Le conseil d’administration d’Orange – ex-France Télécom – a été, comme prévu, la chambre d’enregistrement de la décision de l’État : Stéphane Richard a obtenu le vote de confiance des administrateurs – à l’exception de la représentante de Sud qui a voté contre et celui de la CGT qui s’est abstenu – lui permettant de se maintenir à la tête de l’opérateur de télécommunications, en dépit de sa mise en examen pour escroquerie en bande organisée. Dimanche soir, François Hollande avait donné son verdict, lors de l’émission “Capital” sur M6 : « Tant que Stéphane Richard peut être dirigeant de cette entreprise sans qu'il y ait de conséquences sur la procédure judiciaire, il le restera », avait annoncé le président de la République, expliquant ne vouloir en rien déstabiliser le groupe et ses 170 000 salariés.
La décision, selon nos informations, avait été prise dès vendredi par l’Élysée. « Il n’y a pas eu de flottement sur le sujet », assure un proche du pouvoir. « Seuls, Arnaud Montebourg et Aquilino Morelle (conseiller politique au cabinet de François Hollande - ndlr) militaient pour son départ. Ils pensaient que c’était une façon de faire oublier l’affaire Cahuzac. Mais ils ont vite été marginalisés. De son côté, Matignon, après avoir été un peu ébranlé par le motif de la mise en examen de Stéphane Richard, s’est rallié à la position de l’Élysée », explique-t-il.
David Azéma, le responsable de l’agence des participations de l’État (APE), le ministre des finances Pierre Moscovici et son entourage, Claude Bartolone, l’inspection des finances, Laurence Parisot et le Medef, certains syndicats de France Télécom, les réseaux locaux très proches de l’ancienne Générale des eaux où il a travaillé… Beaucoup de monde s’est mobilisé pour sauver le soldat Richard, dès la déclaration du ministre du redressement productif qui avait estimé qu’il serait difficile pour le président d’Orange de se maintenir en fonction s’il était mis en examen.
Face à tant de pressions, l’Élysée semble avoir été ébranlé. « L’Élysée a eu peur d’aller au carton. En le voyant soutenu à la fois par le Medef et les syndicats, ils se sont dit que ce ne serait pas tenable », explique un conseiller. « L’Élysée a craint de se voir accusé de mener une chasse aux sorcières. C’est plutôt une finesse politique d’avoir opté pour la solution de le maintenir en place », ajoute un lobbyiste habitué à faire le va-et-vient entre le monde politique et le monde des affaires.
« François Hollande a agi comme à son habitude, en décidant de ne pas trancher et de voir comment la situation allait évoluer. Cela dit, je crains que le gouvernement ne se retrouve dans une situation intenable comme dans l’affaire Cahuzac : les développements judiciaires de l’affaire Tapie risquent de le prendre de court et à un moment, il pourrait ne plus avoir le choix », souligne un observateur.
Plusieurs arguments ont été avancés par le gouvernement pour justifier son choix : l’intérêt de l’entreprise et de ses salariés et le souci de ne pas leur porter préjudice ; le soutien des salariés soutenant Stéphane Richard qui a su amener un certain apaisement après la période bouleversante des suicides dans l’entreprise ; et la possibilité pour Stéphane Richard de pouvoir continuer à diriger Orange, en dépit de sa mise en examen.
Avant même la mise en examen de l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances, David Azéma, selon nos informations, s’est emparé du dossier afin « de définir la jurisprudence à appliquer ». Onze présidents du CAC 40 sont mis en examen pour des raisons diverses (voir notre dernier article sur Total par exemple), a-t-on commencé à répéter dans les couloirs de Bercy.
Mais la situation de Stéphane Richard est quand même très différente. D’abord, il dirige une entreprise publique, qui a, plus que tout autre, un devoir de responsabilité sociale et morale. Sa conduite a une portée politique. Ensuite, le président d’Orange se trouve mis en examen dans le cadre d'un scandale politique majeur et les chefs d’inculpation qui lui ont été signifiés par la justice sont graves. Enfin, même si ces nombreux soutiens n’ont cessé de rappeler que son inculpation n’a aucun lien avec ses fonctions actuelles à la tête d’Orange, un fait ne peut être masqué : Stéphane Richard n’avait aucune connaissance du secteur des télécommunications avant d’arriver chez l’opérateur. C’est parce qu’il était directeur de cabinet de Christine Lagarde, qu’il a été parachuté dans la grande tradition du pantouflage de l’administration française, à la direction internationale du groupe avant d’en prendre la présidence, après le renvoi de Didier Lombard à la suite de la vague de suicides dans le groupe.
