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Transparence: des reculs et de beaux restes

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Mercredi dans la nuit, les députés ont fini d'examiner la loi sur la transparence de la vie publique. Un texte annoncé en catastrophe au lendemain de l'affaire Cahuzac. François Hollande avait alors dégainé une série de mesures, précisées quelques semaines plus tard en conseil des ministres. Depuis, le projet, à maints égards ambitieux, a été reformaté, voire carrément tailladé par les députés. Parfois, il a aussi été enrichi. Le texte sera voté par les députés mardi 25 juin, avant son passage au Sénat.

Mediapart vous propose de revivre les débats en indiquant pour chaque grand thème (publication du patrimoine des élus, conflits d'intérêt, inéligibilité à vie des élus condamnés, etc.) les intentions de départ, ce que le texte est devenu et les questions qui restent en suspens.

La transparence des patrimoines des élus

Ce qui était prévu Au lendemain des aveux de Jérôme Cahuzac, François Hollande avait annoncé « la publication et le contrôle sur les patrimoines des ministres et de tous les parlementaires ». Dès le 15 juin, les ministres ont publié leur patrimoine.

Ce que c'est devenu Fâchés d'être pris pour les boucs émissaires de l'affaire Cahuzac, les parlementaires ont tout fait pour torpiller la publication. À commencer par Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale, parti en guerre contre la «démocratie-paparazzi . Pour que le texte soit voté (ce qui n'était pas gagné), le gouvernement a dû céder.

Au nom du respect de la vie privée, les biens détenus en indivision ou en communauté ont été exclus des déclarations de patrimoine, de même que ceux des proches. Et la transparence totale a été abandonnée. Les déclarations de patrimoine seront consultables en préfecture, dans chaque département (avec ce dispositif, seul un citoyen du Lot-et-Garonne aurait pu consulter la déclaration de patrimoine du député Jérôme Cahuzac. Qui de toute façon n'aurait pas mentionné le fameux compte en Suisse).« Un point d'équilibre », répètent les socialistes.

Sauf que les informations ne pourront pas être publiées, sous peine d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende. En revanche, les citoyens pourront alerter par écrit la nouvelle Haute Autorité de la vie publique (voir plus loin)

Au total, 7 000 élus et responsables devront remplir une déclaration de patrimoine : les parlementaires (députés nationaux et, sénateurs, européens), les responsables d'exécutifs locaux, les maires de communes et d'intercommunalités de plus de 20 000 habitants, les présidents de grands syndicats intercommunaux, etc. Les candidats à l'élection présidentielle adresseront eux aussi une déclaration de patrimoine (c'est déjà le cas aujourd'hui, mais il n'y a pas de contrôles). Et le patrimoine des anciens chefs de l'État sera ausculté à la fin de leur mandat.

Les membres de cabinets ministériels, les collaborateurs du Président de la République, de l'Assemblée nationale et du Sénat, les personnalités nommées en conseil des ministres, les dirigeants d'entreprises publiques sont aussi concernés. Mais leurs déclarations ne seront pas consultables en préfecture.

Les questions que cela pose Les déclarations de patrimoine seront établies au début et à la fin du mandat, et en cas de « changement substantiel ». Certains élus PS proposaient d'aller plus loin. Matthias Fekl, élu dans la circonscription voisine de l'ancien fief de Jérôme Cahuzac, voulait créer un « délit d'enrichissement illicite ». Jugé inconstitutionnel, il a été rejeté (de peu). Olivier Faure et d'autres proches de Jean-Marc Ayrault ont proposé de rendre publique l'évolution du patrimoine des élus au cours de leur mandat pour éviter les soupçons d'enrichissement via une activité publique. Cela n'a pas été retenu : la Haute Autorité ne publiera que les noms des élus dont elle estime que l'évolution du patrimoine pose problème.

La consultation en préfecture est-elle un bon système ? « C'est faux-cul », critique Hervé Morin (UDI). Élus UMP et radicaux (la plupart contre la transparence des patrimoines) et écolos (pour) se rejoignent pour craindre que les informations ainsi récoltées ne servent à alimenter localement la machine à rumeurs et soient publiées de façon « sauvage » sur Internet, ou encore via des sites d'info belges ou suisses (lire par ailleurs le billet d'Erwann Gaucher).

