La division de trop ? À l'issue du congrès du Parti de la gauche européenne (PGE), qui a entériné ce week-end à Madrid la désignation d'Alexis Tsipras comme candidat de l'autre gauche continentale à la Commission européenne, le Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon a franchi un palier dans l'escalade des tensions internes au Front de gauche. Sur le fond, la délégation du PG a obtenu une victoire symbolique, en faisant adopter (aux côtés des Allemands de Die Linke, des Grecs de Syriza, des Portugais du Bloco de esquerda et des Danois de la coalition rouge-verte) une motion écosocialiste et anti-productiviste. Un vote surprise (47,6 % pour, 42,9 % contre, 9,5 % d'abstentions), contre lequel les communistes français ont voté, mais un succès idéologique qui n'a pas suffi à apaiser la rancœur de Mélenchon et des siens.
Car la délégation du PG a choisi de ne pas rendre les armes contre le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, coupable d'avoir influencé le choix militant des communistes parisiens en faveur d'une liste commune avec le PS dès le premier tour des municipales (lire ici). Intriguant depuis deux mois pour remettre en cause sa réélection à la tête du PGE, celle-ci est finalement survenue ce week-end, entraînant la suspension de la participation des mélenchonistes au PGE. Un acte politique fort, qui a stupéfié le reste du Front de gauche. « Ils ont voté pour la candidature européenne de Tsipras, ils ont réussi à faire passer leur motion sur l'écosocialisme, ils ont travaillé pendant tout le congrès avec tout le monde, s'étonne l'eurodéputée Marie-Christine Vergiat. Et à la fin, ils se retirent sur des questions franco-françaises… Comment voulez-vous que les autres Européens du PGE comprennent cela ? » Même son de cloche chez Clémentine Autain, l'une des porte-parole d'Ensemble (le rassemblement de plusieurs autres forces du Front de gauche) : « Je suis abasourdie, dit-elle, comme après le vote des communistes à Paris. Ce sont des prises de position extrêmement fragilisantes pour le Front de gauche. On touche là aux limites du cartel d'organisations. »
Au PG, on tient la ligne du rejet définitif de Pierre Laurent aussi fermement qu'on tient la ligne de l'autonomie vis-à-vis du PS. À la tribune de Madrid, la co-présidente du Parti de gauche (Jean-Luc Mélenchon n'était pas présent pour cause de voyage en Amérique du Sud) a ainsi expliqué la position de son parti : « Nous considérons que le fait que le président du PGE appelle à aller sur la même liste que les sociaux-démocrates, deux mois à peine avant l’élection européenne, brouille le message d’autonomie du PGE, et ce, pas seulement en France. (…) Ce n’est ni une remise en cause de la personne, ni du travail fait. C’est une divergence politique. C’est le refus d’une image brouillée pour le PGE. » La porte-parole international et secrétaire nationale à la VIe République, Raquel Garrido, justifie de son côté : « Pierre Laurent est déjà sénateur et conseiller régional ; l'usage au PGE voulait qu'on tourne à la fin de son mandat de président ; on a proposé que ce soit un autre communiste français qui assure la fonction, puis, qu'on établisse une co-présidence paritaire pour atténuer son pouvoir. À chacune de nos remarques, nous n'avons pas été entendus, ou alors nous avons eu droit à des réponses bureaucratiques. Alors, on se retire. »
Le dégel ne semble donc pas pour tout de suite au sommet du Front de gauche, deux semaines après la manifestation pour une révolution fiscale, le 1er décembre dernier à Paris, lors de laquelle les deux leaders se sont frileusement tenus à distance, dans le carré de tête (lire ici). Pierre Laurent a même vu les drapeaux se baisser, les dos se tourner et l'assistance se vider au moment de prononcer son discours. Raquel Garrido avertit même désormais : « Il n'y aura ni meeting commun Laurent/Mélenchon, ni photo ensemble jusqu'aux municipales. On crée un cordon sanitaire avec ceux qui votent PS et on ne mettra pas la poussière sous le tapis. Se rabibocher, c'est apparaître comme des traîtres devant le peuple. On n'a pas quitté le PS et fait tout ça pour ça. » Pour autant, assure-t-on au PG, cela n'exclurait pas un accord politique en vue des européennes. Mais là encore, alors que toutes les forces du Front de gauche plaidaient pour que les listes aux européennes soient annoncées d'ici la fin de l'année, le PG renvoie désormais à l'après-municipales.
Beaucoup parmi les responsables du rassemblement de l'autre gauche s'interrogent désormais sérieusement sur la finalité de la stratégie mélenchonienne : faire monter la pression pour obliger le PCF à faire un geste aux prochaines européennes ou carrément faire cavalier seul en vue de ce scrutin ? « On a de toute façon un programme, des candidats et une stratégie d'ouverture, puisqu'on tend la main à l'aile gauche des écologistes et à Nouvelle donne », indique Raquel Garrido. « Notre analyse reste la même : si le régime s'effondre, nous sommes prêts à prendre le pouvoir, explique-t-elle. Mais pour ça, il faut rester crédible, et donc ne pas s'associer à la social-démocratie. La crédibilité passe par le comportement, et nous on ne transige pas. » On est loin du « souffle irrépressible de l'unité » qu'appellent de leurs vœux Clémentine Autain et Roger Martelli dans une tribune pubilée sur Regards.fr. « Je ne comprends plus vraiment, dit Autain à Mediapart. C'est en restant positif qu'on gagne des points dans le PCF, en convainquant et non en se soustrayant… Si on est divisé, tout le monde perdra. L'unité n'est pas une condition suffisante, mais elle est sine qua non. Les signaux de divisions qui se succèdent, ça inquiète les militants et ça les démotive. Eux, ils aimeraient une photo de Jean-Luc et Pierre tout sourire. »
Un cliché que l'on a bien du mal à imaginer désormais, et l'on ne se risquera pas davantage à un pronostic sur la pérennité du Front de gauche, dans les meetings comme dans les urnes. Au parti communiste, on semble démuni. « Face à l'irrationnel, on ne peut pas avoir de réponse rationnelle, explique-t-on place du Colonel-Fabien. Notre seul espoir, c'est que les militants du PG s'insurgent contre cette faute politique. » Et on dit ne pas comprendre cette personnalisation de la rancœur face à Pierre Laurent. « À Marseille aussi, il s'est investi dans le débat de son parti, mais pour qu'il y ait une liste Front de gauche… » L'eurodéputée Marie-Christine Vergiat ne veut pas perdre espoir : « Je me battrai bec et ongles pour que le Front de gauche survive, dit-elle. L'enjeu des élections européennes, ce n'est pas le seul score en France, mais bien de voir comment l'on améliore notre visibilité dans toute l'Europe. L'important, c'est que le PGE ait plus de représentants au parlement européen, pèse plus dans les rapports de force. Mais parfois, en France, on a du mal à comprendre cela… » Pierre Laurent, lui, ne tient pas à réagir, et son entourage assure que « tout cela ne l'empêche pas de dormir ». Dans Libération, dimanche, il a déploré une « décision regrettable et incohérente », avant d'estimer que « l'heure n'est pas à la dispersion ». Il en faudra sans doute plus pour l'endiguer, ladite dispersion…
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