Opération portes closes. Ce lundi, la plupart des classes préparatoires seront fermées à l’appel d’une intersyndicale (SNES, SNALC, FO) opposée au projet visant à revoir le temps de service et la rémunération des enseignants de classes prépa. Dans le cadre de la négociation sur le métier d’enseignant, le ministère prévoit de porter l’obligation réglementaire de service des professeurs de classes préparatoires à 10 heures hebdomadaires pour tous (contre 8 à 11 heures aujourd’hui en fonction des décharges horaires), et ce, assure le ministère, dans « un objectif de clarification, d’harmonisation, de transparence et de justice au sein même des classes préparatoires ».
En mai dernier, le rapport de la Cour des comptes consacré à la gestion des enseignants a jeté un pavé dans la mare. Il relevait que les enseignants de classes préparatoires, par le biais d’un système dérogatoire complexe mêlant décharges horaires (en fonction de la taille des classes) et heures supplémentaires, touchent en moyenne non seulement bien plus que les agrégés du secondaire mais que certains, en multipliant heures supplémentaires et « heures de colle », atteignaient des niveaux de rémunération totalement hors norme dans l’Éducation nationale ou l’enseignement supérieur. Ainsi, dans l’échantillon étudié par la Cour, le cas d’un professeur agrégé de langues vivantes (« 6e échelon de la hors classe » avec une obligation de service de neuf heures de cours par semaine), parvenait, à raison de 8 heures supplémentaires par semaine et de multiples heures de colle, à une rémunération de 107 000 euros par an, soit un équivalent mensuel de 8 900 euros.
Si les syndicats ont répliqué qu’il s’agissait d’un cas exceptionnel qui ne saurait représenter à lui seul l’ensemble de leur profession, la direction générale des ressources humaines du ministère confirme pourtant des moyennes de rémunération nettement supérieures à ce que gagnent les agrégés du secondaire comme les enseignants-chercheurs de l’université, mentionnant aussi en leur sein de très grandes disparités. En moyenne, les enseignants de classes prépa touchent 4 800 euros par mois, heures sup comprises, et font, en moyenne encore, 4 heures sup par semaine (celle-ci étant payée 100 euros). Pour les enseignants dits de « chaires supérieures », un échelon qui peut être atteint après six ans d’ancienneté et qui concerne un tiers des enseignants de prépas, la rémunération mensuelle moyenne est de 5 800 euros (heures sup toujours comprises).
Vincent Peillon, qui a débuté le 18 novembre dernier une négociation sur le métier d’enseignant les poches vides, a décidé (voir notre article) de remettre à plat l’ensemble de ce système à bien des égards incompréhensible, notamment pour financer une décharge horaire des professeurs de ZEP – « ceux qui sont en contact avec la difficulté scolaire », comme le rappelle le ministre. Autre argument invoqué : le projet vise à combler un peu l’écart de traitement entre les profs de classes prépa et les universitaires, sensiblement moins bien rémunérés et recrutés à un niveau de diplôme supérieur.
Depuis que le projet est officiellement connu, la profession est évidemment vent debout. « On veut nous assassiner, c’est vraiment une trahison », tonne Monique Desjardins, enseignante en khâgne au lycée Condorcet de Paris au sortir d’une assemblée générale qui a rassemblé près de 500 profs mercredi au lycée Pierre-Gilles-de-Gennes. Une pétition a été lancée dénonçant une réduction « du jour au lendemain » de leurs rémunérations, « dans une proportion atteignant entre 10 et 20 % de leur salaire » alors que pour d’autres, « la conséquence serait l’obligation d’assurer davantage d’heures, dans les mêmes proportions, sans aucune contrepartie financière ». Inacceptable. « Ce projet, en l’état, nous semble exposer à une grave déstabilisation un système de formation qui contribue pourtant de façon significative à la création des forces vives de la Nation. D’autre part, il donne le sentiment d’un incompréhensible et blessant manque de respect pour une catégorie d’agents de l’État dont le scrupule professionnel et l’engagement au service du public sont connus et reconnus. »
Vincent Peillon, qui a déjà assuré qu’il ne reculerait pas, ne reconnaît, lui, qu’une baisse maximale de 5 % de la rémunération de certains profs de prépa. Il estime qu’après avoir consenti une prime annuelle de 3 000 euros pour les enseignants exerçant plus de quatre heures devant des classes de plus de 35 élèves, le dossier est clos.