Par ailleurs, les journalistes pourront-ils faire état des informations concernées sans craindre de sanctions ? Comme le souligne Transparency France, le texte pourrait restreindre la capacité des journalistes à publier une information qu'ils jugent d'intérêt public au prétexte que les informations sur le patrimoine ne doivent pas être publiées. « On interdit aux journalistes de faire leur métier », s'est étonné (un peu seul) l'écolo François de Rugy. Plusieurs députés PS admettent en privé que le dispositif est bancal. Mais aucun n'a protesté ni déposé d'amendement pour y remédier.

Enfin, les débats ont permis d'apprendre qu'un « registre » des personnes ayant accédé aux informations sur le patrimoine des élus serait tenu dans les préfectures. « Registre » lui aussi consultable. Ce qui risque de refroidir encore un peu plus les ardeurs…

Le cumul des activités

Ce qui était prévu Le projet de loi proposait à l'origine « d’interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice de toute activité de conseil ainsi qu’avec des fonctions au sein d’entreprises dont une part importante de l’activité commerciale est entretenue avec l’administration ». Un temps, Matignon a même proposé l’interdiction d’exercer une autre profession.

Particulièrement dans la ligne de mire : le métier d'avocat d'affaires, un temps exercé par Jean-François Copé. Ou bien l'activité de conseils de plusieurs ténors de l'ancienne majorité (François Fillon, Luc Chatel etc.) ou certains socialistes. À l'Assemblée comme au Sénat.

Mardi soir, Hervé Morin n'a d'ailleurs pas hésité à balancer (sans les nommer…) d'anciens camarades de gouvernement (cliquer sur l'image pour l'agrandir) :

Compte-rendu de l'AssembléeCompte-rendu de l'Assemblée


Ce que c'est devenu. L'incompatibilité de principe a fait long feu. Et les « lobbies » professionnels de l'Assemblée (l'expression est de l'ancien ministre de l'intérieur PS Daniel Vaillant) sont sortis du bois. Les médecins ont crié au loup, craignant de perdre la main s'ils arrêtent de pratiquer ou d'opérer. Les avocats (radicaux de gauche, notamment) ont protesté.

L'éventualité d'interdire des patrons de presse d'être parlementaires (ce qui aurait concerné le sénateur UMP Serge Dassault, avionneur et patron du Figaro, mais aussi le radical Jean-Michel Baylet, patron de la Dépêche du midi) est passée à la trappe. Au grand dam d'Hervé Morin, encore lui, décidément très en verve. Ancien ministre de la défense de Nicolas Sarkozy, il a évoqué, sans nommer Serge Dassault et Le Figaro, les « conflits d'intérêts absolument ahurissants» dont il a été témoin dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy.

Le gouvernement a d'abord songé à permettre le cumul avec une activité annexe, tout en la limitant à 2 750 euros brut. Mais cela risquait de ne pas être constitutionnel. Il a donc décidé de créer une règle alambiquée :

  • il est interdit de commencer toute activité nouvelle à partir de l'élection.
  • les activités annexes entamées avant l'élection peuvent être poursuivies. À l'exception notable de l'activité d'arbitre (cf. l'affaire Tapie), de « sociétés ayant un objet principalement financier », ou de fonctions de direction « au sein de sociétés ou d’entreprises dont une part substantielle de l’activité commerciale est entretenue avec l’administration. »
  • l'activité de conseil est strictement bannie, qu'elle ait débuté ou non avant l'élection. Jusqu'alors, il était possible de cumuler, à condition d'avoir créé sa société de conseil avant d'être élu…

Enfin, les fonctionnaires élus au Parlement seront désormais placés en position de disponibilité, et non plus de détachement, pendant la durée de leur mandat. Ce qui, concrètement, leur interdit de bénéficier des avancements de carrière. Une façon de limiter la “prime aux fonctionnaires” à l'Assemblée (ils représentent la moitié des députés !).

