C’est la CGT de l’usine de Sochaux qui l’a révélé : le patron de PSA, Philippe Varin, qui va prochainement abandonner son poste, partira à la retraite avec 310 000 euros par an. Pour honorer sa retraite chapeau, le groupe a en outre provisionné près de 21 millions d’euros. En ces temps de crise, avec à la clef une multiplication des plans de suppression et de modération salariale, l’énormité de la somme suscite légitimement un haut-le-cœur. Mais un haut-le-cœur, pourquoi ? Parce que ce grand patron boulimique n’a pas le moindre scrupule à s’octroyer une somme aussi indécente alors qu’il n’a cessé, ces dernières années, de demander des sacrifices aux salariés de son groupe ? Sans doute. Mais si cette décision suscite l’indignation, c’est surtout parce qu’elle vient illustrer les conséquences du renoncement du gouvernement socialiste à légiférer en ce domaine. Sans être pris au sérieux par quiconque, le ministre des finances, Pierre Moscovici, avait justifié ce reniement en assurant qu’il comptait sur « une autorégulation exigeante » du patronat. Voilà donc à quoi conduit cette « autorégulation exigeante ».
L’information provient, de fait, de la CGT de l’usine PSA de Sochaux. Sur leur site Internet, les syndicalistes révèlent la somme énorme que Philippe Varin va percevoir sous forme de retraite chapeau, quand en début d’année prochaine, il sera remplacé par l’ex-numéro 2 de Renault, Carlos Tavares, à la tête du constructeur automobile.
Avant d’en venir au PDG actuel, ils évoquent d’abord le passé récent : « Pour ceux qui s'inquiètent de l'avenir de M. Varin, voici le triste sort des deux précédents PDG de PSA, et celui qui lui est réservé :
– Révoqué le 30 mars 2009 pour raison de santé, M. Streiff a vu son mandat de PDG transformé en contrat de travail (avec dispense d'activité) avec une rémunération mensuelle de 144 631 € (4 821 € par jour, samedi et dimanche compris) jusqu'à son départ de l'entreprise fin 2009 avec un parachute doré dont le montant n'a pas été publié. (Document de référence PSA 2009, pages 197 et 198.)
– M. Vardanega, qui a assuré pendant 2 mois et demi l'intérim entre M. Streiff et M. Varin, a retrouvé le 17 juin 2009, à l'issue de son mandat temporaire de PDG, un contrat de travail avec une rémunération mensuelle portée à 81 247 €. Mais il n'en a pas profité longtemps : il a fait valoir ses droits à la retraite le 31 décembre 2009. À cette occasion, il a perçu une prime de départ de 706 958 €. En retraite, il bénéficie du régime de retraite des dirigeants du groupe PSA qui lui garantit 50 % de sa rémunération antérieure. (Document de référence PSA 2009, pages 197/198.) »
Et la CGT en vient donc au cas plus récent de Philippe Varin : « Pour garantir la retraite-chapeau de M. Varin, PSA a déjà mis de côté à son intention la modique somme de 20 968 000 € . (Document de référence PSA 2012, page 203 : engagements de retraite) », peut-on lire sur le site de la CGT.
L’information n’est pas difficile à vérifier. Il suffit de se référer au « document de référence » établi par PSA pour l’année 2012, pour trouver, à la page 203, le chiffre évoqué par le syndicat. Pour être précis, Philippe Varin va percevoir la somme mirobolante de 20 968 000 euros, en plus de sa retraite de base versée par la Sécurité sociale et de sa retraite complémentaire versée par les régimes Agirc ou Arrco.
Voici ce document de référence :
On comprend sans peine l’indignation que ce chiffre astronomique a aussitôt suscitée. À cela, il y a une première raison : depuis trois ans, les salariés du groupe automobile se voient demander toujours plus d’efforts et d’économies, toujours plus de nouveaux sacrifices. Il y a eu la fermeture du site d’Aulnay et des cascades de plans sociaux ; il y a la menace qui pèse sur le site de Rennes ; il y a eu aussi l’accord dit de compétitivité, que le gouvernement a présenté comme modèle, et qui pour les salariés a été synonyme de modération salariale et de flexibilité accrue. Alors, il y a naturellement quelque chose d’indécent à constater qu’en parallèle aux sacrifices demandés aux plus petites rémunérations, les plus hautes se gorgent de passe-droits formidables. D’où la colère des salariés et syndicats du groupe, comme en témoignent les propos de Jean-Pierre Mercier, délégué CGT du site PSA d’Aulnay sur le plateau de LCI (vidéo ci-dessous) :
De son côté, le patronat, lui, n'a eu pour l'heure qu'une timide réaction, à l'initiative du Medef, et de son alter ego, l'Association française des entreprises privées (Afep), qui regroupe les firmes du CAC 40, au travers de ce rapide et elliptique communiqué : « Le Haut comité de gouvernement d'entreprise institué par le code Afep-Medef a décidé de se saisir du dispositif de retraite supplémentaire de M. Philippe Varin, Président du Directoire de PSA Peugeot Citroën. » Une réaction passablement embarrassée dont on comprend bien les raisons : Philippe Varin a agi en accord avec les instances mêmes du patronat. À preuve, parmi les membres du conseil de surveillance de PSA, on relève notamment le nom de Geoffroy Roux de Bézieux (ici sur le site Internet du constructeur), qui est aussi membre du comité des rémunérations de la firme. En clair, il est l'un de ceux qui ont directement donné leur aval à ce pactole. Et dans le même temps, le même Geoffroy Roux de Bézieux est aussi vice-président du Medef, et président de sa commission économie et fiscalité (là, sur le site du patronat). Les instances dirigeantes du Medef ne peuvent donc feindre d'ignorer ce qui se concoctait au sein de PSA.