« Ils s’attaquent à nous parce que nous ne sommes que 7 500 et que l’on ne pèse rien par rapport aux 800 000 profs », affirme une enseignante qui a l’impression d’être « jetée en pâture à l’opinion ». « Bien sûr, nous sommes plus payés que les certifiés de ZEP mais c’est parce qu’on travaille beaucoup plus », explique Monique Desjardins, prof au lycée Condorcet à Paris, qui raconte passer soirées et week-ends à corriger des copies et préparer ses cours. « Mon voisin est prof en ZEP, il me dit qu’il ne supporterait pas de passer son dimanche à corriger des copies et je lui réponds que je ne supporterais pas de passer mon lundi devant ses élèves ! » poursuit celle qui a, comme beaucoup, commencé sa carrière d’enseignante dans l’éducation prioritaire.
« Comment un gouvernement de gauche peut-il assumer de baisser les salaires et de compenser cela en partie par l’octroi d’une prime ? » s’agace Philippe Mangeot, enseignant à Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), qui dit avoir cru aux discours de François Hollande sur la priorité à la jeunesse et à l’éducation, et se sent donc lui aussi « trahi ». Une expression qui revient sans cesse chez ces enseignants remontés même s'ils ont conscience d’avoir une position privilégiée avec des élèves sélectionnés et motivés : « Pas de nivellement par le bas ! »
Toute la semaine, des AG se sont tenues dans différents lycées pour organiser la riposte dans un mouvement qui échappe encore aujourd’hui en grande partie aux syndicats. Pour beaucoup de profs de prépa rencontrés, le projet Peillon n’a d’ailleurs pu être élaboré sans un soutien tacite du SNES, principal syndicat du secondaire. « Les profs ont le sentiment d’avoir été trahis. Dans les AG, tout le monde est très remonté », assure une enseignante. Jean-Hervé Cohen, responsable des classes prépa au sein du SNES, assure avoir découvert le projet Peillon le jour de l’ouverture des négociations et se l’être pris « en pleine figure ». Étonnant, lorsqu’on sait tous les allers-retours et les concertations qui ont eu lieu depuis cet été pour parvenir à une feuille de route acceptable avant l’ouverture des négociations. Au SNES, où les profs du secondaire pèsent évidemment bien plus que les enseignants de classes prépa, nul doute que l’on est plus sensible à la situation des enseignants certifiés de ZEP qui exercent dans des conditions difficiles pour des rémunérations très faibles.
Au-delà de ce mouvement pour défendre leurs conditions de travail, le projet Peillon ravive surtout les craintes d’une profession qui se sent depuis quelques années sur la sellette, « dans la ligne de mire » des pouvoirs publics comme le rappelle Muriel Darmon dans son récent livre Classes préparatoires : la fabrique d’une jeunesse dominante (La Découverte, 2013). « Ils font cela parce qu’ils veulent nous détruire à terme », nous lance un enseignant, résumant l’état d’esprit d’enseignants inquiets de l’avenir même des classes préparatoires.
