Ce samedi, le PS a tenu forum, voulant prouver que le PS continue à réfléchir et à s’inscrire dans l’histoire de la gauche. Mais son intitulé, « Le progrès face aux idéologies du déclin », résonne comme un vœu adressé à lui-même, façon méthode Coué. Appliquée à l’actualité interne du parti, cette sentence semble ainsi moins évidente, tant les ressentiments militants continuent de s’exprimer parmi ceux qui restent encore actifs.
En juin dernier, la convention sur l’Europe avait connu une première fronde militante, virant au fiasco et affaiblissant le premier secrétaire Harlem Désir (lire ici). Depuis, bon an mal an, le parti s’essaye sans grand résultat à « défendre la République contre les extrémismes », un autre de ses forums se tenant ce mercredi, avant de se concentrer peu à peu sur son agenda électoral, municipal et européen.
En vue des européennes de mai 2014, l’appareil a d’ailleurs préféré se replier sur lui-même. Comme redouté, la négociation nocturne entre sous-chefs à plumes, vendredi 15 novembre dernier, a débouché sur une composition de listes complètement baroque. Quelques fédérations se sont même permis de voter contre des listes ainsi imposées depuis le sommet, tandis que tous désespèrent d’un casting sans atout.
Sans direction forte, engoncé dans sa culture de courants, persistante malgré l’absence de débats idéologiques internes, le PS navigue à vue, au gré de la houle gouvernementale et des jours qui passent. Après une toute petite expérimentation locale des primaires (lire ici et ici), le PS n’en a pas retiré grand élan, faute d’engouement et de mise en scène sur tout le territoire. Précurseur en France d’un dispositif innovant et permettant d’ouvrir la sélection de ses candidats aux citoyens de toute la gauche, le PS a renoncé à toute dynamique similaire localement à celle de la présidentielle. Au point qu’à Marseille et au Havre (deux des six malheureuses villes retenues par Solférino pour organiser des primaires ouvertes), rien ne dit que les problèmes du PS ne sont pas localement encore plus aigus qu’auparavant.
Tour d’horizon de mécontentements militants.
À Marseille, les primaires ont-elles vraiment tourné la page Guérini ?
Un mois après sa victoire, Patrick Mennucci a-t-il vraiment les mains libres pour rompre avec le « système Guérini », ainsi qu’il le proclame à longueur d’interviews. Le ticket qu’il forme avec sa rivale battue Samia Ghali, interroge. D’autant que l’étoile montante du PS marseillais (lire notre portrait) continue à critiquer vivement le gouvernement et à étaler son amertume, mettant le compte de sa défaite sur ses origines arabes, qui auraient « dérangé ». Ayant toujours refusé de critiquer le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, mis en examen pour corruption en bande organisée, Ghali s’est même affichée avec lui dans « ses » quartiers nord, afin de mettre en scène l’octroi d’une subvention pour rénover une piscine : la piscine de son enfance, sauvée grâce à l’argent d’un Guérini prouvant là son influence encore intacte (lire le reportage de LibéMarseille).
Patrick Mennucci s’est fait stoïque, explique LibéMarseille, au moment de commenter cette visite : « Je suis prêt à supporter beaucoup de choses pour que cette ville change de destin. On ne règle pas en quelques mois quarante ans de mauvaises habitudes. » Mais il assure que « la fin de cette histoire est programmée », et qu’une fois maire, il influerait sur « les investitures aux cantonales pour que les gens qui seront élus aident toute la ville sans marchander leur soutien ».
Soucieuse de garder la main sur le dossier, après de longues années de tergiversations puis de semi-tutelle sur le PS 13, la direction nationale du PS encourage à la réconciliation. Dans une étude de la Fondation Jean-Jaurès (lire ici), le sondeur Jérôme Fourquet (qui avait déjà validé, avec Christophe Borgel, les thèses solfériniennes lors de la partielle perdue par le PS dans l'Oise – lire ici) vient à point pour insister sur l’absolue nécessité de l’alliance Mennucci-Ghali, au vu des résultats de la primaire. « Patrick Mennucci devra donc pouvoir compter sur Samia Ghali dans son dispositif de campagne s’il veut pouvoir mobiliser l’électorat de gauche, et notamment sa composante populaire, clé d’une éventuelle victoire en mars prochain », conclut-il ainsi son analyse électorale, validant l’interventionnisme de Solférino dans la gestion de cette primaire.
Cette note a franchement agacé les rénovateurs marseillais, comme Pierre Orsatelli, qui a décidé de rédiger une contre-analyse du scrutin interne ouvert. Selon le porte-parole de l’association « Renouveau PS 13 », la dynamique de Samia Ghali reposerait sur « d’autres facteurs » que la seule dynamique populaire, « précisément ceux auxquels il convient de savoir mettre fin pour remporter l’élection municipale ».