Les questions que cela pose La notion de « conseil » reste floue. Le gouvernement en exclut  les « professions réglementées » (avocats, experts-comptables, notaires, etc.). Mais l'activité elle-même n'est pas clairement définie. « J'ai repris la définition du petit Robert… », a admis Jean-Jacques Urvoas, le rapporteur (PS) de la loi.

Par ailleurs, comme Alain Vidalies l'a souligné, il reste une disposition du code électoral qui « interdit aux avocats parlementaires de plaider pour un certain nombre d’entreprises dans lesquelles l’État détient une part substantielle du capital, sauf si cette entreprise était déjà leur client avant qu’ils ne soient élus ». Une règle « singulière », a souligné le ministre. « Soit le risque que surgisse un conflit d’intérêts est réel, soit il n’existe pas. » Cette disposition reste à corriger.

Plus généralement, le texte dans sa version actuelle n'interdit pas formellement la profession d'avocat d'affaires, même s'il la restreint. À ce stade, difficile par ailleurs de savoir si une situation comme celle d'Olivier Dassault (député de l'Oise et président du holding familial du groupe) pourra perdurer. Son groupe vit en effet de la commande publique, mais pas seulement… « Ça le concerne évidemment », assure le cabinet d'Alain Vidalies.

Le cas des membres du Conseil constitutionnel

Au départ, ils n'étaient pas concernés par les incompatibilités. Mais mercredi, plusieurs députés socialistes ont proposé un amendement interdisant aux membres du Conseil constitutionnel d'exercer toute activité annexe. Cette disposition vise très clairement Nicolas Sarkozy, avocat et conférencier de luxe, pour Goldman Sachs notamment. Le gouvernement et le rapporteur étaient contre. Mais les députés PS, écologistes et certains élus de droite ont tenu à le voter.

Des députés UMP ont dénoncé un « amendement Sarkozy ». Et parient sur l'inconstitutionnalité du dispositif. Qui sera jaugée… par le Conseil constitutionnel.

Les membres du Conseil constitutionnel seront en revanche exemptés de déclarer leurs intérêts et leur patrimoine. Le député PS Thomas Thévenoud a retiré son amendement sur le sujet, car le Conseil constitutionnel ne peut être soumis à la Haute Autorité. Il pourrait le présenter à nouveau cet été, dans le texte à venir sur la magistrature. Les déclarations ne seraient alors pas consultables en préfecture, mais au secrétariat général du Conseil constitutionnel. Pas très facile d'accès.

Les pouvoirs de la Haute Autorité (HAT)

Ce qui était prévu Créé en 1988 pour contrôler le patrimoine des ministres et de certains élus, la Commission pour la transparence financière de la vie politique n'a jamais eu les moyens de travailler. François Hollande a donc décidé la création d'une Haute Autorité de la transparence de la vie publique bénéficiant de moyens élargis et d'un pouvoir de sanction. Elle sera chargée de vérifier l’exactitude des déclarations d’intérêts et de patrimoine de 7000 élus et hauts-fonctionnaires (lire notre article). Elle vérifiera systématiquement la situation fiscale des nouveaux ministres.

Ce que c'est devenu Aux six membres issus de la Cour de cassation, du Conseil d’État, et de la Cour des comptes, les parlementaires, qui trouvaient cette composition « peu originale », ont rajouté deux représentants du Parlement. Comme Mediapart l'a raconté, une grande partie des préconisations de la Commission pour la transparence de la vie politique pour renforcer les pouvoirs d'enquête de la HAT ont été injectés dans le texte. Pour vérifier les patrimoines, elle pourra avoir accès aux déclarations d'impôt (sur le revenu, sur la fortune), mais aussi à d'autres documents fiscaux détenus par Bercy. Elle pourra aussi solliciter Bercy pour lancer des procédures « d’assistance administrative internationale», telle que celle lancée en direction de la Suisse dans l’affaire Cahuzac.

Elle pourra enquêter si nécessaire sur les biens détenus en indivision avec des proches. Mais a priori, pas sur leur patrimoine propre (alors que certains élus pourraient être tentés d'alléger leur déclaration de patrimoine en leur transmettant une partie de leur patrimoine). Elle ne pourra pas non plus se déplacer pour enquêter.

