De notre correspondante à Athènes.
Il y a bien eu des craintes au début. « Nous n'avons qu'un Alexis, s'il doit faire le tour de l'Europe, comment va-t-on s'organiser ici ? », raconte Errikos Finalis, membre du comité central de Syriza. Quand le Parti de la gauche européenne a pris sa décision de présenter un candidat pour prendre la présidence de la Commission européenne, malgré ses hésitations de départ, et lorsque les regards se sont portés sur Alexis Tsipras, la première réaction au sein du parti a été la surprise. Mais très vite, elle a laissé place à un calcul. « Cette candidature peut être très porteuse pour le PGE, mais elle peut être très porteuse aussi pour nous, le Syriza, poursuit Errikos Finalis. Car elle signifie qu'Alexis Tsipras a une envergure internationale, qu'il est pris au sérieux à l'extérieur de la Grèce, qu'il peut être une force de proposition : cela va à l'encontre de la propagande menée ici par le gouvernement ! »
Natacha Theodorakopoulou, de la section relations internationales du parti, renchérit : « Les partis de la coalition gouvernementale critiquent le manque de vision européenne de Tsipras, son manque d'intérêt pour les institutions de Bruxelles, son manque d'alliances sur le continent... Cette candidature va permettre de prouver le contraire. » Au sein du parti, on est certain que la désignation de Tsipras comme tête de liste aux européennes suscite la panique au sein du gouvernement. On en veut pour preuve la salve de critiques adressées par la droite de Nouvelle Démocratie à l'encontre de Syriza après l'annonce de la candidature de Tsipras, dès lors stigmatisé comme « l'allié de partis anti-euro et anti-eurozone ».
En réalité, depuis quelques mois, le ton ne cesse de monter entre le gouvernement de coalition (formé par une alliance entre Nouvelle Démocratie et les socialistes du PASOK) et l'opposition de gauche de Syriza. D'un côté, un gouvernement qui, après la défection en juin du petit parti de gauche modérée Dimar, ne fait plus la majorité qu'avec quatre voix au parlement ; de l'autre, le premier parti d'opposition qui ne parvient pas, depuis un an et demi, à faire obstruction. Si l'exécutif est affaibli, il continue de bénéficier du soutien de Bruxelles et de ses partenaires européens et poursuit la politique de sévère austérité à l'œuvre depuis bientôt quatre ans dans le pays. La rue mobilise moins, la dernière grève générale s'est avérée un échec, et tous les passages en force du gouvernement, comme la fermeture brutale de l'audiovisuel public ERT en juin dernier, s'ils ont suscité de vives réactions sur le moment, ont fini par aboutir. « Nous sommes confrontés à une vraie difficulté, confie-t-on en interne. Il y a une défiance envers le monde politique, et le peuple ne se mobilise pas : on a l'impression qu'une fois que les électeurs ont voté, ils estiment qu'il n'y a plus rien à faire et nous laissent agir. Or nous avons besoin des mouvements sociaux... »
Dans les sondages, Syriza se maintient au coude à coude avec Nouvelle Démocratie, à près de 30 % des intentions de vote, mais politiquement, il a enregistré ces derniers temps quelques échecs. La motion de censure déposée par l'opposition il y a un mois à la suite de l'intervention des forces anti-émeutes pour déloger les derniers occupants de l'ancienne radiotélévision publique n'est pas parvenue à déstabiliser le gouvernement. Ce dernier dispose certes d'une courte majorité, mais elle lui suffit pour entériner tous les projets de loi qu'il souhaite faire passer, comme le nouveau budget d'austérité pour 2014, adopté la semaine passée par 153 voix sur 300. Depuis quelques mois, Syriza ne cesse d'appeler à de nouvelles élections, mais il doit bien se rendre à l'évidence : ce gouvernement que l'on annonçait bancal, fragile et impopulaire, reste en place, et continue de faire passer des mesures socialement dévastatrices.
C'est dans ce contexte qu'arrivent, en mai, les élections européennes, mais aussi régionales et municipales : trois scrutins que le Syriza s'empresse déjà de « nationaliser », pour capitaliser sur le mécontentement des électeurs. Les européennes tomberont d'ailleurs en même temps que le second tour des régionales et municipales. Fin novembre, à l'occasion de la visite à Athènes de l'Allemande Gabrielle Zimmer, la présidente du groupe parlementaire de la gauche unitaire européenne (GUE), Alexis Tsipras a ainsi déclaré : « Ce gouvernement veut fuir toute élection... Mais il ne pourra pas fuir les élections européennes ! Le résultat de ce scrutin signera la fin du gouvernement Samaras. »
Si Syriza réitérait le score obtenu lors des dernières législatives, en juin 2012, il pourrait décrocher 7 sièges sur les 22 que compte la Grèce au sein du Parlement européen. Un bond spectaculaire pour la gauche radicale grecque, qui jusqu'à présent n'y occupait qu'un siège, au mieux deux (pendant la législature 1999-2004, sous les couleurs de Synaspismos). Au fond, l'objectif est de décrocher plus de sièges que Nouvelle Démocratie et de creuser l'écart, explique-t-on dans l'entourage de Tsipras.
