Officiellement, Vincent Peillon ne recule pas. Il se donne un peu plus de temps pour « mûrir » l’épineux dossier des classes prépa. Ce qui, trois semaines après la présentation du projet visant à revoir leurs obligations de service et leurs décharges horaires, ressemble quand même fort à un enterrement de première classe. « Est-ce que je renonce à avancer ? Non. Nous poursuivons la discussion », a assuré le ministre de l’Éducation nationale en présentant ses premiers arbitrages concernant la négociation « métiers » ouverte le 18 novembre dernier. « J’ai choisi comme méthode le dialogue, contrairement à une image qu’on me fabrique », a-t-il affirmé avant de poursuivre : « Les inégalités, elles sont au sein même des classes préparatoires, il y a des professeurs qui font 8 heures, d’autres 16 heures, il y a des professeurs qui gagnent 3 000 euros, d’autres 9 000 (...). Donc cette discussion doit se poursuivre et elle continuera. »
Ces derniers jours, la pression sur le ministre s’était fortement accrue pour qu’il revienne sur ses propositions, loin de faire consensus à gauche, et dont l’exécutif craignait surtout qu’elles ne le coupent de sa base enseignante à quelques mois des municipales, sachant que la question des rythmes scolaires perturbe déjà le jeu pour les candidats socialistes. Outre le mouvement des profs de prépa, massivement en grève lundi dernier, on avait senti comme une gêne ces derniers jours au sein du gouvernement. Laurent Fabius, énarque et normalien, avait sans ambiguïté exprimé ses doutes lundi au micro de France Inter sur la stratégie de Peillon : « L'objectif me semble devoir être d'élever le niveau général des étudiants, y compris d'université, vers le meilleur, qui a été symbolisé jusqu'ici par les classes préparatoires, plutôt que d'abaisser le niveau des classes préparatoires vers un niveau général qui serait insuffisant. »
Jouer la base des enseignants, et particulièrement celle des enseignants de ZEP, « au-devant de la difficulté scolaire » et très mal payés, contre les « privilégiés » de prépa, en laissant entendre que revenir sur les abus des uns permettrait de financer l’amélioration des conditions de travail des autres, ce n’était pas forcément habile.
Si les rémunérations élevées de certains profs de prépa ou leur statut dérogatoire incompréhensible font bien un peu tousser, pour la plupart des enseignants, par principe, on ne baisse pas le salaire (la rémunération pour être précis, puisqu’il s’agit de limiter les heures sup'), tout comme on n’oppose pas les enseignants entre eux.
Cette entrée dans le sujet mettait également en porte-à-faux les syndicats d’enseignants, à commencer par le SNES (majoritaire dans le second degré comme en prépa). Pas forcément bienvenu au moment où le ministre s’apprête à réécrire les décrets sur le métier d’enseignant – ceux qui définissent les obligations de service des enseignants, considérés comme identitaires chez beaucoup de profs.
Aujourd’hui, le ministre a donc opéré un changement radical de discours. « Il ne s’agissait pas de prendre aux uns pour donner aux autres », explique désormais Vincent Peillon. Ceux qui avaient laissé entendre cela l’avaient bien mal compris, a précisé le ministre. « Je n’ai pas besoin de m’attaquer à des professeurs » pour améliorer les conditions de travail dans l’éducation prioritaire, a tenu à rassurer le ministre.
De fait, les mesures aujourd’hui annoncées pour les enseignants de ZEP ne coûteront pas grand-chose au budget, très contraint, de 2014. « La pondération 1,1 », c’est-à-dire la décharge d’une à deux heures hebdomadaires, selon les obligations de service, pour les enseignants de l’éducation prioritaire ne concernera l’an prochain qu’une centaine de collèges (ainsi que les écoles primaires et maternelles rattachées), c’est-à-dire un tiers seulement du réseau ÉCLAIR, déjà les prioritaires des prioritaires. Le dispositif doit ensuite monter en charge les trois prochaines années pour s’appliquer aux trois cents ou quatre cents établissements les plus en difficulté. Aujourd’hui, l’éducation prioritaire se partage en réseaux ÉCLAIR, environ 300 collèges, et réseaux de réussite scolaire, plus mixtes socialement, soit 780 collèges. Les critères précis d’éligibilité devront être définis dans le cadre du chantier de l’éducation prioritaire qui s’ouvrira en janvier. « Cela ne veut pas dire qu’on va mettre moins sur les autres (établissements de l’éducation prioritaire, ndlr) mais qu’on va mettre le paquet sur ceux qui en ont le plus besoin », a précisé Vincent Peillon.
Pour les directeurs d’école, dont la charge de travail s’est considérablement accrue ces dernières années, le ministère a acté à la fois une augmentation des décharges horaires en fonction du nombre de classes de l’école (voir le détail ici), mais aussi une augmentation des indemnités (elles passeront de 300 à 500 euros pour les directeurs d’école de trois classes, de 300 euros à 700 euros pour quatre classes et de 600 à 700 euros pour les écoles de cinq à neuf classes – voir le détail ici). Les Rased, ces enseignants spécialisés dans l’accompagnement des élèves en difficulté, laminés lors du dernier quinquennat, sont a priori confortés mais le ministre ne s’est engagé sur aucun chiffre concernant leur recrutement.
Pour le reste, les arbitrages sur les sujets les plus complexes – comme celui du « décret de 1950 » (voir notre article) ou celui des classes prépa donc, sont repoussés à janvier.
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