François Hollande et son gouvernement doivent faire face à la plus importante faillite depuis leur arrivée au pouvoir. Numéro deux français du transport de colis par la route (la « messagerie »), le groupe Mory-Ducros a été placé mardi 26 novembre en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Pontoise (Val-d’Oise). Quatre jours auparavant, l’entreprise de 5 200 personnes avait annoncé lors d'un comité d'entreprise extraordinaire sa cessation de paiement.
Après l’annonce du redressement judiciaire de FagorBrandt, Mory-Ducros vient compléter la longue liste des grandes entreprises en difficulté de l’année 2013. La dernière entreprise de cette taille à avoir annoncé sa défaillance est Néo Sécurité, numéro deux français de la sécurité, en avril 2012.
Une centaine de chauffeurs étaient rassemblés devant le tribunal lors de l’annonce, à l’appel des syndicats, représentés à la barre par l’avocat Thomas Hollande, fils du président. Tous n’ont pu que constater la nécessité de la nomination de deux administrateurs judiciaires. Les dettes, plus de 200 millions d’euros, sont gelées pour six mois, aux termes desquels un repreneur sera désigné. Faute de candidat, l’entreprise risque la liquidation.
« Ça nous a mis un coup sur la tête », reconnaît Jim Beaucher, représentant CGT au Mans. « Une chose est sûre, il y aura de la casse, une casse énorme, pronostique Daniel Gianetto, de FO. Si l’entreprise reste dans la situation actuelle, on va droit dans le mur, c’est ce que nous disons depuis des mois. » Aucun syndicaliste ne surjoue la surprise. Ni l’optimisme. La panne économique du secteur est connue depuis longtemps. En 2012, Mory-Ducros a réalisé un chiffre d’affaires de 670 millions d’euros, et enregistré une perte d’exploitation de 65 millions. Son chiffre d’affaires serait en baisse de 8 % depuis le début de l’année, et selon le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg, les pertes mensuelles sont de l’ordre de 5 millions d’euros actuellement. Le Monde a été le premier à faire état des gros soucis du transporteur, il y a trois semaines.
« Le secteur est en crise, incontestablement. Il y a des opérateurs en grand nombre, et un effondrement du trafic depuis plusieurs années dû à la crise économique que nous traversons, analyse Fabian Tosolini, le secrétaire national de la fédération transports de la CFDT (syndicat majoritaire dans le groupe). Face à la concurrence féroce, les entreprises sont obligées de baisser leurs prix, et donc leurs marges. » « La messagerie est en surcapacité, on le sait depuis une dizaine d’années, explique de son côté Denis Jean-Baptiste, secrétaire CFDT du comité d’entreprise. Dans le secteur, tout le monde est dans le rouge, personne ne gagne d’argent. Quand il y a une croissance économique de 2 %, on survit, mais aujourd’hui… »
Face à l’ampleur de la casse potentielle – 5 000 salariés et 2 000 sous-traitants ! –, le gouvernement fait assaut de déclarations déterminées. Vendredi, le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait assuré rechercher « toutes les solutions, site par site ». Le ministre des transports Frédéric Cuvillier assurait, lui, que « tout va être mobilisé, tout va être étudié ».
Les syndicats rencontrent le gouvernement ce jeudi. Arnaud Montebourg a laissé entendre qu’il pourrait débloquer des fonds, sans doute grâce au « fonds de résistance économique », présenté il y a quelques jours. Doté de 380 millions d’euros, ce fonds est censé accorder des prêts de « plusieurs dizaines de millions d'euros », à des taux avantageux, aux entreprises à court d'argent mais dont l'activité est rentable à moyen terme. « Mory-Ducros pourra profiter de ce fonds à la condition d'avoir un projet de reprise solide », indiquait Bercy, le 13 novembre.
Mais à lire l’interview de Montebourg dimanche 24 novembre au Journal du dimanche, l’avenir ne sera de toute manière par rose. « Vu l'état de l'entreprise, tout le monde devra faire des sacrifices. Les salariés, les actionnaires, les banques », a-t-il lâché. Le gouvernement a assuré vouloir assurer le « sauvetage de 2 000 emplois au moins ». Bien maigre pour les salariés. La CFDT, elle, annonce travailler sur son propre plan de reprise, avec « 3 000 emplois conservés » à la clé. Les 85 agences nationales devront passer au nombre de 50.