Quand il n’était encore que député, Vincent Peillon a plusieurs fois dit tout le mal qu’il pensait de ce système dual dans l’enseignement supérieur : classes prépa d’un côté et université de l’autre – le coût d’un étudiant en prépas étant de 15 000 euros contre 10 000 euros à l’université : « Sur l’université, la vraie réforme, la grande réforme, c’est demain de pouvoir introduire l’excellence à l’université en supprimant ces deux filières », déclarait-il en 2010 au micro de France Inter. « Je pense qu’il y a une préférence française, derrière les discours hypocritement républicains, pour les inégalités. Nous sommes le seul pays des démocraties occidentales où ce sont les enfants des classes défavorisées qui financent les études des classes favorisées (dans les grandes écoles). Nous appauvrissons l’université dans laquelle nous parquons des enfants à qui nous avons fait une promesse républicaine qui n’est pas tenue. »
Ce projet est aujourd’hui politiquement impossible à mener tant les résistances sont fortes. La fusion des classes prépa à l’université que Geneviève Fioraso présentait comme « un chantier du quinquennat », voilà un an et demi à peine dans un entretien à Mediapart, n’est officiellement plus au programme. Sans doute parce qu’avec la fronde actuelle des enseignants du primaire contre les rythmes scolaires, Vincent Peillon ne peut se payer le luxe d’ouvrir un second front, le ton a totalement changé. Il assurait ainsi sur France Inter mercredi 4 décembre : « Je dis aux professeurs des classes préparatoires, qui ont beaucoup de mérite, les professeurs de zones d’éducation prioritaire en ont aussi : vous êtes utiles, vous êtes indispensables, je reconnais vos qualités et nous les confortons. »
Qu’importe ces dénégations, les profs de prépa savent que ce système, symbole de l’élitisme du système français, dont Pierre Bourdieu a si bien décrit les mécanismes de reproduction sociale dans La Noblesse d’État, passe de plus en plus mal dans l’opinion. « Il est quand même compliqué quand vous êtes radicalement à gauche de soutenir ce système, souligne l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, pour qui les classes prépa incarnent un « élitisme libéral » plus que « républicain », comme s’en réclament souvent ses défenseurs.
« Nous sommes pourtant la cheville ouvrière du système éducatif. L’immense majorité des agrégés – de 65 % à 95 % selon les disciplines – l’essentiel des chercheurs, sont issus de nos classes. Nous formons des ingénieurs, des cadres, et les élites politiques qui nous taxent d’élitisme », écrit dans une longue lettre Pierre-François Berger, enseignant au lycée Chaptal qui défend le principe d'une contraction des « moyens, à une échelle dérisoire, sur le "noyau dur" du système que sont les CPGE, afin que la France arrive à maintenir une qualité d’enseignement dans l’ensemble décente, à un coût dérisoire ».
Sur la défensive, ces enseignants rappellent combien le nombre de « prépas » a augmenté ces dernières années, répondant à une demande croissante des familles et avec la bénédiction des pouvoirs publics. Toutes ne sont pas situées en centre-ville, certaines ont même ouvert dans des zones d’éducation prioritaire et ces nouvelles classes prépa ont permis à un nouveau public, qui n’y avait jusque-là pas accès, de franchir le seuil de ces filières sélectives. La preuve ? Elles comptent aujourd’hui 30 % de boursiers.
Pourtant, si les « prépas » ont bien pris leur part au mouvement de massification de l’enseignement supérieur, leur sélectivité n’a pas varié. Les 80 000 étudiants de prépas ne représentent toujours que 7 % des effectifs du supérieur, un taux inchangé depuis vingt ans. Quant au profil socioéconomique des étudiants de classe prépa, il est aussi d’une remarquable permanence avec des enfants de cadres et professions intellectuelles qui représentent toujours deux tiers des effectifs, comme le montrent les récents travaux de Stéphane Beaud.
Le taux de 30 % de boursiers en classes préparatoires est ainsi un trompe-l’œil. Il n’a été atteint qu’en réformant le système des bourses et en abaissant les seuils. Ces boursiers sont la plupart du temps des boursiers à taux zéro, uniquement exonérés de frais d’inscription (lire notre article sur le sujet).
Quel que soit le résultat de la mobilisation des « prépas », une semaine après les résultats de l'enquête PISA qui a souligné comme jamais le caractère inégalitaire de l’école française, il est quasi impossible de faire l’économie d’une réflexion globale sur l’architecture du système et ses priorités profondes : former une élite ou faire avancer tous les élèves ?
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