Et c'est visiblement plus sur les européennes que sur les municipales que Syriza mise pour y parvenir – les grandes mairies du pays étant dans l'immédiat impossibles à décrocher. Or les européennes en Grèce – parmi les plus mobilisatrices du continent, même si la tendance est ici comme ailleurs à la baisse de la participation – recueillent traditionnellement plus de votes favorables aux petites formations politiques. Syriza compte, aussi, sur cet éparpillement des voix défavorable à Nouvelle Démocratie.
Pour l'équipe dirigeante de Syriza, nulle contradiction, donc, avec les enjeux nationaux dans la candidature de Tsipras à la succession de Barroso. « Les enjeux sont complètement mêlés, explique la députée Rena Dourou, chargée des dossiers européens. Nous avons fait le constat depuis le début, et alors que nous n'étions encore qu'un parti à 4 %, que cette crise n'était pas seulement grecque, mais européenne. Il faut donc y répondre par des solutions communes. » L'une des propositions avancées par Syriza : l'organisation d'une conférence européenne, à l'image de la conférence de Londres de 1953 qui a conduit à l'annulation d'une partie de la dette allemande. « La dette est devenue un levier de pression, un alibi pour appliquer sévèrement le modèle néolibéral. Nous devons trouver un arrangement politique pour en effacer une partie », poursuit la députée. Autre pilier du programme pour ces élections européennes : la refondation des institutions, pour une Europe plus démocratique et plus proche de ses citoyens.
La question des institutions européennes constitue précisément l'un des points de division au sein de la gauche du continent. Lorsque le PGE a commencé à réfléchir à cette possibilité de proposer un nom à la tête de la Commission, introduite par le traité de Lisbonne, tous n'étaient pas convaincus par l'idée de présenter une candidature à la tête d'une instance aussi peu démocratique que la Commission européenne... Les composantes du PGE ont finalement accordé leurs violons. D'abord parce qu'il aurait été dommage de ne pas participer de plain-pied à la campagne électorale et de rater des occasions de présence médiatique.
« Il n'y a pas de raison de laisser le monopole de la parole pendant cette campagne aux forces responsables de la crise », peut-on lire dans le communiqué du PGE publié le 18 octobre, qui tranche sur la question et annonce la candidature de Tsipras. Ensuite, souligne Errikos Finalis : « Si l'on ne joue pas le jeu de cette candidature, alors on ne participe plus à aucune élection ! Car on peut dire la même chose du parlement grec : lui aussi n'est plus qu'une façade actuellement, à qui l'on dicte ce qu'il faut voter... »
La candidature européenne de Tsipras, s'il peut redynamiser le parti face à ses enjeux nationaux, va certainement permettre aussi de lisser les désaccords internes. Car en matière de politique européenne, la gauche radicale grecque ne parle pas à l'unisson. Le congrès fondateur de juillet dernier avait fait apparaître un important courant au sein de Syriza, rassemblé autour du député Panagiotis Lafazanis, favorable à une sortie de la zone euro. Ce courant a rassemblé plus du quart des voix des membres au moment de l'élection du comité central. Certes, cela n'a pas empêché la candidature de Tsipras d'être validée à l'unanimité moins une voix et deux abstentions, mais il reste que le parti n'a pas résolu la question de son rapport à l'UE et à l'euroscepticisme grandissant chez les électeurs, dans un pays où les institutions européennes sont coresponsables des cures d'austérité à travers leur participation à la Troïka.
Enfin, Tsipras constitue un atout non négligeable pour le PGE. C'est l'un des acteurs de la gauche européenne les plus connus à l'étranger, et Syriza a réalisé une percée ces deux dernières années sans équivalent sur la scène européenne. « L'image positive de Tsipras va aider les petites formations dans la campagne, elle va leur donner plus de visibilité », veut croire Natacha Theodorakopoulou, qui sera de la délégation du parti à Madrid.
Tous les militants de Syriza qui ont voyagé ces derniers temps en Europe le disent, l'étiquette de Syriza leur vaut un capital de sympathie immédiat dans les milieux de gauche, mais suscite aussi intérêt et curiosité chez leurs adversaires : Syriza est connu. « La Grèce a été le cobaye des politiques d'austérité en Europe : elle peut être aussi le laboratoire de politiques alternatives. C'est là que la candidature de Tsipras prend tout son sens », conclut Rena Dourou.
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