Orsatelli compare les taux de participation entre premiers tours de la primaire présidentielle et de la primaire municipale, qu’il croise avec le taux de foyers imposables dans chaque arrondissement. Et, selon lui, « plus faible est la proportion des foyers fiscaux imposables d’un arrondissement, plus les électeurs de cet arrondissement se seront déplacés pour le premier tour de la primaire municipale », au contraire de la primaire puis de l'élection présidentielle, où les quartiers nord s’étaient peu mobilisés. Il en conclut alors que « la permanence d’un système clientéliste est plus vivace que jamais ». Et ironise sur la rénovation toute relative de l’exercice primaire à Marseille : « Avant il fallait a minima vingt euros pour aller voter. Maintenant ce n’est plus qu’un, et on vous donne même un reçu pour vous faire rembourser. »
Interrogé par Mediapart, il explique toutefois que « la primaire a sans doute permis d’inverser le résultat, le vote ne pouvant plus être autant contrôlé », interprétant ainsi le surcroît de mobilisation au second tour (près de 4 000 votants de plus) comme « une volonté des sympathisants socialistes de tourner la page ». Mais il espère que « Mennucci est dans un moment décisif, où il faut passer des paroles aux actes ».
À Solférino, on réfute toute volonté de perpétuer le système. Et on répète que mettre en doute la continuité du système Guérini, c’est faire « une très mauvais analyse » et ne pas voir la nécessité du « rassemblement de tous les socialistes ». « Guérini n’a plus l’influence d’avant, explique un dirigeant du PS. Mennucci est habile, il est clair dans ses paroles, mais ne fait pas de la rupture avec le système l’alpha et l’oméga de sa campagne ».
Selon le secrétaire national aux élections, Christophe Borgel, « Samia Ghali est bien autre chose qu’une créature de Guérini, elle est jeune et sait qu’elle a l’avenir pour elle à Marseille. Donc je suis convaincu qu’elle va jouer la gagne à fond, derrière Patrick ». Même son de cloche chez Alain Fontanel, conseiller de Harlem Désir et responsable des fédérations, pour qui « tout le monde a pris acte que la page Guérini serait tournée en 2016 ; ça n’empêche pas de bénéficier de l’argent du conseil général d’ici là ».
Un autre responsable socialiste national admet que « le risque de voir le clientélisme continuer existe », mais souligne que le problème serait presque secondaire : « Localement, le PS est en position de gagner, mais pas de gérer. Les candidats défaits, comme Marie-Arlette Carlotti, continuent à voir Guérini partout et alimentent la parano générale, et l’équipe de campagne de Mennucci a du mal à se former. Dans ce contexte, Ghali n’est pas le plus gros problème… »
L’après-primaire est aussi douloureux pour Camille Galap, ancien président d’université sorti vainqueur du cacique socialiste local Laurent Logiou, fabiusien historique, chef de l’opposition municipale et vice-président de région (lire notre reportage). Premier candidat noir investi par le PS dans une ville de plus de 100 000 habitants, il avait misé sur la mobilisation de quartiers populaires pour l’emporter, en faisant une campagne éloignée du PS. Mais une fois élu, ce soutien de la députée socialiste Estelle Grellier a dû se plier aux procédures internes d’un parti auquel il avait adhéré en janvier dernier, afin de pouvoir concourir.
Et alors qu’il avait affirmé son intention de conduire une liste de candidats s'appliquant le mandat unique et qu’il comptait faire une large place à la société civile (déjà majoritaire dans son comité de soutien à la primaire), il s’est heurté à la réalité interne du PS, et à la nécessité d’associer un certain nombre de socialistes locaux, par respect des équilibres de courant et de « l’esprit réconciliateur de la primaire ».
« Il y a une confrontation de légitimités, entre celle de la section PS et celle de l'ouverture à la société civile incarnée par Camille, admet Alain Fontanel. Nos règles de constitution de listes sont en décalage avec celles de la primaire. » Peu à peu, la confrontation a tourné au conflit, avec multiples coups de pression sur Galap de la part de la fédération de Seine-Maritime et de l’homme fort du département, Laurent Fabius lui-même, afin que Laurent Logiou et ses proches se retrouvent en bonne place. Et après que plusieurs propositions de liste ont été refusées par la section du Havre, divisée entre pro-Galap et pro-Logiou (légèrement à l’avantage de ce dernier), le « premier des socialistes » désigné a décidé, vendredi dernier dans un communiqué, de « reprendre (sa) liberté ».
