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Le plan de carrière emblématique d’une oligarque de Bercy

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A première vue, l’histoire de Marie-Anne Barbat-Layani est d’une parfaite banalité et ne mérite pas qu’on s’y arrête. Inspectrice générale des finances, elle va en début d’année prochaine quitter Bercy pour rejoindre la Fédération bancaire française. Un chemin que d’innombrables hauts fonctionnaires ont emprunté avant elle, avec des points de chute similaires dans le monde de la finance. Un pantouflage, un de plus, voilà tout ! Et comme il a sûrement été fait dans les règles, après l’approbation de la Commission de déontologie de la fonction publique – qui a vu sa crédibilité entachée depuis le scandale Pérol –, il n’y a aucune raison de s’y attarder.

Et pourtant si ! Car le parcours de cette haute fonctionnaire est emblématique des mœurs qui sévissent au ministère des finances – les mœurs d’une petite oligarchie parisienne qui tient le haut du pavé dans la haute fonction publique ou dans la vie des affaires, et parfois des deux côtés alternativement, dans un mouvement d’essuie-glace. Ce qui pèse lourdement sur le fonctionnement de l’État, et contribue à la dilution du sens de l’intérêt général sinon même à une confusion entre l’intérêt général et les appétits privés.

Née le 8 mai 1967, Marie-Anne Barbat-Layani fait donc, à ses débuts, un parcours des plus classiques – il est retracé dans son curriculum vitae présenté sur le site de la fédération patronale. Passée par l’École nationale d’administration (1993), elle rejoint aussitôt après la plus influente direction du ministère des finances, celle du Trésor, avant de devenir attaché financier à la représentation de la France auprès de l’Union européenne, à Bruxelles.

Mais ensuite, son cheminement devient plus intéressant. Elle rejoint alternativement des cabinets ministériels de gauche puis de droite, pour mettre en œuvre des politiques qui sont censées être opposées. En 2000, elle est ainsi conseillère technique auprès de Christian Sautter, qui est alors pour une très courte période ministre des finances. Puis, quelques années plus tard, on la retrouve en 2010-2012 directrice adjointe du cabinet du premier ministre, François Fillon, en charge des questions économiques.

Avec des hauts fonctionnaires, toujours les mêmes, qui conseillent alternativement la gauche et la droite, allez vous étonner, ensuite, qu’il n’y ait plus guère de différence entre les politiques économiques d’un camp et de l’autre. C’est le propre de l’oligarchie : elle survit à toutes les alternances et peut défendre perpétuellement les mêmes intérêts.

Mais, de l’époque de Christian Sautter jusqu’à celle de François Fillon, Marie-Anne Barbat-Layani n’est pas restée inoccupée. Entre ces deux fonctions, elle a fait une immersion dans le privé, de 2007 à 2010. Et où cela, précisément ? Dans une grande banque, évidemment. Et cela aussi est évidemment symbolique car, au fil des ans, la direction du Trésor, qui joue un rôle majeur dans la conduite des affaires économiques et financières françaises, est devenue une annexe des grandes banques privées et une caisse de résonance des puissants intérêts du lobby bancaire, lequel lobby se montre en retour généreux et embauche à tour de bras les figures connues de cette même direction. Pendant les trois années qui ont précédé son arrivée à Matignon, Anne Barbat-Layani a donc été directrice générale adjointe de la Fédération nationale du Crédit agricole.

Et ces allers et retours entre le public et le privé ont aussi valeur de symbole : ils révèlent la porosité qui s’est installée entre l’intérêt général et les affaires privées, conduisant à un mélange des genres étonnant.

Mais poursuivons. Si le parcours de notre haute fonctionnaire retient l’attention, c’est aussi à cause de la suite de sa carrière. Par un décret du président de la République, Nicolas Sarkozy, en date du 8 mai 2012 – on peut le consulter ici – elle « est nommée inspectrice générale des finances ».

Cette nomination est légale, certes, mais doublement stupéfiante. Car pour pouvoir être nommée inspectrice générale des finances, une haute fonctionnaire doit avoir au moins 45 ans. Or, dans le cas de Marie-Anne Barbat-Layani, la règle était embarrassante car son 45e anniversaire tombait précisément le 8 mai 2012, soit deux jours après le second tour de l’élection présidentielle qui a vu la victoire de François Hollande sur… Nicolas Sarkozy.

Cela n’a pourtant pas gêné Nicolas Sarkozy, qui est resté en fonction jusqu’à la cérémonie de passation des pouvoirs, le 15 mai. Loin d’expédier seulement les affaires courantes, il a donc aussi signé quelques décrets avantageant certains de ses proches. Dont celui qui a permis à Marie-Anne Barbat-Layani de faire un grand pas dans sa carrière professionnelle.

Cette promotion de dernière minute surprend d’autant plus que les postes à l’Inspection générale des finances sont évidemment en nombre limité et que d’autres hauts fonctionnaires avaient peut-être d’importants états de service à faire valoir et voulaient se mettre au service de l’intérêt général pour de longues années.

Oui, pour de longues années ! Car avec Marie-Anne Barbat-Layani, nous ne sommes toujours pas arrivés au bout de nos surprises. Lorsque l’on devient inspectrice des finances, il faut en effet attendre un an et demi pour devenir définitivement membre titulaire de ce grand corps de l’État. Et ce statut est une formidable protection : c’est la garantie d’un emploi à vie. Quand bien même décide-t-on de « pantoufler » dans le privé, on peut à tout moment revenir à l’Inspection en cas de pépin.

Or, nommée ric-rac à l’Inspection générale des finances, Marie-Anne Barbat-Layani y est restée pile 18 mois, pour en être titulaire. Par un nouveau décret en date du 15 novembre 2013 (consultable ici) du président de la République, devenu dans l'intervalle François Hollande, elle a donc été titularisée dans le grade d'inspectrice générale des finances à compter du 8 novembre précédent. Mais l'encre de ce décret était à peine sèche que déjà la haute fonctionnaire faisait... ses valises ! Et c’est ainsi que le 10 décembre, la Fédération bancaire française, qui est le quartier général de la finance française, a annoncé par un communiqué (il est ici) que Marie-Anne Barbat-Layani devenait sa nouvelle directrice générale, à compter du 2 janvier 2014. 

En clair, l’intéressée a juste attendu les délais de convenance, son titre d’inspectrice générale des finances en poche, pour sauter du train en marche et, abandonnant le service de l’intérêt général, passer dans le camp de la finance.

Tout cela est parfaitement légal. Il n’empêche ! Cela révèle l’extrême porosité que l’État tolère désormais entre la finance et lui-même. Et cela révèle l’emprise de la finance jusqu’au cœur même de l’État. Au diable le service de l’intérêt général ! Un seul précepte désormais commande, celui rendu célèbre par Benjamin Constant quand il a rallié l’empire : « Servons la bonne cause et servons-nous ! »

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