L’indignation à l'égard de cette retraite chapeau est légitimement d’autant plus forte que cette retraite chapeau n’est pas une dérive isolée. Elle vient même ponctuer une évolution de long terme. Depuis quinze ans, le capitalisme français n’a, de fait, cessé de copier les travers les plus sulfureux du capitalisme anglo-saxon. Et l’industrie automobile a été l’un des principaux secteurs où cette mutation s’est produite, avec des rémunérations de plus en plus insolentes pour les mandataires sociaux et, en bas de l’échelle, une expansion de plus en plus spectaculaire des « working poors » – ces fameux travailleurs pauvres travaillant à temps partiel ou en intérim. C'est cela aussi dont Renault et PSA ont été le champ d'expérimentation : depuis près de deux décennies, les salariés y ont douloureusement appris que l'emploi ne les protégeait plus de la pauvreté.
Pour prendre la mesure de ce séisme social, il suffit de se souvenir qu’en 1989, Le Canard enchaîné avait suscité une forte émotion dans tout le pays en publiant la feuille de paie de Jacques Calvet, qui était le patron de Peugeot. Le chiffre, à l’époque, avait paru indécent par son énormité. Mais avec le recul, il paraît presque modeste. En euros constants d’aujourd’hui, la rémunération annuelle du patron était seulement – si l’on peut dire – de… 500 000 euros. À titre de comparaison, Carlos Ghosn perçoit, lui, aujourd’hui près de 11 millions d’euros au titre de sa double rémunération de Renault et de Nissan. Plus de vingt fois plus. Et donc, Philippe Varin peut, lui, partir avec une retraite chapeau de 21 millions d’euros. Cette dérive révèle à quel point notre capitalisme est devenu fou, régi par des règles d’un violent égoïsme social : en bas, la misère ; en haut l’opulence…
Mais si cette retraite chapeau apparaît insupportable, c’est aussi parce que l’État s’est très fortement engagé en soutien à l’industrie automobile – et au premier chef en soutien à Renault et à PSA. Dès 2009, au plus fort de la crise financière, l’État a ainsi mobilisé près de 6,5 milliards d’euros pour leur venir en aide, pactole dont PSA a été le premier bénéficiaire.
Et puis, sous le gouvernement socialiste, cette aide en faveur de PSA s’est encore accrue. Pour éviter une débâcle financière majeure, l’État a ainsi, entre autres, apporté sa garantie à la filiale bancaire du constructeur automobile à hauteur de 7 milliards d’euros, pour assurer son sauvetage, et il l’a placé, de facto, sous perfusion financière. Sans parler de toutes les autres aides gigantesques dont la puissance publique a inondé les entreprises ces derniers mois, et dont PSA a eu sa part, à commencer par le « choc de compétitivité » de 20 milliards d’euros qui a été offert sans contrepartie aux entreprises, à la suite de la mission de réflexion de Louis Gallois.
Signe que PSA est l’une des entreprises les plus chouchoutées par le gouvernement socialiste, ce dernier a mandaté ce même Louis Gallois, son homme de confiance, pour être « membre indépendant référent » au sein du conseil de surveillance de PSA. En clair, le gouvernement a fait de PSA le banc d’essai de sa politique industrielle – une entreprise modèle, en quelque sorte, éprouvée certes par la crise, mais enracinée en France et donc digne d’être fortement aidée.
Et voilà donc que les actionnaires de Peugeot confirment, comme cela était prévisible, qu’il s’agit d’un marché de dupes. Selon de nombreux échos de presse, il s’avère en effet que la famille fondatrice a pris la décision ces derniers jours de mettre sur la touche Philippe Varin sans même prendre le soin d’en informer l’État – tout juste bon pour apporter des subsides mais pas pour être mis dans la confidence. Et, nouveau camouflet à l’égard du gouvernement, Philippe Varin va partir avec un pactole indécent qui va déclencher une polémique embarrassante… pour les socialistes eux-mêmes.
