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Rapport sur l'intégration : les raisons d'un sauve-qui-peut

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Depuis dix-huit mois, c’est chaque fois la même histoire. Une erreur de communication, mâtinée d’imprudence, qui devient une erreur politique par faiblesse de ligne. La polémique suscitée par la publication sur le site de Matignon de cinq rapports consacrés à l’intégration en est même un cas d’école, jusqu’à l’intervention de François Hollande qui refuse de trancher sur un sujet clivant pour la gauche.

Il n’a fallu qu’une semaine à l’exécutif, après la une du Figaro, vendredi 13 décembre, sur le « rapport choc » pour renoncer provisoirement à lancer le chantier de l’intégration. Un séminaire intergouvernemental prévu début janvier sur le sujet a été annulé – reporté, jure Matignon –, et les ministres concernés sont priés de la mettre en veilleuse tant que le soufflé médiatique n’est pas retombé. Une rencontre prévue le 19 décembre entre les auteurs d’un des rapports et George Pau-Langevin a été annulée la veille. Pour faire retomber la pression, explique-t-on chez la ministre de la réussite éducative, qui avait pourtant inscrit le rendez-vous à son agenda officiel.

En attendant, le mal est fait : le dossier est très mal embarqué et l’ambiance de plus en plus délétère dans les couloirs des ministères et de l’Élysée. C’est le premier ministre Jean-Marc Ayrault qui concentre toutes les critiques, d’une violence rarement atteinte depuis son arrivée à Matignon. Ses rivaux, qui trépignent depuis des mois pour le remplacer, se sont jetés sur l’occasion pour débiner leur chef. Ce fut notamment le cas de Manuel Valls – des « choses inacceptables » –, et de Laurent Fabius – « Il ne faut pas prendre toutes les mouches qui volent pour des idées ». Quant au président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, il a de nouveau joué avec le feu en lançant sur France Info : « Il est là et là-dessus, moi je ne joue pas aux paris traditionnels sur qui à Matignon et quand ? C'est une décision qui ne dépend que du président de la République. Donc le président de la République choisit son premier ministre qui choisit son gouvernement. Au parlement on fait avec. »

Le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Bruno Le Roux, ne s’est pas non plus privé de dégommer Matignon. « Personne n'avait été alerté sur l'existence de ce rapport. Heureusement que je lis le journal ! C'est quand même le site du premier ministre. Ça aurait mérité que l'on indique le statut de ce rapport. En politique, ce n'est pas tout de lancer les débats, il faut les trancher ! On ne peut pas laisser des rapports comme ça en suspension. Car après on court le risque d'avoir des expressions comme celle de Jean-François Copé, que je n'ai pas forcément trouvé déplacée… » Une déclaration pour le moins surprenante dans la bouche d’un fidèle de François Hollande, qui punit régulièrement les députés socialistes trop critiques de la politique du gouvernement.

En déplacement en Guyane, le président de la République a lui-même exprimé son exaspération : « Ce n'est pas du tout la position du gouvernement », a-t-il lâché devant la presse, alors que son cabinet multipliait les petites phrases incendiaires sur leurs collègues de Matignon. Pour les proches de François Hollande et tous les ennemis de Jean-Marc Ayrault, au gouvernement et l’Assemblée, le premier ministre a fait preuve d’un terrible manque de jugeote politique en publiant les rapports sur le site de Matignon et en saluant la qualité des travaux sans prendre ses distances avec leur contenu.

