela reste une possibilité. » Et cite « un ministre qui le connaît bien » : « Ce n'est pas forcément son scénario privilégié, mais ce n'est pas absent de sa tête. Il n'ira pas à la Sarko, en menant une entreprise méthodique de destruction d'un président vieillissant. Mais il se promeut, sans tenir compte des dégâts qu'il peut provoquer. Et si ça se présente, il ira. »

Pourtant, un angle mort ne cesse de perdurer dans la stratégie de conquête de pouvoir de Manuel Valls. À force de prétendre vouloir faire reculer le Front national, que penser des résultats de cette politique hystérisée et stigmatisante ? Contrairement à Sarkozy en son temps, les socialistes n’ont pas pour objectif de digérer le FN, et ce dernier n’a jamais été aussi proche de devenir le premier parti de France. La boucle serait alors sans doute bouclée : après avoir “triangulé” en permanence le débat politique en allant sur le terrain de l'adversaire, et en le focalisant sans cesse sur les questions migratoires, sécuritaires ou laïques, Valls pourrait se présenter comme le seul rempart possible à la droite et au FN, car seul capable de leur prendre des voix.

Grands oubliés d'un tel scénario, sans grande surprise : la gauche et la question sociale. D'ailleurs, pendant que Valls s'est démené cette semaine pour obtenir « une victoire de la République » sur Dieudonné, l'antisémitisme, la haine, ceux qui s'en prennent à la cohésion nationale et on en oublie, personne n'a remarqué le déplacement de François Hollande à Toulouse pour parler de l'emploi (ou plutôt, de l'aide aux entreprises). Et près de 5 000 salariés ont appris leur licenciement à La Redoute et à Mory-Ducros, dans l'indifférence générale. Tant que la République et l'ambition de Manuel Valls sont sauves…

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