Trois pages sur 196, et des éléments qui jalonnent le texte. À la première lecture, le programme (disponible ici) rendu public le week-end passé par Anne Hidalgo, candidate socialiste à la mairie de Paris, ne permet pas de se faire une idée claire de sa vision du Grand Paris. Outre la construction de 10 000 logements par an à Paris, la candidate socialiste annonce qu’elle « demandera qu’un débat public soit organisé par la commission nationale du débat public sur les modalités nécessaires à la construction d’au moins 70 000 logements en Ile-de-France » (pages 45-46) ; « Je veux que la métropole soit l’opportunité d’un nouveau "pacte social" : nous répondrons à l’urgence conjointement pour mieux accueillir, prendre soin et réinsérer les personnes en difficulté (page 46) » ; « Je réaménagerai toutes les portes de Paris pour en faire des places métropolitaines » (page 47) ... « Changer d’échelle », tels sont les termes régulièrement employés. Mais au-delà des propositions, les moyens de changement et l’impact direct pour Paris et sa liaison avec les villes en périphérie ne sont jamais vraiment explicités.
« Cela manque de concret, et surtout, c’est à sens unique, cette histoire de changement d’échelle, juge Daniel Behar, professeur à l’École d’urbanisme de Paris. La bonne échelle pour Hidalgo, c’est : "en quoi le Grand Paris va permettre de résoudre les problèmes de Paris". Ses propositions pour le logement, c’est ça, c’est le côté "on ne peut pas porter la misère du monde tout seuls, et le Grand Paris va nous permettre d’externaliser les logements sociaux". Elle vend le Grand Paris aux Parisiens, c’est purement électoral. »
Une remarque qui fait bondir Jean-Louis Missika, membre du Conseil de Paris et adjoint au maire chargé de l'innovation, de la recherche et des universités : « C’est faux, le Grand Paris traverse tout le projet !, s’étrangle le codirecteur de la campagne d’Anne Hidalgo. Quand nous avons fait la plateforme collaborative d’Osez Paris (l'association de soutien à la candidature d'Anne Hidalgo pour les élections municipales de 2014), nous n’avions aucun groupe de travail qui s’appelait le Grand Paris, mais les 29 groupes incluaient la dimension métropolitaine. Cela se voit dans le programme, dans toutes les propositions. » Jean-Louis Missika évoque notamment la partie du texte consacrée à la transition énergétique, à propos de laquelle la candidate suggère selon lui « quelque chose de révolutionnaire, qui est la création d’une autorité de coordination de l’ensemble des fluides et des réseaux à l’échelle métropolitaine. De même, quand nous proposons l’unification des règles de tri (page 46), c’est une révolution. »
Sur la question des transports, le texte se contente cependant de « soutenir le Grand Paris express », un projet majeur, certes, mais déjà en route, et qui a trouvé son financement. À côté de ce nouveau « super métro » régional, très peu de projets précis sont mentionnés dans le texte, et notamment pas le tramway T8, le seul projet « transversal » en cours dont le prolongement permettrait de relier la troisième ville d’Ile-de-France (Saint-Denis) à Paris, en passant notamment par le campus Condorcet tant vanté par la candidate, à cheval sur la cité dionysienne et Aubervilliers. Le projet du T8 est pourtant bien avancé. Le premier tronçon de ce tram en forme de Y reliera fin 2014 les communes d’Épinay et Villetaneuse à Saint-Denis, à quelques encablures du Stade de France, dans le quartier « Porte de Paris ». Son prolongement permettrait de relier notamment le stade à la future gare RER Rosa-Parks, construite dans le nord de Paris, en passant par la Plaine-Saint-Denis, un quartier en pleine restructuration, où la SNCF et Cegelec ont installé leurs sièges, et où mille ouvriers travaillent à bâtir celui de SFR qui accueillera 8 500 salariés fin 2015.