Préférant occulter ces délicates questions, l’Agence de participations de l’État a choisi de s’en tenir à une plus simple : la mise en examen de Stéphane Richard a-t-elle une incidence sur la conduite du groupe ? Elle a jugé que non. À ses yeux, le groupe peut continuer à fonctionner comme avant, d’autant que Stéphane Richard n’est soumis à aucun contrôle judiciaire. Il serait même préjudiciable de bouleverser la conduite du groupe actuellement.
Surtout ses nombreux soutiens insistent sur l'appui massif des salariés du groupe dont il bénéficie, louant son mode de direction « consensuel », après la période traumatisante de son prédécesseur. Les communiqués de la CGC et de la CFDT notamment, demandant au gouvernement la semaine dernière de maintenir Stéphane Richard à la présidence d’Orange, ont fait forte impression dans les couloirs du pouvoir.
« La maison a été très secouée ces dernières années. Il faut mettre au crédit de Stéphane Richard d’avoir contribué à l’apaisement social. De plus, à un moment où le secteur est très secoué, où la commissaire européenne Neelie Kroes veut imposer un marché unique des télécoms, où il est question de créer un EADS des télécommunications, nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’avoir un nouveau président qui mettra 18 mois à découvrir les dossiers et placera le groupe dans une position affaiblie dans les discussions », explique Sébastien Crozatier, responsable de la CGC dans le groupe pour justifier le soutien public de son syndicat.
À l’issue du conseil d’administration de ce lundi, la CFDT, qui avait soutenu Stéphane Richard, s’est elle aussi félicitée de son maintien au nom de « la présomption d’innocence et de la nécessaire stabilité de l’entreprise ». « C’est en 2014 que le mandat de Stéphane Richard arrivera à échéance : ce sera le moment de faire un vrai bilan social et économique de son action », explique Daniel Guillot, représentant des salariés pour la CFDT au conseil d’administration du groupe. Avant d’ajouter : « Il est temps maintenant de se remettre au travail. »
« Les salariés sont plus divisés qu’il n’y paraît sur le maintien de Stéphane Richard », nuance Alice Roupy, déléguée syndicale centrale de la CGT. Les responsables de la première force syndicale du groupe ont été assez irrités par la mise en scène présentant les salariés comme étant tous derrière leur président. Mais ils refusent de se prononcer sur la question de son maintien ou non. Pour eux, seule la stratégie du groupe compte.
« La nomination de Stéphane Richard a certes aidé à pacifier le groupe. Mais c’est grâce au rapport de force institué par les salariés qu’il y a eu cette volonté d’apaisement. Au cours des trois dernières années, le groupe a recruté 10 000 personnes, cela a beaucoup contribué à diminuer les tensions sociales. Mais cette période est bien révolue. Le groupe a l’intention de supprimer 7 000 emplois au cours des deux prochaines années. Cette politique risque de nous conduire à une nouvelle crise », redoute Alice Roupy.
Le syndicat Sud partage la même analyse sur la conduite du groupe. Mais ne voit pas, quant à lui, comment ne pas poser aussi la question du maintien de Stéphane Richard à la présidence du groupe. « Pour des raisons de principe », insiste Caroline Angeli, élue du syndicat Sud au conseil d’administration du groupe. « Dans une entreprise déjà chahutée, qui vit dans un environnement très concurrentiel, cette mise en examen n’est pas un élément anodin pour les salariés. Même en évoquant la présomption d’innocence, comment justifier les procédures disciplinaires dans le groupe qui imposent la suspension des personnes en cause jusqu’à ce que l’entreprise ait statuée, si le PDG lui peut se maintenir ? Comment lutter contre la corruption, si votre président est soupçonné ? De plus, dans le climat actuel des affaires, il est important de ne pas banaliser la situation », explique-t-elle.
Après les explications sur son vote, Caroline Angeli dit avoir recueilli un silence poli. « La position de l’État pose problème. Il ne se considère que comme un actionnaire. Il refuse d’assumer une autre dimension : le rôle de l’État. Mais c’est une question d’habitude chez France Télécom », dit-elle.
De multiples relais se sont constitués ces derniers jours pour dissuader le gouvernement de sortir de son rôle de simple actionnaire. Tous lui ont recommandé de temporiser en attendant d’éventuels rebondissements judiciaires. Le message porté a été que ces derniers paraissaient bien improbables dans le cas de Stéphane Richard. « Cette affaire n'ira nulle part. L’arbitrage Tapie a été fait sur ordre politique. Stéphane Richard n’a été qu’un simple exécutant », assure un inspecteur des finances volant au secours d’un de ses condisciples. Car c’est aussi cela qui transparaît de cet épisode autour du maintien du président d’Orange : en dépit de l’ampleur du scandale Tapie, la haute administration, aveugle et sourde, continue de vouloir organiser son auto-protection et son impunité.
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