« C’est une erreur technique qui laisse à penser que le gouvernement n’a pas une ligne claire sur ces questions, peste-t-on aussi dans l’entourage du ministre de l’intérieur Manuel Valls. Si on peut condamner l’exploitation politicienne qui en a été faite, on peut s’en prémunir technologiquement ! Il suffit, à la mise en ligne, d’accompagner d’un chapeau rappelant la démarche et la position du gouvernement sur certains points. » « Ces rapports n’avaient pas leur place sur un site officiel, dit aussi le député PS Matthias Fekl, qui travaille beaucoup sur les questions d’immigration. C’est dommage d’avoir donné l’impression que c’était un acte politique. Pourtant cela ne méritait pas l’hystérie des réactions de l’UMP. »

« Le gouvernement publie les rapports qu’il commande! C’est une question de transparence. Imaginez les titres de la presse sur les cinq rapports cachés du premier ministre ! Quand 300 personnes travaillent sur un rapport, il faut le rendre public », se défend Matignon, plus qu’agacé par les attaques frontales sur sa supposée nullité. « Certains s’en sont saisis pour critiquer le premier ministre et son cabinet. On est habitués, cela dure depuis un an et demi », ironise, philosophe, un proche de Jean-Marc Ayrault.

Matignon est d’autant plus étonné de certaines réactions que les cinq rapports étaient en ligne depuis un mois et que dix ministères, ceux de Manuel Valls, de François Lamy, de Cécile Duflot, de Marylise Lebranchu, de Kader Arif, d’Aurélie Filippetti, de Michel Sapin, de George Pau-Langevin, de Marie-Arlette Carlotti et de Marisol Touraine ont été associés aux travaux. Concrètement, pour chaque rapport, deux ministères étaient référents (c’est écrit au bas de chacun d’entre eux, consultables ici) et un ou plusieurs conseillers des ministres concernés ont régulièrement participé aux réunions. Mais ils n’ont pas participé à l’écriture des rapports : ils n’ont fait qu’observer les travaux et assurer un travail de coordination.

« Nous avons travaillé à la manière scandinave ou canadienne avec l’objectif de refléter le point de vue de la société civile, explique le consultant spécialiste des discriminations Khalid Hamdani, qui a coécrit le rapport le plus controversé sur les questions d’éducation et d’emploi. Les représentants des ministères nous ont laissé toute liberté et avaient consigne de ne pas intervenir. C’est une vraie nouveauté pour ceux qui sont habitués comme moi aux rapport publics et à la façon dont les élites républicaines verrouillent généralement les débats. »

Les ministères ont en revanche joué un rôle actif dans le choix des personnes (deux par rapport) chargées de piloter les groupes de travail. « Tous les ministères ont été associés sur les choix de pilotage. C’était exactement la même méthode que pour la conférence sur la pauvreté », confirme-t-on au ministère du travail. Les noms proposés ont été tranchés lors de réunions du comité de suivi mis en place à Matignon avec le cabinet de Jean-Marc Ayrault, celui de François Hollande à l’Élysée et les représentants de François Lamy (Ville) et de Manuel Valls (Intérieur), les deux ministères les plus impliqués sur le dossier.

Celui de Khalid Hamdani, très offensif sur les questions de discrimination et ancien membre du Haut conseil à l’intégration (HCI), a ainsi été proposé par la conseillère de Manuel Valls qui s’occupe des questions d’intégration. « Elle connaît mon expertise sur ces sujets sur lesquels je travaille depuis vingt ans », confirme Khalid Hamdani, par ailleurs ancien secrétaire départemental UMP de la Nièvre. S’il est en désaccord avec ce parti sur ces questions – il avait appelé l’UMP à renoncer à son débat sur la laïcité en 2011 –, il affirme que son appartenance à l’opposition permettait aussi un affichage « pluraliste » du groupe de travail.

Officiellement, le processus n’est pas clos : les dix ministères qui ont participé à la concertation sont chargés de remettre à Matignon une « feuille de route » avec leurs propositions, s’inspirant, ou non, des rapports qui leur ont été remis. Plusieurs d’entre eux ont déjà fait suivre au cabinet de Jean-Marc Ayrault des « projets ». Mais rien de définitif, dit-on dans l’entourage du premier ministre qui espère encore organiser le fameux séminaire interministériel après les fêtes de fin d’année. « On est en train de faire le plan d’action du gouvernement. C’est un sujet très compliqué sur lequel il n’y a pas de consensus. On espère avancer », dit-on encore à Matignon.

