Ce devait être une simple formalité administrative : la société Gazonor, exploitant du grisou dans les anciennes mines de charbon du Nord-Pas-de-Calais depuis 25 ans, demande à l’État la prolongation de ses concessions, qui arrivent à expiration. Ce pompage est nécessaire pour des raisons de sécurité. Pour rallonger un contrat de ce type, une simple enquête publique suffit. Elle s'est terminée vendredi 6 décembre.
Mais une surprise se loge dans le dossier déposé par l’entreprise : elle ne demande pas seulement à tirer le gaz de mine, dénomination officielle du grisou. Elle veut aussi exploiter le gaz de couche, enfoui bien plus profondément sous la terre. Ce type de gaz est exploité aux États-Unis et en Australie par fracturation hydraulique, une technique interdite en France depuis 2011. Si bien que sur place, des voix s’élèvent contre le projet, et qu’un collectif d’opposants s’est constitué en juin dernier : Houille, ouille, ouille. Ils exigent le rejet de la demande de prolongation, et réclament une étude d’impact sur les conséquences environnementales du forage des gaz de couche. « Si l’on parle de prolongation, ce devrait être la prolongation de la même activité, or le dossier de Gazonor est très clair : ils veulent exploiter le gaz de couche et créer des unités de production d’électricité », explique Christine Poilly, une porte-parole du collectif. Gazonor projette en effet de produire du courant à partir de ce gaz que jusqu’ici il revend sous sa forme initiale à GDF. Le filon est en plein essor : la France oblige désormais EDF à racheter cette électricité, et veut financer ce soutien public par une hausse de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Un tarif d’obligation d’achat est en cours d’élaboration (voir ici).
Dans le dossier de demande adressé par Gazonor aux services de l’État, on lit que « pour développer ses capacités de productions, Gazonor mettra en place de nouveaux sondages d’accès au gisement ou des sondages pour extraire du gaz de couche » et que la société a lancé ces dernières années diverses études pour « quantifier plus précisément » les capacités du gisement en CBM, c’est-à-dire le « Coal bed methane », dénomination internationale du gaz de couche. La profondeur prévisionnelle de ces puits se situe entre 1 500 et 1 600 mètres.
Dans le mémoire technique, on voit encore que Gazonor « a comme objectif de développer ses ressources gazières que ce soit en CMM (le gaz de mine, ndlr) ou en CBM ». Plus précisément, la société indique avoir déposé deux demandes d’ouverture de travaux miniers pour effectuer des sondages d’exploration, dans l’objectif « de rechercher de nouveaux potentiels d’hydrocarbures gazeux dans des secteurs non exploités (CBM) des faisceaux charbonneux du Westphalien et du Namurien ». À plusieurs reprises, l’exploitant affirme exclure de recourir à la fracturation hydraulique. Mais, indique Christine Poilly, « je ne crois absolument pas qu’ils puissent forer ces gaz de façon rentable sans fracturation hydraulique ».
Un événement a mis de l’huile sur le feu : en juillet dernier, la direction régionale de l’environnement (Dreal) a publié deux arrêtés d’autorisation de forages, sur les communes d’Avion et de Divion (Nord). Ils correspondent à deux permis de recherche attribués à Gazonor en sus de ses concessions, les permis de Sud-Midi et du Valenciennois, à cheval sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais.
Premier problème : les arrêtés n’ont pas été rendus publics, malgré les demandes d’associations et d’élus. Le maire adjoint de la commune voisine de l’un des puits, Daniel Ludwikowski, s’est même vu répondre par la préfecture que ces documents administratifs ne pouvaient lui être transmis par manque d’effectifs.
Second problème, plus épineux : en 2009, Gazonor avait déposé une première version de sa demande pour ces permis de recherche. Dans le document concernant le permis « Sud midi », dont Mediapart s’est procuré un extrait, l’exploitant annonce vouloir sonder le sous-sol minier par fracturation hydraulique : « Un niveau de charbon sera sélectionné pour la mise en œuvre de techniques de fracturation hydraulique en fonction de la perméabilité du charbon », peut-on y lire, p. 32 (voir ci-dessous le document).
Après le vote de la loi Jacob interdisant cette technique en 2011, la société a déposé une nouvelle demande de permis, toute référence à la fracturation hydraulique en a cette fois disparu. Or le périmètre de ce permis est limitrophe des concessions dont Gazonor demande la prolongation. Le forage des gaz de couche rouvre-t-il la porte à la fracturation hydraulique ? « Cette technique est interdite en France », rappelle le ministère de l’écologie. Mais rien n’interdit de penser que le gazier pose des pions et parie sur une éventuelle autorisation, à terme, de ce mode opératoire à titre expérimental.