En permettant d’instaurer une véritable continuité territoriale entre Paris et Saint-Denis, le prolongement du T8 fait figure de projet pilote dont l’importance fut bien comprise par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui le mentionna dans son discours-cadre sur le Grand Paris du 6 mars 2013. Le 9 octobre 2013, le Stif (organisme de gestion des transports franciliens) a approuvé le financement des premières études pour le prolongement du tram qui contribuerait également à désengorger l’infernale ligne 13 du métro parisien. Pourtant, le projet, dont une partie court sur Paris, ne figure pas dans la profession de foi de l’actuelle adjointe de Bertrand Delanoë.
« La réalisation du prolongement du T8, c’est la construction du lien entre un quartier comme la Plaine qui est en plein développement, c’est le lien entre la banlieue historique, Saint-Denis, la grande ville du nord de la métropole, et Paris, c’est très symbolique, explique David Proult, maire adjoint et directeur de campagne du maire PCF de Saint-Denis, Didier Paillard, qui inclut le prolongement du T8 jusqu’à Paris dans son programme. Sur le tracé du prolongement du T8, viendra s’installer le campus Condorcet, le plus important département en sciences humaines d’Europe. Que cela ne figure pas dans le programme d’Hidalgo, c’est un oubli regrettable, à vrai dire assez inexplicable, qui je l’espère sera vite réparé quand on se penchera vraiment sur les dossiers. Pour nous, et pour le nord de Paris, c’est extrêmement important. Si l'on veut réussir à faire vivre des populations ensemble et à effacer le périph’, c’est le projet idéal. »
Jusqu’ici, la mairie de Paris est partie prenante et cofinance avec Saint-Denis l’association de soutien au prolongement du Tram Y. « Nous n’avons pas repris l’ensemble de la problématique des investissements du Stif au niveau de la modernisation des réseaux de transports, mais nous allons les soutenir et les cofinancer », commente Jean-Louis Missika.
Reste que sur la question des transports, le texte ne propose pas de véritable anticipation des bouleversements à venir : « Quelle est la place de Paris dans le Grand Paris ?, s’interroge l'urbaniste Daniel Behar. Quels sont les partis pris d’Hidalgo ? On n'en sait rien. Sur les transports, à part le prolongement de la ligne 10, que pense-t-elle des nouveaux axes qui vont se développer, de la ligne 14 et d’autres ? Et derrière cela, de ce qui va se jouer dans la recomposition du rapport banlieue-Paris ? Regardons ce qui va se passer avec les gares et des terminus TGV. Si aujourd’hui, celles qui existent en dehors de Paris sont anecdotiques, dans 10 ans, ce ne sera plus le cas. En les raccordant les unes aux autres, nous allons avoir des TGV terminus Orly, et cela va complètement changer la donne, notamment sur la place de Paris. Paris va perdre le monopole de la centralité. Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? »
Le professeur à l’École d’urbanisme de Paris en rajoute une couche : « Le Grand Paris va commencer à générer une nouvelle donne pour Paris intra-muros, juge-t-il. Comment commence-t-on à parler de ça aux Parisiens ? Ce n’est pas du tout présent dans le programme d’Hidalgo. Il y a eu des débats par exemple sur les gares de l’Est et du Nord, le pôle ferroviaire intra-muros qui va demeurer, quand les autres vont perdre de l’importance. Le Grand Paris, c’est une mutation aussi pour l’intérieur de Paris. Or cet impact n’est pas pensé dans ce programme. L’autre bouleversement à venir, c’est l’enseignement supérieur : Hidalgo parle du campus Condorcet, très bien. Mais c’est bien plus large que cela : avec Saclay et Condorcet de part et d’autre de Paris, nous aurons une toute nouvelle carte universitaire. »
