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Le RAID secoué par une affaire de propos racistes

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Amaury de Hauteclocque, l’ancien patron du RAID, a-t-il délibérément évincé un gardien de la paix qui l’avait alerté sur des propos racistes qu'aurait tenu un gradé ? En mai 2009, une délégation militaire algérienne rend visite à l’unité d’élite à Bièvres dans l’Essonne. Les membres du Groupe opérationnel de soutien technique (Gost) du RAID sont priés de déballer leur matériel technique (radars, robots, etc...) pour le présenter aux hauts fonctionnaires algériens accompagnés, d’après un témoin, par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Selon un rapport adressé le 6 mai 2009 par un gardien de la paix du RAID à Amaury de Hauteclocque, la mission a provoqué de franches réticences au sein de l’unité.

N. S., un technicien de 31 ans, auteur du rapport, indique avoir été témoin, en compagnie de trois autres policiers, de « propos choquants » de la part d’un brigadier. « Je devais préparer avec l’autorisation du chef de groupe de la documentation sur certains matériels (valise Sennheiser et radar) à remettre à la délégation, écrit-il dans ce rapport. Ce fonctionnaire de police étonné de mon attitude m’a répété en ces termes : “On va pas donner aux bougnouls notre documentation”. » Le gardien de la paix précise dans son courrier que « ce n’est pas la première fois que l’intéressé profère de tels propos à caractère raciste ».

Le RAIDLe RAID© Reuters
« Le matin même, mon chef de section, un commandant de police, m’avait d’ailleurs également dit : “Ça me fait chier de les former, demain on risque de les avoir en face de nous” », nous explique N. S. Il explique que ces expressions – « les bougnouls, les biques, les melons » – étaient « devenues naturelles » chez un petit groupe de policiers au sein du RAID. « Ce n’était pas à mon égard, mais ça me gênait », dit le jeune homme, né en France de parents d’origine algérienne.

Suite à ce rapport, N. S. aurait été convoqué par plusieurs de ses supérieurs. « L’un d’eux m’a prévenu que si j’alertais les médias, j’allais “manger chaud” », explique le technicien spécialiste des transmissions radio, entré au RAID en 2007. Le RAID étouffe l’affaire : en septembre 2009, le brigadier accusé d’avoir tenu des propos racistes est muté à Bayonne.

« On peut difficilement appeler ça une sanction, puisqu’il s’agissait de sa région d’origine », souligne Me Mohammed Lallaoui, l’avocat de N. S.. « Il y a eu une réunion sur une mission, au cours de laquelle la hiérarchie en a profité pour demander de faire attention à ce qui était dit, et ça s’est arrêté là, alors que la procédure aurait voulu que l’IGPN (l’inspection générale de la police nationale –  ndlr) soit saisie et que je sois convoqué par Laser 1 (le chef du RAID – ndlr), explique N. S.. À partir de là, j’ai senti que j’étais dans la ligne de mire. »

Contactés, le brigadier et le commandant de police accusés d’avoir tenu ces propos n’ont pas pu ou pas souhaité nous répondre. « Je ne vois pas pourquoi je vous en parlerais, je n’ai pas l’autorisation de ma hiérarchie », nous a répondu le brigadier de police muté à Bayonne. De même, nous n'avons pas pu contacter les trois policiers qui auraient été témoins de ces propos. Et impossible, malgré plusieurs tentatives, de joindre Amaury de Hauteclocque, débarqué du RAID le 12 avril 2013 par Manuel Valls. Nommé sous-directeur des affaires internationales, transfrontalières et de la sûreté à la police aux frontières (PAF), le commissaire doit quitter la police en juillet prochain pour rejoindre l’assureur Covéa.

Trois ans après cet incident, en novembre 2012, N. S. est viré du Raid : son contrat quinquennal n’est pas renouvelé, une première dans cette unité, selon plusieurs sources. Retour à la case départ, N. S. est  réaffecté à la maintenance du système de communication radio de la préfecture de police de Paris.

Dans le même temps, en octobre 2012, sa notation jusqu’ici au beau fixe, chute brutalement de 6 à 4 (sur une échelle de 7). Selon sa fiche de notation, ce ne sont manifestement pas ses compétences techniques qui sont en cause, mais sa « loyauté » et « ses relations hiérarchiques et vis-à-vis de ses collègues ». Six d’entre eux, appartenant au groupe technique, ont pourtant attesté par écrit n’avoir jamais rencontré aucun problème avec le gardien de la paix. « À aucun moment quelqu’un est venu me demander mon avis sur N. S. », écrit l’un d’eux, qui s’agace que son opinion soit donnée « sans son consentement, surtout qu’elle ne reflète pas ce que je pense réellement. »

Officiellement, le patron du RAID reproche surtout au policier des manquements lors de l’installation d’un dispositif de surveillance avec un collègue en juillet 2012 et d’avoir ensuite signé un rapport sur cette mission au nom de ce dernier parti en vacances dans la foulée (et qui avait donné son accord par téléphone, assure N. S.). Le tout pour une sombre histoire d’araignée qui aurait jugé malin de tisser sa toile sur l’objectif d’une des caméras fraîchement installées.

