En d’autres temps, certains parlaient de « chef-d’œuvre masochiste », avec la même morgue qui sied si bien aux tenants du cercle de la raison et de la responsabilité, face au désamour d’un peuple de gauche qu’ils ne comprennent plus. Au lendemain de la huitième législative partielle perdue depuis l’élection de François Hollande à l’Élysée, on ne peut qu’être admiratif devant le talent indéniable des socialistes à regarder ailleurs quand la maison brûle.
Après la ritournelle rituelle de « la circonscription ancrée à droite » expliquant les déroutes précédentes, le résultat de la 3e circonscription du Lot-et-Garonne avait été anticipé par l’état-major du PS, qui avait prévenu depuis plusieurs jours de l’ampleur du « choc Cahuzac ». Un « choc » dont on est bien incapable, pourtant, de dire de quoi il est vraiment le nom, chez les socialistes.
Car une fois l’élimination du candidat socialiste connue, il n’était décidément pas possible pour les hiérarques de la rue de Solférino de s’en tenir à la modestie et au dos rond. Non, pour le parti socialiste, le vrai problème de ce premier tour, c’est « la division de la gauche », ainsi que l’ont écrit le premier secrétaire du PS, Harlem Désir, et son secrétaire national aux élections, Christophe Borgel, dans leur communiqué dès dimanche soir.
Et ce lundi matin, on se serait cru un 22 avril 2002, en entendant le président du groupe PS à l’assemblée, Bruno Le Roux, qualifier de « faute politique » le fait de « ne pas se rassembler au premier tour quand on est ensemble et qu'on doit assumer ensemble le bilan de la majorité ». Ou encore Luc Carvounas, secrétaire national du PS aux relations extérieures, condamner « l'amnésie collective d'une partie de la gauche », avant d’appeler « tous les partis de gauche, à la responsabilité et donc à l'unité lors des prochaines échéances électorales de 2014 au risque de voir réitérer ce scénario catastrophique dans de nombreux territoires ».
Ce n’est plus de la méthode Coué, mais carrément la méthode fouet : Nous socialistes qui sommes les plus forts, les plus beaux et les plus intelligents, n’en pouvons plus de vous, alliés inconséquents qui rechignez ainsi à toute encoche dans le droit du travail ou les acquis sociaux, qui faites les mauvais camarades sur les questions de transparence ou d'environnement, alors que c'est la crise et qu'on n'a pas d'autre choix que la rigueur, mais attention, hein, pas l'austérité. Et si en plus vous pouviez la mettre en veilleuse, ça nous arrangerait.
Haro sur ce Front de gauche, qui de toute façon ne progresse pas, et surtout sur les écologistes, qui faute de Chevènement ou de Taubira disponibles, deviennent les boucs émissaires de service. Insoutenable légèreté de l’être socialiste, qui oublie un peu vite qu’EELV et le Front de gauche étaient déjà présents en 2012 à Villeneuve-sur-Lot, avec les mêmes scores (une perte de 60 voix pour EELV, de 500 voix pour le FdG). Il ne faudrait surtout pas s’interroger plus avant sur le fait que le PS a perdu 15 000 voix au premier tour, entre l’élection de Jérôme Cahuzac en juin 2012 et l’élimination de Bernard Barral en 2013. C’est tout juste si le PS ne nous rejoue pas le couplet de la “démobilisation qui n’est absolument pas une sanction”, comme lors de la partielle de l’Oise, où la candidate socialiste avait perdu 10 000 voix en mars dernier, par rapport à son élection en 2012.
C’est tellement plus simple de s’en prendre aux “partenaires”, que l’on aime tant humilier dans la vie parlementaire de tous les jours, comme on a pu le constater lors de l’examen des trois dernières niches parlementaires des alliés du PS, toutes enterrées en commission, des ondes magnétiques (EELV) à l’amnistie sociale (FdG), en passant même par la réforme du mode de scrutin aux élections européennes (PRG).
Cela permet, en outre, de laisser de côté un autre score qui interroge à Villeneuve-sur-Lot, celui du “Parti d’en rire”, emmené par la plus fanatique des “supportrices” de Jérôme Cahuzac (du début de l’affaire jusqu’à aujourd’hui encore), la responsable du journal local La Feuille, Anne Carpentier. Déjà candidate en 2007, elle avait recueilli 169 voix, avant d’appeler à voter Cahuzac au second tour. Dimanche soir, avec 1 078 voix, elle obtient 3,30 %. Plus que l’écart qui sépare le PS du FN au premier tour (770 voix).
Que beaucoup s’interrogent parmi les socialistes locaux sur l’influence qu’aurait pu avoir Cahuzac dans ce score, comme sur les consignes que certains auraient reçues de voter pour elle plutôt que pour le candidat PS, cela ne fait pour le coup guère l’objet de communiqué de la direction socialiste. Sans doute par remords d’accuser celui qui était un « grand homme » il n’y a pas si longtemps, chéri par tant de députés absolument convaincus, alors, que Mediapart faisait « fausse route », avant d'être cloué au pilori pour son mensonge, davantage que pour son compte en Suisse.