« Le redressement judiciaire, ce n’est absolument pas la fin de Mory-Ducros », martèle Fabian Tosolini. Qui reconnaît toutefois qu’il n’y a que « deux solutions » : « Soit on trouve un candidat pour une reprise globale, avec un schéma territorial bien pensé qui permet d’assurer la pérennité de l’entreprise et d’une partie des emplois, soit c’est la liquidation judiciaire. » Le responsable national CFDT ne veut pas entendre parler de reprise partielle : « Ce serait un dépeçage de l’entreprise, et un massacre sur le plan de l’emploi. »
Problème, trouver un repreneur « global » risque fort de ressembler à la recherche de la quadrature du cercle. « Des investisseurs de premier plan, industriels et financiers, ont d’ores et déjà marqué leur intérêt », affirmait hier la direction de Mory-Ducros dans un communiqué. Mais les syndicats sont sceptiques. Bercy évoque plus prudemment « des manifestations d'intérêt ».
Il suffit en effet de rappeler l’histoire récente du secteur pour douter de l’existence d’un « chevalier blanc » capable de sortir l’entreprise du marasme. « Ducros Mory est déjà l’aboutissement de deux reprises d’entreprises en très grande difficulté », rappelle Martial Brancourt, représentant CGT au CE. En effet, Caravelle, le propriétaire du groupe, est un spécialiste du redressement de PME en difficulté. En 2010, il a repris DHL à Deutsche Post, qui cherchait à s’en séparer depuis un an, et qui a accepté de remettre 240 millions d’euros dans l’entreprise avant la cession. DHL devient Ducros Express, et en janvier 2011, près de 600 des 3 200 employés sont remerciés.
Un an plus tard, Caravelle met la main sur Mory Team après son dépôt de bilan, pour un euro symbolique mais en acceptant d’injecter 10 millions d’euros dans les comptes. 800 salariés sont licenciés. Mais le nouveau groupe, officialisé fin 2012, rencontre immédiatement de graves difficultés. « Nous nous sommes retrouvés dans une société qui possédait deux groupes de messagerie similaires, avec les mêmes métiers, explique Martial Brancourt. Caravelle, ce sont des investisseurs financiers, pas des transporteurs. Ils pensaient additionner les deux chiffres d’affaires, tout en réduisant fortement les coûts, mais ça ne marche pas comme ça… »
Il y a bien sûr eu une réduction des déficits, avec déjà une vingtaine de fermetures d’agence, mais la grande diversité de types de colis transportés, du simple paquet à la grosse palette, et le nombre élevé de client, n’ont en fait pas permis de réduire suffisamment le nombre de camions et de chauffeurs nécessaires pour le transport. D’autant que Mory-Ducros n’est pas spécialisé dans un secteur particulier. « La fusion a permis des économies d’échelle, mais la crise économique est trop aiguë, constate Denis Jean-Baptiste. Le transport international ou la logistique sont moins touchés, mais la direction avait justement décidé de réduire la voilure sur ses secteurs. La messagerie, ça ne suffit pas à faire vivre 5 000 personnes. »
Malgré ce paysage désolé, la direction actuelle se dit prête à participer à un plan de relance. « Cette période d’observation est l’occasion d’élaborer, avec le soutien des pouvoirs publics, une solution pour l’avenir », a dit aux Échos André Lebrun, le président d’Arcole Industries, filiale de Caravelle qui gère Mory-Ducros. Selon le quotidien économique, son entourage indiquait que le fonds était prêt à « accompagner un ou des repreneurs en restant au capital de Mory-Ducros ».
Un geste de bonne volonté ? Voire. Martial Brancourt s’étonne que le repreneur n’ait en fait « presque rien dépensé jusqu’à présent dans ce dossier » et qu’il puisse éventuellement rester dans la partie grâce au soutien de l’État. « Il va falloir mettre de l’argent sur la table un jour », s’agace le représentant CGT. Il rappelle que le placement en redressement judiciaire de l’entreprise permet aussi à son propriétaire de « ne pas payer les licenciements », puisque c’est l’AGS, fonds public financé par une cotisation patronale, qui réglera la note. Mory-Ducros, beaucoup de perdants, et quelques gagnants ?
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