Les trottoirs n'étaient pas envahis, mais la rue était pleine, ce dimanche à Paris, entre la place d'Italie et Bercy. L'appel à une « marche pour la révolution fiscale » du Front de gauche, rejoint par le NPA et Lutte ouvrière, a mobilisé les troupes militantes, et c'est un soulagement pour les responsables du rassemblement de l'autre gauche, après trois mois de discordes internes à son sommet. « On s'est montré, d'abord à nous-mêmes, qu'on est toujours forts et nombreux », indique François Delapierre, un proche de Jean-Luc Mélenchon. « Au cœur de l'hiver, en peu de temps, on a réussi à faire quelque chose de bien, qui redonne de la gauche et repolitise un mouvement antifiscal confus, et ce alors que la base militante est un peu démoralisée », abonde la communiste Marie-Pierre Vieu. « Après la tétanie, il y a une remise en marche », se réjouit timidement le secrétaire national du PCF Pierre Laurent.
« L'ambiance est encore extrêmement frileuse entre Pierre et Jean-Luc, mais après avoir été proche de l'explosion, on montre qu'on est loin d'être morts », confie sous couvert d'anonymat un dirigeant communiste. La fracture de Paris, et le choix des communistes – fortement encouragé par la direction nationale – de faire alliance avec les socialistes dès le premier tour, sont loin d'être cicatrisés. Au moment de prononcer son discours, juste après celui de Mélenchon, Pierre Laurent a vu tous les drapeaux PG se baisser, puis de nombreux militants quitter l'assistance. « C'est un peu con, car ça fait consigne, dit l'un d'eux. Mais ce n'était pas concerté, on ne digère juste pas. »
Au-delà des toujours plus irréconciliables querelles de chiffres, le Parti de gauche annonce 100 000 manifestants, le PCF « entre 60 et 70 000 », tandis que la préfecture de police, après avoir dit qu'elle ne ferait pas de comptage, a de son côté estimé… 7 000 personnes. Comme souvent, la vérité se trouve plus sûrement au milieu, l'affluence se situant autour des 30 000, sans compter « une quarantaine de rassemblements » en province. Davantage que lors de la manifestation quimpéroise des Bonnets rouges il y a trois semaines. Car c'était là l'objectif affiché par les organisateurs les plus raisonnables et raisonnés de l'après-midi. « On a repris l'initiative à gauche, face à la colère de droite, avec des messages politiques, contre la hausse de la TVA, et pas en disant “à bas les portiques !” », se réjouit Delapierre. « On est dans une période où il y a un risque de cassure entre les salariés du privé et les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, explique Alexis Corbière, dirigeant du PG. Il ne fallait pas laisser se développer sans répondre des mouvements où le FN, jusqu'ici invisible socialement, peut s'immiscer sans que cela ne gêne. On a bousculé l'agenda de Hollande, et l'idée selon laquelle l'opposition au gouvernement ne serait qu'à l'extrême droite. »
À la tribune, Jean-Luc Mélenchon s'est fait lyrique, citant tour à tour Victor Hugo ou Robespierre, et lançant à une assistance pressée à quelques mètres du ministère des finances, et du « portique de Bercy » : « L'ennemi, ce n'est pas l'immigré, ce n'est pas le fonctionnaire, ce n'est pas le travailleur révolté. Paris n'est pas l'ennemi des régions de France. La laïcité n'est pas l'ennemie des croyants. Ne nous trompons pas de colère ! L'ennemi, il y en a un. C'est la finance. Française et mondialisée ! Qui profite, salit, et saigne sans limite tout ce qu'elle touche. » « Quand Jean-Marc Ayrault parle de “remise à plat fiscale”, c'est déjà un triomphe, vu ce que ce gouvernement nous a “lâché” jusqu'ici, c'est-à-dire rien, ironise François Delapierre. Mais on ne se fait pas grande illusion pour la suite. Ce pouvoir est encalminé dans son impasse, comme Sarkozy avant lui. Mais Sarko avait conservé sa base sociale, lui… »
Pour Igor Zamichei, responsable de la fédération de Paris du PCF, « on doit maintenant retrouver ceux qui se sont mobilisés pour la victoire de la gauche. Aujourd'hui, le gouvernement n'a plus aucun soutien populaire, mais il n'y a pas pour autant de souhaits d'un retour de la droite. Juste que la gauche fasse son travail ». Pierre Laurent estime « impensable de commencer à annoncer de la justice fiscale en augmentant l'impôt le plus injuste ». S'il est sans doute trop tard pour parvenir à infléchir la décision du gouvernement d'augmenter la TVA (le taux intermédiaire passera de 7 % à 10 %, et le taux principal passera de 19,6 % à 20 %) au 1er janvier, Pierre Laurent espère que « le point de départ de ce dimanche » va pouvoir devenir « un point d'appui » pour convaincre le pouvoir de retrouver la gauche sur sa réforme fiscale aux contours encore flous. « Nous ne faisons pas beaucoup confiance à la méthode de concertation d'Ayrault, prévient-il, on a vu ce que ça a donné avec l'accord pour l'emploi (Ani) ou les retraites. C'est à la population de se faire entendre, et c'est à nous de relever le drapeau de la gauche. »
Concrètement, une réunion unitaire « la plus large possible » devrait être organisée sur la TVA en décembre, avant la mise en œuvre d'assemblées citoyennes et d'ateliers législatifs, sans doute articulés avec les campagnes municipales des uns et des autres (parfois ensemble, parfois non). Avant des « états généraux de la fiscalité » que les communistes aimeraient voir se tenir au printemps. Le Front de gauche espère pouvoir élargir son périmètre autour de ces discussions, et montrer que les convergences sont possibles avec certains socialistes et écologistes. Ce dimanche, dans le carré VIP derrière la tribune, on retrouvait déjà les responsables de la motion d'Eva Joly, à la gauche d'EELV. Pas encore suffisant pour l'alternative, mais toujours ça de pris pour passer les fêtes encore en vie, le regard toujours tourné vers les européennes de la fin mai 2014, vrai test pour l'avenir du Front de gauche.
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