Depuis l’élection de François Hollande, le PS en est donc réduit dans les urnes à faire barrage au FN, de façon docte et moraliste. À chaque fois en balayant d’un revers de main autoritaire les états d’âme locaux de militants socialistes, de plus en plus dégoûtés par ce front républicain à sens unique, se résumant en un appel à voter pour une UMP qui, elle, se vautre dans le “ni-ni” et l’amalgame “Front national/Front de gauche”, et dérive toujours plus vers les thèses d’extrême droite.
Pourtant, dans l’Oise il y a trois mois, comme à Villeneuve-sur-Lot aujourd’hui, les socialistes locaux ne se résolvent plus à voter pour des Jean-François Mancel (déjà allié par le passé au FN) ou des Jean-Louis Costes (compagnon de route du Mouvement initiative et liberté – MIL –, héritier pacifique du défunt Service d’action civique – SAC). Les récentes péripéties du PS vauclusien montrent bien la complexité principielle d’une dérogation à la notion de Front républicain (lire notre enquête).
Mais le PS préfère l’absence de discussion et le bon vieux tirage d’édredon à l’entame d’une réflexion sur la droitisation de la droite. Mieux vaut se contenter, pour les pontes socialistes, de constater une droitisation de la société, à laquelle il faudrait répondre par un durcissement de ses positions face à « l’islamisme » et un renforcement de « l’ordre républicain » (lire notre article). Entamer enfin une réflexion sur le sujet aurait peut-être plus d’intérêt que d’organiser des “conventions village Potemkine”, décidant de parler d’Europe sans en débattre vraiment, tout en s’adonnant au tripatouillage électoral.
Plus de onze ans après le 21 avril 2002, c’est comme si aucune leçon n’avait été tirée. Pourtant, le parallèle est plus que significatif entre les dernières années du quinquennat Jospin et la première du quinquennat Hollande. Un gouvernement étouffé par la technostructure et guère préoccupé par le peuple, tout à son indéfectible croyance envers les entreprises, seules capables de redresser la France. Et le rôle du pouvoir cantonné à garantir un minimum de justice dans ses actes, sans comprendre que cela est vécu comme injuste et a minima par les électeurs.
Symbole du spectacle toujours plus déprimant du hollandisme au pouvoir, l’intervention du président de la République, qui s’est invité dimanche, ça ne s’invente pas, sur le plateau de l’émission “Capital”. Deux heures durant, François Hollande a fait montre de son inébranlable imperméabilité aux dangers d’une situation économique et sociale qui se détériore. Enfermé dans sa tour d’ivoire élyséenne, où il se conforte comme il le peut avec des sondages biaisés ayant l’avantage de voir leurs courbes s’inverser, contrairement à celles du chômage, dont il reste sans doute le dernier dans son gouvernement à penser qu’elles pourraient connaître évolution similaire.
Hollande a encore une fois fait très fort pour répondre à son électorat perdu. En une annonce, la mise en place d'un abattement exceptionnel pour 2014 sur les plus-values de cessions immobilières, il a conforté une base sociale qui n’est pas la sienne. En un refus, celui d’un coup de pouce pour le Smic, il s’est fait inflexible pour les dernières catégories populaires qui pouvaient encore voter PS. « La loi, pour l'instant c'est la loi », a-t-il commenté. Et “la défaite idéologique, pour l’instant, c’est la défaite électorale”, lui réplique-t-on dans les urnes.
Enfin, pour ceux qui s’inquiéteraient d’un zèle de moralité, comme les députés socialistes déjà horrifiés par la transparence, nous voilà rassurés : l’État (car l’État, c’est Hollande) défend le maintien de Stéphane Richard à la tête de Orange. Et il y restera « aussi longtemps qu'il sera en mesure de diriger l'entreprise ». Ce qui a valu démission au ministre Cahuzac soupçonné de « blanchiment de fraude fiscale », une mise en examen, ne vaut pas pour un ancien directeur de cabinet soupçonné d’« escroquerie en bande organisée ».
En aucun cas, la remise en cause d’une politique gouvernementale n’est ni ne sera à l’ordre du jour, quand bien même le reste de la gauche, gouvernementale ou non, se réunirait pour appeler à un changement de cap. Dans la bouche des députés et dirigeants socialistes actuels, on a depuis un an coutume d’entendre que « face au chômage et à la crise, on a tout essayé sauf de faire confiance aux entreprises ». Il y a pourtant autre chose qui n’a plus été tenté depuis un moment, par les socialistes au pouvoir. Être de gauche, simplement et unitairement.
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