Les mensonges, les omissions ou l'absence de réponse seront sanctionnés : cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende pour les ministres qui mentent, un an et 15.000 euros d'amende pour les élus qui ne suivent pas les injonctions de la HAT. Le ministre des relations avec le Parlement le répète: « Les moyens donnés à la HAT seront à la hauteur des besoins ». Reste à savoir ce qu'il en sera en pratique. Et notamment quels seront ses moyens financiers et humains.

Les conflits d'intérêt

Pour la première fois, le texte comporte une définition du conflit d'intérêt: « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics et privés qui est de nature à compromettre l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction constitue un conflit d’intérêts.» Définition plutôt extensive, reprise du rapport Jospin. 

Ministres, parlementaires, membres des cabinets ministériels, dirigeants d'entreprises publiques etc. devront communiquer une déclaration d'intérêt, recensant leurs activités rémunérées ou bénévoles, les participations financières qu'ils détiennent. Ces déclarations, publiées sur Internet (ce n'est le cas que pour les sénateurs aujourd'hui), seront contrôlées par la Haute autorité.

A ce stade, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) risque toutefois de verrouiller les fichiers, les rendant par exemple non-indexables sur les moteurs de recherche et non exploitables dans le cadre de l'"open data". Au grand dam des écologistes et de l'UMP Lionel Tardy. Le gouvernement devrait y remédier au Sénat.

Le texte oblige par ailleurs les ministres et élus en situation de conflit d'intérêt de se « déporter » et encadre plus sévèrement le pantouflage (le fait de monnayer son carnet d'adresses dans le privé). Il protège aussi les « lanceurs d'alerte » qui témoignent d'un conflit d'intérêt. L'UMP et les radicaux de gauche crient à la « délation ».

L'inéligibilité à vie des élus

Les élus peuvent-ils être définitivement déclarés inéligibles par un juge en cas de fraude fiscale, de trafic d'influence ou de corruption? C'était un engagement de François Hollande après l'affaire Cahuzac. Mais depuis, un débat juridique oppose le gouvernement et certains parlementaires, qui affirment qu'une telle sanction serait non-constitutionnelle car le droit français ne prévoierait pas de peine définitive (lire notre article complet ici).

Mercredi dans la nuit, les députés ont voté de justesse contre l'inéligibilité à vie. Une partie des socialistes et l'écologiste François de Rugy ont voté pour. La peine d'inéligibilité maximale est portée à dix ans, contre cinq aujourd'hui.

Les collaborateurs parlementaires

Les députés ont adopté la publication du nom des 2 400 collaborateurs parlementaires de l'Assemblée nationale dans les déclarations d'intérêt. Ce qui est une première, et permettra de faire apparaître, du moins en partie, les conflits d'intérêt de certains d'entre eux et la pratique fréquente des « emplois familiaux ». (Sur ce sujet, lire notre article : Transparence: les assistants parlementaires aussi?) Ne reste plus qu'à faire la même chose au Sénat.

Les indemnités des anciens ministres

Après son départ du gouvernement, un ministre continue de toucher son salaire pendant six mois. « Cahuzac la touche encore ! » s'est insurgé Laurent Wauquiez, qui aime à s'afficher en parangon de vertu face à ses collègues de l'UMP. Après le scandale de l'ancien ministre du budget, François Hollande avait souhaité la suppression de ces primes. Le projet de loi avait fixé le délai à un mois. Les députés voulaient six. Finalement, ce sera trois. 

Les micros-partis

Véritables coquilles vides dont la multiplication sert à contourner les lois sur le financement politique qui interdisent à une personne physique de donner plus de 7500 euros à un parti, les micro-partis sont vidés de leur substance par la loi et l'adoption de plusieurs amendements écologistes. Désormais, une seule personne ne pourra pas donner plus de 7500 euros à des partis, cotisations comprises. La liste des personnes ayant versé plus de 3 000 euros à un parti sera transmise à la Commission nationale des comptes de campagne.

BOITE NOIREL'article, publié mercredi après-midi, a été réactualisé plusieurs fois mercredi soir alors que le débat continuait à l'Assemblée, puis complété dans la nuit de mercredi à jeudi à l'issue de la discussion.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Bons films


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