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Fraude fiscale : la réforme inachevée

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Le « verrou de Bercy » n’a pas sauté, et ne sautera pas. Le projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale est discuté à partir de ce mercredi au Parlement. Il contient des avancées incontestables, mais le gouvernement a aussi choisi de ne pas toucher au monopole du ministère de l’économie sur l’ouverture d’enquêtes judiciaires relatives aux cas de fraude et d’évasion fiscales. Et la consigne est claire : les députés n’auront pas le droit d’y toucher non plus.

Aujourd’hui, lorsque le fisc débusque un fraudeur, mais aussi lorsque la justice déniche une fraude au cours d’une enquête, il existe une seule voie : seul le ministère des finances a le droit de lancer des poursuites, en déposant une plainte préalable, elle-même soumise à l'autorisation de la commission des infractions fiscales (CIF). Cette lourde procédure, unique en Europe, donne lieu à des allers-retours incongrus entre la justice et  Bercy, et débouche sur très peu de poursuites : environ mille plaintes déposées dn 2011, pour 55 000 infractions constatées et redressements effectués, selon les chiffres du ministère.

Et selon les avocats, les syndicats de magistrats et les ONG qui luttent contre la fraude fiscale, les cas transmis à la justice sont loin d’être les plus graves. Bien souvent, Bercy se réserve le droit de négocier avec le contribuable fautif, et agite souvent le dépôt de plainte comme le bâton censé inciter le mauvais payeur à coopérer. Avec en ligne de mire un principe simple : mieux vaut parvenir à un accord rapide, permettant d’encaisser immédiatement une partie des sommes manquantes, que de se lancer dans une longue procédure judiciaire, aux conclusions fatalement incertaines.

Une ligne de conduite qui fait l’impasse sur l’exemplarité des condamnations pénales, et qui ménage les fraudeurs, puisque les amendes fiscales restent secrètes. Par ailleurs, rien ni personne n’oblige Bercy à actionner la justice, quelle que soit la gravité des faits : l’État a mis dix ans à porter plainte pour fraude fiscale dans l’affaire Wildenstein, malgré les preuves qui s’accumulaient sur le système d’évasion à grande échelle mis en place par le marchand d’art Daniel Wildenstein et ses héritiers. « Sauf que les personnes actuellement en prison pour fraude fiscale se comptent sur les doigts de la main ! », rétorqué Bercy qui a également plaidé des difficultés d’organisation pour l’administration fiscale en cas de tutelle du parquet.

Le 13 avril, François Hollande était volontairement passé à côté de ce point délicat lors de ses annonces déclenchées par les aveux de Jérôme Cahuzac (lire notre article). Et il n’avait pas plus été évoqué lors de la présentation du projet de loi en conseil des ministres onze jours plus tard. A l’époque, plusieurs députés socialistes avaient promis d’y remédier. Yann Galut, député socialiste du Cher en pointe sur la lutte contre l’évasion fiscale, auteur d’une proposition de loi offensive sur la question, déclarait ainsi vouloir « mener le combat parlementaire ». « Pourquoi traiter la délinquance fiscale différemment des autres ? Pourquoi une exception dans ce domaine sur la façon dont la justice peut se saisir d’un dossier ? », interrogeait-il.

Depuis, Galut a été désigné comme rapporteur du projet de loi. Et est contraint de mettre de l’eau dans son vin. Il continue à penser, « à titre personnel », qu’il était intéressant « d’aller plus loin », mais il admet que ce ne sera pas le cas. Même s’il disposait d’importants soutiens, notamment du côté de la garde des sceaux. « Il y a eu un débat de fond », confirme-t-on dans l’entourage de Pierre Moscovici, ministre des finances, et de Bernard Cazeneuve, ministre délégué au budget. Bercy défendait le maintien de son monopole ; la chancellerie dirigée par Christiane Taubira voulait l’amender. Sur ordre de l’Elysée, c’est Bercy qui l’emporté.

Pendant des semaines, Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve ont expliqué au premier ministre et au président de la République que le monopole de Bercy était un dispositif très efficace. Notamment en terme de recettes fiscales. « Quand les dossiers arrivent devant les juridictions, les amendes sont souvent beaucoup plus faibles que celles infligées par l’administration fiscale. Les procédures sont aussi beaucoup plus longues », explique un conseiller qui a milité pour le statu quo. Des difficultés d’organisation pour l’administration fiscale en cas de tutelle du parquet ont également été plaidées. En temps de crise, où l’Etat cherche par tous les moyens à équilibrer son budget, l’argument a porté, finissant par balayer les objections du ministère de la justice.

Et puis, glisse-t-on à Bercy, « les personnes actuellement en prison pour fraude fiscale se comptent sur les doigts de la main ! » Fort de ces arguments, et de l’arbitrage de l’Elysée, le gouvernement a multiplié les appels et les petits-déjeuners pour convaincre les parlementaires socialistes de ne pas mener une fraude contre le verrou de Bercy. Et Yann Galut a été mis en minorité. Il n’a pas déposé d’amendements en commission sur le sujet, et ceux qui l’ont fait ont été promptement balayés.

En commission des Finances, Charles de Courson et Philippe Vigier, de l’UDI, avaient déposé un amendement obligeant Bercy à transmettre au futur procureur financier les cas de fraudes fiscales repérés. Rejeté. Devant la même commission, et en commission des Lois, les UMP Yannick Moreau, Philippe Le Ray et Daniel Fasquelle, ont proposé que la justice se saisisse seulement des cas qu’elle repère au cours de ses enquêtes. Raisonnable, mais rejeté. « Il y a eu des effets d’annonces, et on sentait Yann Galut sincère dans ses déclarations, mais ils ont abandonné, ironise-t-on dans les cabinets des députés de droite à la manœuvre. Pourtant, quand on parle de chercher l’argent là où il est, il y avait de quoi faire. »

Tout juste le gouvernement s’est-il laissé convaincre de consentir à des amendements améliorant « la fluidité » des relations entre fisc et justice. Bercy aura ainsi l’obligation de répondre dans les six mois lorsqu’un magistrat lui demandera des nouvelles d’une procédure qu’il lui aura signalée. Et la commission des infractions fiscales présentera un rapport annuel au Parlement pour détailler le nombre de dossiers dont elle a été saisie, sur lesquels elle a négocié, qui ont donné lieu à des sanctions, ou qui ont été transmis à la justice.

« Nous avons obtenu a un léger déverrouillage, et une meilleure collaboration est crée entre les services », estime Galut. Qui se félicite surtout « des avancées » de la loi : création d’un parquet financier et d’un délit de fraude fiscale en bande organisée, autorisation d’exploiter des fichiers de données même lorsqu’ils sont volés, création d’un statut de lanceur d’alerte… Pas de quoi convaincre Eric Alt. Sur son blog hébergé par Mediapart, le magistrat, et vice-président de l’association anticorruption Anticor, critique le « petit projet de loi contre la grande délinquance économique et financière ». « Il est paradoxal de créer un procureur financier avec une compétence en matière de fraude fiscale, s'il ne doit être que le petit télégraphiste du ministre du budget, peste-t-il. Pire, le régime de transaction est le même, qu'il s'agisse de traiter une fraude fiscale simple ou une fraude en bande organisée. Autrement dit, le texte autorise le ministre du budget à transiger avec le crime organisé. »

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