Le codirecteur de la campagne PS apporte quelques précisions : « Nous sommes aujourd’hui conscients que la dialectique entre Paris et les villes avoisinantes doit évoluer dans le sens de la création de plusieurs centres, explique Jean-Louis Missika. Nous proposons notamment que toutes les portes de Paris soient transformées en places, et que les axes d’accès à Paris soient transformés en boulevards du Grand Paris. » « Anne Hidalgo pense que beaucoup de choses qu’elle annonce ne sont possibles qu’à l’échelle du Grand Paris, à commencer par les projets sur le logement, la refondation du SAMU social et l’environnement au sens large, poursuit le codirecteur de la campagne de la candidate PS. L’arc de l’innovation, pour lequel nous allons nous adresser à tous les maires des communes avoisinantes, c’est une des manières de rendre le Grand Paris tangible pour le citoyen, et de le sortir de la logique uniquement institutionnelle. Cet arc, cela consiste à dire : on va supprimer progressivement la cicatrice du périphérique, dans une logique vraiment révolutionnaire, tournée vers la ville numérique et le XXIe siècle. »
Sur la question du redéploiement universitaire, Jean-Louis Missika insiste sur le fait que « la métropole scientifique se construira en effaçant progressivement le périphérique. Paris investira dans le campus Condorcet et pour la cité internationale universitaire de Paris. Nous allons financer du logement étudiant en dehors de Paris intra-muros dans le cadre du Grand Paris. Dans la poursuite du campus rive gauche, vers Ivry, nous avons en outre un projet qui s’appelle Aqua futura, qui est déjà en cours et consiste à prendre le terrain de l’usine des eaux d’Ivry qui appartient à la mairie de Paris, et à le transformer en grand campus scientifique, en partenariat avec le Val-de-Marne et Ivry. »
Pour mettre en œuvre sa politique, Anne Hidalgo s’est fait la première supportrice d’une nouvelle structure institutionnelle, la fameuse « Métropole du Grand Paris » qui comprendra Paris et les trois départements limitrophes, dits de la petite couronne : les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. Mais là encore, ça coince.
L’idée, de bon sens au premier abord, est de tenter de simplifier le circuit de décision en Ile-de-France (cogéré entre la région, le département, la ville, les intercommunalités et l'État), en mettant en place notamment un « parlement » des 124 maires des communes. Si certains élus sont enthousiastes (lire ici un texte publié sur Mediapart), en petite couronne, la future Métropole du Grand Paris (MGP) suscite l'ire des maires depuis que l’approche fédérale et progressive a été abandonnée au profit d'un texte de loi fixant à 2016 la mise en place de la structure et surtout rayant de la carte les intercommunalités existantes sur la petite couronne. Alors que le texte vient d’être voté ce jeudi 12 décembre à l’Assemblée, les maires ne décolèrent pas, à droite (à commencer par la candidate de l’UMP à la mairie de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet ) comme à gauche. Fondateur et président de Plaine Commune, la plus ancienne communauté d'agglomération de la petite couronne qui regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis et est dotée d'un budget de 497 millions d'euros, l'ancien député apparenté PCF, Patrick Braouezec, dénonce ce qu'il appelle « la nécropole du Grand Paris » (lire ici son texte paru dans Mediapart). Une colère partagée par plusieurs élus, au sein même du PS : « Je suis socialiste, et un fan de François Hollande, explique Jacques Salvator, maire d’Aubervilliers (93). Mais ceux qui ont pensé cette métropole n’ont rien compris, ni aux communes ni à l’intercommunalité ! J’ai passé 20 ans de ma vie à convaincre les communistes qu’il fallait avancer ensemble sur l’"interco", et finalement, quand on y arrive, on nous oblige à une marche arrière. Mais qu’est-ce qu’on veut ? Refaire un département de la Seine ? On a vu ce que ça a donné : tout pour Paris, et le reste on s’en fout ! »
