EDF est bel et bien pris en faute. Sa communication de crise, bricolée le 16 décembre et visant à faire croire que le chantier de l’EPR n’est pas suspendu, ne trompera pas grand-monde. Mais il y a pire : selon de nouveaux documents consultés par Mediapart, la machine défectueuse que voulait utiliser EDF dans le bâtiment du futur réacteur à Flamanville fonctionne déjà dans certaines centrales en activité en dépit d'alertes lancées dès le début de l'année 2013 par l'inspection du travail sur ce type de matériel. Le directeur général de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) a donc adressé un courrier au directeur exécutif du groupe EDF pour lui demander là aussi de vérifier les machines et de les mettre en conformité dans les plus brefs délais, afin de ne pas mettre en danger la sûreté des installations et la sécurité des salariés.
Le 16 décembre, dans la foulée de nos premières révélations, EDF a tenté d’éteindre l’incendie en expliquant que « le chantier de l’EPR n’est pas suspendu. Les activités de bétonnage se poursuivent ». Seulement, l’ASN a confirmé nos informations en publiant le 17 décembre dans l'après-midi une note sur son site dans laquelle elle explique qu’elle a « formellement demandé à EDF de remédier aux non-conformités rencontrées sur ces matériels avant toute utilisation pour la manutention des gros équipements ».
Alors bien sûr, EDF peut tenter de noyer le poisson en assurant poursuivre des activités annexes de bétonnage en dehors du bâtiment. Mais la construction du réacteur est bien à l’arrêt : EDF va devoir, contre sa volonté, et alors que le groupe avait pris les avertissements de l’ASN par-dessus la jambe, se mettre en conformité avec les normes de sécurité. En clair, se soucier de la sécurité de ses salariés en modifiant les matériels problématiques permettant de soulever les équipements : le pont polaire et les chariots (voir notre article d’hier). Impossible donc d’installer la cuve ce 18 décembre, comme EDF prévoyait encore de le faire il y a quelques jours.
L'ASN relègue par ailleurs à la toute fin de son communiqué, pour mieux l'enterrer, un problème majeur. Ces machines, destinées à soulever des charges de plus de 500 tonnes, sont d'ores et déjà utilisées dans d'autres centrales nucléaires. L’électricien a en effet cru bon d'y mettre en place ce nouveau modèle de pont censé permettre un gain de temps lors des opérations de maintenance des réacteurs. Or dans un courrier que nous nous sommes procuré, daté du 12 décembre et adressé par l'ASN au ministère du travail pour l'avertir du fait qu'EDF refusait de s'exécuter, un historique de l'affaire est dressé.
On y apprend que « dès le début de l'année 2013 », un inspecteur du travail de Caen a demandé à EDF de s'assurer de la conformité des machines. L'électricien ne s'est pas exécuté, au mépris de la sécurité de ses salariés. Ni à Flamanville, lieu de la découverte. Ni dans les autres centrales, où ce matériel était utilisé.
Du coup, le 13 décembre, le directeur général de l’ASN, Jean-Christophe Niel, écrit au directeur exécutif du groupe EDF, Hervé Machenaud, en charge, via la Direction production ingénierie d’EDF, de la conception et construction des centrales, pour lui préciser que le problème ne concerne pas seulement l'EPR. Il lui rappelle que l’ASN « accorde une attention particulière aux opérations de manutention des gros équipements constitutifs du circuit primaire des centrales nucléaires, tant du point de vue de la sûreté nucléaire que de la sécurité des travailleurs ».
Il faut dès lors « garantir que l’appareil peut maintenir la charge qu’il supporte dans toutes les configurations ». L’ASN précise que « des chariots temporaires sont parfois utilisés lors d’opérations de manutentions de gros composants. » Or, « EDF n’apporte pas de réponse à toutes les non-conformités soulevées. (…) EDF n’est donc pas en mesure d’identifier et mettre en œuvre toutes les actions qui pourraient être nécessaires à la réalisation des opérations de manutention de gros composants dans les conditions de sécurité satisfaisantes ». Un contretemps, de plus – et de taille – pour EDF, qui risque par ailleurs de devoir gérer la colère des salariés qui vont apprendre que leur sécurité a été négligée.
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