« Il rend sa carte, va continuer de négocier avec les écolos, espère parvenir aussi à un accord avec le PCF, et tend la main à tous les socialistes qui veulent le suivre, explique un proche de Galap. Il ne quitte ni les valeurs, ni les idées socialistes, et ne rompt pas avec le gouvernement ou le PS au niveau national. Mais il n’en peut plus des manigances, alors qu’il a gagné le parti en contournant l’appareil. » D’autres dans son entourage expliquent aussi que « la section ne nous a toujours pas communiqué la liste des adhérents, ou mis à disposition un bureau. On n’a même pas les codes du site internet, où Camille ne figure même pas… ».
À Solférino, on ne cache pas son embarras devant la situation. Mais on regrette surtout que Galap n’ait pas le « savoir-faire » ou « les codes du parti ». « S’il quitte vraiment le PS, nos règles font qu’il nous faudra présenter un candidat contre lui », menace un dirigeant. « C’est vraiment l’inconscient post-colonial qui agit, s’étrangle-t-on dans le camp Galap : “Tu sais pas comment ça marche notre truc de vieux Blancs, tu devrais nous laisser faire”… Mais Camille n’est la marionnette de personne. » Les liens ne sont pas totalement rompus cependant, et les discussions continuent entre Galap et la direction nationale du PS. « Même si c'est douloureux, dit-on dans l'entourage du Havrais. Le PS a fait sa transition énergétique, mais pas sa transition citoyenne. »
Depuis dix jours, le PS vit aussi au rythme des secousses entraînées par les investitures aux futures européennes. À l’issue des tractations entre sous-courants de la « motion majoritaire » de Harlem Désir, le jeu de bonneteau interne a finalement débouché sur quelques sacrifices et promotions étonnants. « Ces désignations sont de toute façon un exercice impossible, soupire Alain Fontanel. Dans des territoires politiques qui n’existent pas, les logiques locales se heurtent aux intérêts de courants et de sous-sensibilités, eux-mêmes contradictoires, sans parler des sortants qui veulent toujours se représenter. » « On s'est souvent répété que ça aurait été plus simple avec une liste nationale », se désole un négociateur. Une allusion à la reculade de l'exécutif, qui s'est finalement opposé à la proposition de réforme du scrutin en ce sens, via une niche parlementaire du PRG, préférant éviter de « nationaliser » le scrutin (lire ici).
Afin d’obtenir une tête de liste en Bretagne (pour l’eurodéputée Isabelle Thomas, élue depuis un an en remplacement de Stéphane Le Foll) et la troisième place en Île-de-France (pour Guillaume Balas, le secrétaire du courant Un monde d’avance), Benoît Hamon a sacrifié deux de ses élus sortants, Françoise Castex et Liem Hoang Ngoc, ayant pourtant fait leurs trous à Bruxelles (lire ici l’interview amer de Castex). Quant à l’aile gauche “canal historique” du PS, celle qui a déposé une motion concurrente à Harlem Désir au dernier congrès de Toulouse, son chef de file Emmanuel Maurel (qui avait recueilli 30 % du parti) a finalement vu ses ambitions de tête de liste dans le Sud-Ouest se transformer en une deuxième position dans le grand Ouest.
Le gouvernement a participé à l’affaire. Le ministre Vincent Peillon s’est imposé candidat à sa réélection, sans toutefois envisager de rendre son porte-feuille de l’éducation nationale. Ce qui signifie qu’il ne siégera pas une fois élu, mais s’assure une porte de sortie en cas d’éviction du gouvernement. Interrogé sur cette compatibilité entre une campagne électorale et une activité ministérielle, Matignon se refuse à tout commentaire, signe d’un acquiescement tout relatif à la démarche de celui qui mène en ce moment la délicate réforme scolaire.
Un autre ministre, Manuel Valls, s’est démené pour imposer l’un de ses proches et ardent défenseur (lire ici), l’universitaire Zaki Laïdi. Trimballé dans quasiment toutes les listes eurorégionales pendant la nuit de négociation, il atterrit finalement en troisième position dans le Sud-Ouest (derrière Vincent Peillon et la sortante Sylvie Guillaume). « Les relations entre le ministère de l’intérieur et Harlem Désir ne se sont pas arrangées », euphémise un participant. Laurent Fabius, de son côté, est parvenu à imposer le maintien de l’une de ses proches, Pervenche Berès, en deuxième position en Île-de-France (où elle postulera à un cinquième mandat consécutif). Dans le Nord, la reconduction de Gilles Pargneaux, un fidèle de Martine Aubry, n’a quant à elle pas fait débat, signe de l’influence encore forte sur le PS de la maire de Lille, pourtant rangée des affaires nationales.