Jacques Salvator n’utilise pas l’argument financier, quand les moyens de la métropole seront pourtant ceux des communautés d’agglomération. Il ne s’arc-boute pas non plus sur la délégation du Plan local d'urbanisme (PLU), mais conteste le fait que la métropole soit seule chargée du développement économique, social, culturel et de la politique de la ville. « À Plaine Commune, je suis le premier à avoir adhéré à Paris métropole, en mars 2008, la considérant comme une solution d'avenir sur un certain nombre de problèmes, notamment pour le logement ou la péréquation fiscale sur la région, explique Jacques Salvator. Mais on pourrait très bien imaginer une métropole parisienne qui respecte les "intercos" et les villes ! On a réussi accélérer nos investissements, à faire de la Plaine-Saint-Denis un lieu de développement économique d’avenir à partir d'une territoire sinistré. Ensemble, on a réussi à obtenir le campus Condorcet. Et la Métropole viendrait détruire tout cela, avec en plus la mise en place d’une mécanique tellement lourde qu’elle sera impossible à mettre place ? Moi, je n’y crois pas une seconde ! Je ne vois pas du tout ce qu’un responsable au niveau parisien peut connaître des dynamiques de notre territoire, c’est absurde ! »
Clé de voûte du programme d’Anne Hidalgo pour le Grand Paris, la MGP est également critiquée par nombre d’urbanistes, dont Daniel Behar (lire ici son texte publié à ce propos sur Mediapart). S’il retient une partie des arguments des maires de petite couronne – « la maille 500 000 habitants, on sait la faire fonctionner en France, mais il faut dire aussi que la région parisienne n’est pas non plus recouverte d’"intercos" » – l’urbaniste reconnaît qu’il « fallait bien trouver un mode de gouvernance plus rationnel » : « La grande discussion sur le Grand Paris, juge-t-il, c’est la MGP : tout le monde est comme une poule face à un couteau, personne ne sait très bien comment cela peut marcher. À l’étranger, ce sont les Canadiens les plus avancés dans ce processus, et ils en reviennent, notamment à Toronto. Comment gérer une institution de 6 millions d’habitants ? En termes de compétence, qu’est-ce que cela va enlever par exemple à la ville de Paris ? Hidalgo est totalement silencieuse là-dessus. Tout le débat sur les finances, la fiscalité, ce n’est pas dans son texte. Que vont devenir les 50 000 employés de la mairie ? Et comment va-t-elle donc financer ses propres projets ? »
« Nous avons deux années de préfiguration avant la mise en place en 2016, répond Jean-Louis Missika, codirecteur de la campagne d’Anne Hidalgo. On ne pouvait créer une nouvelle structure sans déterminer celle qu’on allait supprimer. Que certains disent : "on aurait dû supprimer les départements plutôt que les intercommunalités", je suis prêt à l'entendre. Ce qui me paraît essentiel dans cette loi sur la métropole, c’est qu’elle enclenche un processus. Il est indispensable qu’une structure à l’échelle de la zone dense de l’Ile-de-France prenne en charge l’avenir du territoire. Aujourd’hui encore, quand vous voulez mettre de l‘argent sur des territoires qui ne relèvent pas de la carte administrative de Paris, il y a tout un tas d’obstacles juridiques. C’est aussi cela qu’il faut changer, notamment pour réussir la couture du périphérique, avec des projets sur Bercy/Charenton, Macéna/Ivry, et j’en passe. »
Conscients de l’enjeu et des difficultés entraînées par la MGP, les députés ont largement amendé le texte voté ce jeudi, le gouvernement s'engageant à étudier à l'horizon 2015 les modalités et conséquences d'une éventuelle suppression des départements de Paris et de la petite couronne. Pour les projets du Grand Paris (en dehors de l’Arc express) comme pour le mode de gestion de la métropole, rien n’est encore acquis. Le temps presse pourtant. Les premières gares du « super métro » seront prêtes en 2020, soit l’horizon vers lequel se projette Anne Hidalgo dans son programme.
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