Les deux hommes ont reçu une lettre d’admonestation signée du patron du Raid en septembre 2012 (une sanction administrative qui n’en est pas une et ne peut donc être contestée), mais seul N. S. est viré deux mois plus tard. Cherchez l’erreur… Pour son avocat, Me Mohammed Lallaoui, «il y a une sanction déguisée et il y a discrimination, puisqu’un fonctionnaire dans la même situation que mon client est toujours au RAID !»

Au passage, l’ex-patron du RAID s’assied sur la procédure qu’il avait lui même édictée dans une note de service en date du 31 janvier 2011. Cette dernière prévoit que les fonctionnaires du RAID, arrivés en bout de contrat, indiquent leurs souhaits dans un rapport transmis à leurs supérieurs qui doivent ensuite «impérativement motivés (sic) leur avis respectifs». Les policiers doivent également «être convoqués à des test d’évaluation physique et professionnelle» avant leur passage devant la commission de renouvellement des contrats (une spécialité maison présidée par le chef du RAID et composée exclusivement de membres de cette unité).

Dans un courrier envoyé à la direction des ressources et des compétence du ministère de l’intérieur le 20 décembre 2012, N. S. s’étonne donc qu’aucun rapport ne lui ait été demandé, de n’avoir subi aucun test et d’avoir été écarté le 5 novembre 2012 par une commission, où manquaient deux membres. «En l’absence des ces tests, réputés objectifs, il est normal de s’interroger sur la nature des éléments qui ont permis à la commission de se prononcer, non seulement sur mon dossier, mais sur l’ensemble des dossiers examinés le même jour», écrit-il.

Sa lettre semble être arrivée jusque sur le bureau de l’ancien patron du RAID, puisque le 18 mars 2013, ce dernier s’est fendu d’une nouvelle note de service : la liste des membres de la commission de renouvellement est allégée (qui passe de 9 à 5) et exit les avis «impérativement motivés».

N. S. contestant également sa notation, c’est le numéro deux du RAID lui-même, Olivier Richardot, qui s’est déplacé le 31 janvier 2013, en compagnie de l’attaché de police de l’unité, pour assister à la commission paritaire chargée de statuer sur cette demande de révision. «Ils ont maintenu sa note à 4, explique Denis Boé, le délégué zonal du syndicat Alliance Police, qui était présent. Je ne peux pas porter de jugement sur les faits reprochés, qu’il conteste d’ailleurs, mais j’ai trouvé ça exagéré de le sabrer sur sa notation, après l’avoir déjà viré du RAID. Il avait quand même eu de très bonnes notes pendant quatre des cinq années passées au RAID. Mais le RAID reste une unité d’élite, quelque chose de secret avec des procédures un peu spéciales.»

Même si l’incident de 2009 n’a jamais été évoqué lors de son non renouvellement, N. S. est persuadé du lien : «Quand le patron du RAID me reproche mon manque de loyauté, il ne parle pas d’autre chose». Pour son avocat Me Mohammed Lallaoui, son client est «tombé sur une équipe qui n’a manifestement pas fini sa guerre d’Algérie et a voulu se venger sur lui trois ans après son rappport».

Alerté sur la situation du policier par l’ancien ministre Azouz Begag, auteur en 2004 d’un rapport sur la diversité dans la police nationale et la gendarmerie, Manuel Valls lui a répondu le 11 février 2013 avoir «immédiatement» prescrit «un examen approprié de ce dossier». Mais cinq mois plus tard, Azouz Begag, en contact avec le cabinet du Premier ministre sur ce dossier, attend toujours la suite. «Quand des fonctionnaires de police comme Monsieur S. ont le courage de dénoncer des propos racistes, il faut non pas les sanctionner, mais les protéger, réagit-il. Ce sont les vigiles de la République. Ils rappellent que le racisme est un délit pénal. Y compris dans la police nationale.»

Directement contacté par Mediapart le 18 juin 2013, le directeur général de la police nationale Claude Baland nous a répondu ne pas être courant du dossier. Dès le lendemain, N.S. était convoqué pour être entendu dans l’après-midi même par l’IGPN sur les faits qu’il avait dénoncé en 2009. Cette enquête interne semble avoir été ouverte précipitamment suite à notre question. Le 19 juin, le service de communication de la police nationale nous a confirmé qu’il existait une enquête de l’IGPN, «ouverte avant votre contact avec le directeur général» mais sans pouvoir préciser cette date.

«Le RAID a un niveau d'exigence extrême, il est aussi normal que la direction de ce genre de servie d'élite puisse ne pas renouveler le contrat d'un policier s'il n'est plus dans ces calibres très exigeants, nous explique-t-on. Dans ce cas, il y a, semble-t-il, eu des critères objectifs avec des manquements dans l'exercice de ses fonctions, manquements répétés et dénoncés par sa hiérarchie intermédiaire. On apprécie aussi si la présence de la personne n'entame pas la cohésion du groupe.»

BOITE NOIREPour des raisons liées à son métier, nous n'avons indiqué que les initiales du nom du policier.

Contactée le 6 puis le 12 juin par Mediapart, l'attachée de presse du ministre de l'intérieur nous a indiqué avoir transmis notre demande au cabinet du directeur général de la police nationale, Claude Baland. Directement sollicité le 18 juin, ce dernier nous a répondu ne pas être courant du dossier. Le lendemain, nous étions recontactés par le service de communication de la police nationale pour nous annoncer qu'il y avait une enquête de l'IGPN sur le sujet.

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