« Il y a une grande confusion entre les gaz de mine, de couche et de schiste », explique Karim Ben Slimane, chef du département de prévention et sécurité minière au bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), chargé de la surveillance du bassin minier nordiste. « D’un point de vue géologique, la différence fondamentale, c’est que le charbon est plus poreux que le schiste. Il est en quelque sorte à la fois la roche mère et le réservoir à gaz. Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, les gisements de gaz de couche sont fracturés par la faille du midi. Il est donc théoriquement possible de produire ces gaz sans fracturation hydraulique. Mais ce n’est qu’une hypothèse. La seule façon de le confirmer, c’est de forer. » D’où les deux permis délivrés l’été dernier.
En Lorraine, la société European Gas Limited (EGL), l’ancien propriétaire de Gazonor, explore déjà le sous-sol en quête de gaz de couche, dans le cadre de permis exclusifs de recherche qu’elle détient en Moselle (Bleue Lorraine, Bleue Lorraine Sud). Mais son forage actuellement en cours à Tritteling-Redlach (Moselle-Est) rencontre des problèmes techniques. Il est à l’arrêt depuis plusieurs jours. L’ONG écologiste France nature environnement (FNE) a déposé deux recours pour l’annulation de ces permis. C’est le même EGL qui doit forer les puits nordistes de Gazonor, racheté en 2011 par Transcor France, une filiale du groupe du milliardaire belge Albert Frère.
Dans le Nord, EGL prévoit de forer « en arête de poisson », selon une courbe parallèle au plan de la couche de charbon, à l’horizontal. Depuis le tube principal, de multiples drains doivent pénétrer dans la couche pour aspirer le gaz qui y repose. Pour Ben Slimane du BRGM, c’est de « la haute technologie » mais avec un appareil de forage classique. Le forage traverse la nappe phréatique, un mode opératoire habituel des forages pétroliers franciliens, ajoute l’expert. Tout cela est très coûteux et l’un des enjeux pour Gazonor sera d’évaluer si la quantité d’hydrocarbures présente dans le charbon situé sous les anciennes mines va suffire à rentabiliser d’onéreuses opérations
« Ils veulent réindustrialiser le Pas-de-Calais en relançant la production charbonnière », analyse Dominique Plancke, conseiller régional EELV, qui pointe la contradiction entre cette quête aux énergies fossiles, émettrices de gaz à effet de serre, et le plan climat régional qui vise 100 % d’énergies renouvelables en 2050 et une baisse de 60 % de la consommation énergétique, sur la base d’un « master plan » développé par l’économiste américain Jeremy Rifkin.
Bertrand Péricaud, conseiller régional PCF, et président d’une mission régionale sur les gaz de couche, ne cache pas son soutien à l’exploitation des gaz de l’ancien bassin minier : « C’est un des rares dossiers économiques qu’on a ici, à deux encablures de Marine Le Pen. On est sur la ligne de front. On est tout seuls. Quel score fera le Front national aux prochaines élections ? Marine Le Pen peut-elle nous prendre la région Nord-Pas-de-Calais ? Je n’ai pas d’industriel qui nous propose de fabriquer chez nous des pales d’éoliennes et de créer 500, 1 000 emplois. Je ne parle pas de plan climat, de théorie. Je parle du concret. »
Quant aux émissions de gaz à effet de serre que dégagerait l’exploitation de ces hydrocarbures gazeux, il considère que « si on produit du gaz de houille dans la logique des circuits courts, pour consommer sur place ou pour alimenter une unité industrielle sur place, le bilan en CO2 sera moins élevé qu’avec du gaz de Sibérie qui s’est tapé des milliers de kilomètres en gazoducs ». Pas d’avenir du nord de la France sans fossile alors ? Pour l’élu communiste, c’est une évidence. « Sinon, il faut m’expliquer pourquoi on est en train de construire un port méthanier à Dunkerque. »
Géologiquement différents, gaz de schiste et de couche participent du même problème politique : tant que l’État et les industriels projetteront leur avenir énergétique dans les hydrocarbures, nous continuerons à rejeter des gaz à effet de serre et à aggraver le dérèglement climatique. Mais tant que la puissance publique échouera à programmer le développement massif de l’efficacité énergique et des sources renouvelables, les élus locaux soutiendront la vieille économie carbonée.
Opposés à la fracturation hydraulique, mais pas au principe de l’exploitation des gaz de schiste, le gouvernement et l’Élysée restent englués dans la zone grise de la loi de 2011, qui prohibe une technique mais pas un sujet, celui de l’usage toujours accru d’énergies polluantes. C’est un blocage insurmontable à la mise en œuvre d’une véritable transition écologique.
BOITE NOIRECet atricle a été modifié le 9 décembre à 9h15 pour préciser une citationde Christine Poilly.
C'est un lecteur du Nord-Pas-de-Calais, opposé aux forages de gaz de couche, qui a attiré mon attention sur ce dossier. Contactée, la société EGL m'a rappelée alors que j'étais en rendez-vous, nous n'avons pas réussi ensuite à nous parler directement.
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