Pour complexifier encore les dialogues entre éléphants socialistes, le plus royal des pachydermes s’en est aussi mêlé. François Hollande a ainsi « passé commande », explique un cadre socialiste, pour imposer le président de la région Limousin, celle de l’hôte de l’Élysée, Jean-Paul Denanot, barré en 2009 par la direction aubryste du PS. À bientôt 70 ans, il entend ainsi laisser la place à la tête de sa région, pour retrouver le parlement européen où il avait siégé six mois en 2008. Hollande a aussi imposé directement au siège socialiste de la rue de Solférino la présence de la philosophe Myriam Revault d’Allonnes en quatrième position à Paris et Pierre Pribetitch, un proche de François Rebsamen qui a déjà fréquenté le Parlement entre 2007 et 2009, en deuxième position dans la circonscription du grand Est.
Enfin, pour achever de démoraliser la base militante socialiste, la circonscription du Sud-Ouest a été négociée avec les alliés radicaux du PRG, sans que personne soit au courant localement, et très peu nationalement. Un accord passé par l’exécutif avec Jean-Michel Baylet, en échange du vote au Sénat de la réforme du mode de scrutin sénatorial en juin dernier (les voix radicales étant alors indispensables à l’adoption définitive du texte – lire ici).
Jeudi dernier, lors de la ratification des listes dans les sections, le mécontentement militant a finalement été relatif, bien que le parti n’ait pas communiqué sur l’étendue de la forte abstention. Seules six fédérations ont exprimé un vote contre, dont trois dans le grand Ouest (Finistère, Côtes-d’Armor et Sarthe). « Vu le contexte “bonnets rouges”, est-ce une bonne idée de parachuter un Parisien ? s’interroge ainsi l’un des élus finistériens refusant la liste proposée, comme 80 % des votants de sa “fédé”. Et alors qu’on a toujours eu une tradition pro-européenne et modérantiste, on met deux “gauchos nonistes” aux deux premières places… » « Ils feront campagne sur la ligne du parti et sont deux très bons candidats, réplique agacé Christophe Borgel, secrétaire national du PS aux élections. Dans l’ensemble de la région grand Ouest, le résultat est positif à 60 %, donc la liste est validée. »
Les protestations marseillaises, s’insurgeant de n’avoir un candidat qu’en cinquième position dans le Sud-Est, Christophe Masse, n’auront guère plus d’effet, la liste étant ratifiée à 75 %. « À chaque fois, les fédérations mécontentes le sont parce qu’elles s’estiment mal placées et représentées », relativise Alain Fontanel.
Dans le Sud-Ouest, en revanche, le problème n’a pas été réglé par le vote. Et pour cause, celui-ci a été suspendu, toutes les fédérations de l’eurorégion (Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées) s’étaient prononcées pour le sortant Éric Andrieu et ne digèrent pas de devoir faire campagne pour une « candidate PRG », celle-ci n’ayant pas encore été désignée par son parti. Un refus de vote qui a passablement énervé Jean-Michel Baylet, menaçant dans un communiqué gouvernement et PS d’une « crise politique majeure », tout en raillant « la notoriété du socialiste audois » Andrieu.
Crainte principale des cadres socialistes du Sud-Ouest, l’hypothèse d’une investiture par les radicaux de Béatrice Patrie, ancienne chevènementiste et eurodéputée de 1999 à 2009, exclue du PS l’an dernier pour avoir fait dissidence locale face à l’accord du PS avec les écologistes. « Ce serait une provocation », affirme-t-on à la direction du parti, où l’on indique que l’engagement du PS pour ces européennes est que le PRG obtienne « un élu, pas forcément une tête de liste ».
Pour compléter le tableau bien terne de la bataille européenne de Solférino, reste la rumeur d’une candidature d’Édouard Martin, le leader syndical (CFDT) d’Arcelor à Florange, un potentiel « bon coup », du point de vue casting. Fuitant opportunément afin de détourner les regards de la composition des listes, l’hypothèse n’a depuis absolument pas été confirmée. L’intéressé, aussi approché par les écologistes et l’eurodéputée EELV du grand Est Sandrine Bélier, ne répond à aucun journaliste sur le sujet.
D’après les dires des uns et des autres, il attendrait de voir si le calendrier de rénovation du site de Florange se précise, et ne devrait se dévoiler en tout état de cause qu’après les municipales. Certaines sources affirment que François Hollande est personnellement à la manœuvre, imposant ainsi Pierre Pribetitch en n°2 dans le grand Est pour chauffer la place, tandis qu’Arnaud Montebourg, qui avait entretenu de bons rapports avec Édouard Martin quand il défendait la nationalisation temporaire des hauts-fourneaux de Florange, serait plus réservé sur l’initiative.
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