Car si l’offensive de la droite a fait si vite reculer l’exécutif, c’est qu’elle reçoit un écho dans une partie de la majorité. Au-delà des attaques plus ou moins opportunistes contre Jean-Marc Ayrault, le PS est profondément divisé sur ces sujets, voire totalement tétanisé. Résultat : ils sont très peu nombreux à encore assumer une démarche pourtant légitime. Mais les questions relatives à la laïcité sont jugées politiquement bien trop explosives pour être publiquement débattues, surtout à la veille d’élections municipales où le FN s’annonce au plus haut. Les renoncements sur le contrôle au faciès ou le droit de vote des étrangers sont autant de signes de l’incapacité de la gauche au pouvoir à répondre au désarroi d’une partie de la population française qui subit quotidiennement des discriminations.

Manuel Valls, Christiane Taubira et Jean-Marc Ayrault le 20 août 2013Manuel Valls, Christiane Taubira et Jean-Marc Ayrault le 20 août 2013 © Reuters

Pour schématiser, deux camps se font face. D’un côté, il y a ceux qui jugent que la lutte contre les discriminations est un combat essentiel de la gauche – Cécile Duflot, Christiane Taubira, Benoît Hamon ou François Lamy en font partie. Le ministre de la ville répète souvent « ne pas croire que le problème de l’intégration vient de populations qui ne voudraient pas s’intégrer ». « C’est peut-être le cas d’une petite minorité mais il y a un problème d’une société française qui refuse de se donner les moyens d’intégrer ces populations », disait Lamy avant l’été.

Du côté de la ministre déléguée George Pau-Langevin, on assure avoir fait des « préconisations audacieuses » et on veut croire que Matignon, à l’initiative depuis l’origine notamment dans le prolongement du rapport Tuot, lui-même controversé (lire notre article), ne cédera pas devant la campagne politique et médiatique. Même chose au ministère de la ville et au ministère du travail où on ne fait plus aucun commentaire en attendant que « la bulle médiatique retombe ».

En face, certains pensent que ce discours s’apparente parfois à une « culture de l’excuse », qu’il y a un danger communautariste et que défendre autre chose que les valeurs de la République est mortifère pour la gauche. C’est notamment le cas de Manuel Valls, qui estime que s’il faut des droits supplémentaires, « il manque dans ces rapports toute la dimension des devoirs », selon un de ses proches. « Manuel pense que la montée du FN est aussi liée à une crise d’identité et à une perte des repères de la société, et donc de la progression de l’islam en France. Il pense donc que pour contrer le FN, il faut aller sur ce terrain de l’identité », dit aussi un de ses collègues ministres.

Entre ces deux pôles, on trouve un magma informe de responsables politiques qui n’ont pas d’avis, n’ont pas tranché ou ne veulent pas se mouiller. À la tête du gouvernement pourtant, Jean-Marc Ayrault appartient plutôt à la première catégorie – ce n’est pas un hasard si Matignon est proactif sur ces dossiers – et il n’a guère caché ses désaccords avec Manuel Valls lors de l’affaire Léonarda. « L’intégration est une problématique qui tient profondément à cœur du premier ministre. C’est son engagement militant et c’est un prof qui croit à l’éducation. Pour lui, c’est viscéral », décrypte le député Matthias Fekl.

« Ayrault a joué pleinement son rôle depuis le début il doit continuer, renchérit un membre de cabinet ministériel très impliqué dans le processus. Mais vous savez bien que, sous la Ve République, le premier ministre ne peut rien faire seul. Le frein est venu de plus haut. » Sur ces sujets, François Hollande est plus hésitant et il est convaincu que la ligne Valls reste la meilleure arme à l’approche des municipales et des européennes. Selon un proche, « il va où va le vent ». Et depuis le débat sur l’identité nationale, il souffle à droite.

BOITE NOIREToutes les personnes interrogées l'ont été jeudi et vendredi par téléphone.

Dans les cabinets ministériels et à Matignon, l'anonymat est requis.

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