Car, en plus de tout cela, cette affaire vient aussi illustrer l’un des reniements majeurs du gouvernement. Durant la campagne présidentielle, François Hollande avait en effet clairement fait comprendre qu’il mettrait de l’ordre dans les dérives de la finance et que, notamment, il prendrait des mesures d’encadrement des plus hautes rémunérations. Dans sa plate-forme (elle est ici), le candidat socialiste avait ainsi pris l’engagement – c’était la proposition n°26 – de plafonner les rémunérations publiques : « J’imposerai aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de 1 à 20. » Et la proposition n°7 précisait : « Je supprimerai les stock-options, sauf pour les entreprises naissantes, et j’encadrerai les bonus. »
Et le candidat avait aussi clairement fait comprendre que les entreprises privées seraient, elles aussi, soumises à une enseigne identique.
Sitôt l’alternance, le gouvernement commence donc à honorer son engagement : un décret est pris qui plafonne à 450 000 euros le plafond brut annuel de rémunération des mandataires sociaux des entreprises publiques. Et il fait savoir que, conformément à la promesse du candidat, des mesures législatives seront prises pour encadrer aussi les rémunérations privées. C’est Pierre Moscovici, lui-même, qui en donne solennellement la confirmation, le 26 juillet 2012 : « Une loi régulera, voire prohibera certaines pratiques qui nous semblent excessives et donnera davantage de place aux représentants des salariés dans les instances qui fixent les rémunérations », promet-il, donnant ainsi le coup d’envoi à des consultations qui sont conduites par la direction du Trésor.
Mais finalement, après bien des tergiversations entre Bercy et le patronat, qui promet un nouveau code de bonne conduite, le gouvernement décide… de ne rien faire ! Et c’est le ministre des finances lui-même qui l’annonce le 23 mai 2013, à l’occasion d’un entretien aux Échos : « Il n’y aura pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises. J’ai choisi d’agir dans le dialogue. Dans cet esprit, j’ai rencontré la semaine dernière la présidente du Medef, Laurence Parisot, et le président de l’Afep, Pierre Pringuet, qui se sont engagés à présenter rapidement un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance. » Cela suffira-t-il à régler les problèmes, demande, incrédule, le quotidien patronal ? Réponse catégorique de Pierre Moscovici : « Ils m’ont assuré qu’ils étaient prêts à des avancées importantes, notamment en recommandant le "Say on Pay", qui permettra à l’assemblée des actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants. Notre but est d’éviter de figer des règles dans la loi, quand celles-ci sont amenées à évoluer sans cesse dans un environnement international mouvant. Nous préférons miser sur une "autorégulation exigeante". Mais attention : si les décisions annoncées ne sont pas à la hauteur, nous nous réservons la possibilité de légiférer. »
Dans la foulée, Pierre Moscovici multiplie tout au long des mois suivants les amabilités à l’adresse des dirigeants du Medef, jusqu’à danser un véritable tango d’amour avec le président du Medef, à l’occasion de l’Université d’été de l’organisation patronale (lire Ce que révèle le tango d’amour Moscovici-Gattaz).
« Autorégulation exigeante » : la formule stupéfiante et désinvolte du ministre des finances est accueillie, quoi qu’il en soit, avec moquerie par de nombreux observateurs et chroniqueurs. Car tout le monde sait à l’époque que Pierre Moscovici vient de prononcer volontairement une stupidité et que l’enflure des mots choisis n’endiguera en rien… l’enflure des rémunérations. En clair, chacun comprend que « l’autorégulation exigeante » conduira immanquablement à de nouveaux scandales, pas loin de l’abus de biens. Résumant le climat général de moquerie et de sidération qui accueille la sortie de Pierre Moscovici, la journaliste de Marianne, Anne Rosencher écrit un billet ainsi intitulé : « Autorégulation du foutage de gueule ».
Pour familière qu’elle soit, la formule était frappée au coin du bon sens. Car avec Philippe Varin, on dispose désormais de la preuve des retombées désastreuses et assez prévisibles de cette autorégulation.
Il faut donc se poser la seule question qui vaille : faut-il parler du scandale Philippe Varin ? Ou n’est-il pas plus juste de s’indigner tout autant de la manipulation Pierre Moscovici ? À la sortie du Conseil des ministres, Pierre Moscovici a, certes, jugé cette retraite chapeau « inappropriée ». « Il faut évidemment tenir compte de la situation de l'entreprise, des sacrifices qui ont été faits par les salariés, tenir compte aussi du fait que l'État a accordé une garantie de 7 milliards d'euros pour la banque PSA finance », a ainsi déclaré le ministre des finances. Plus direct, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, a estimé de son côté que le montant de cette retraite chapeau devait être « reconsidéré ». Il n'empêche ! C'est bel et bien Pierre Moscovici qui a mis au point cette machine infernale, et ce qui advient aujourd'hui chez PSA est exactement ce qui était prévisible.
Au début des années 1990, le publicitaire Jacques Séguéla avait baptisé son yacht Merci Béré parce qu'il l'avait acquis grâce aux sulfureuses mesures de défiscalisation aux Antilles prises par Pierre Bérégovoy. Si l'envie lui prend d'aller naviguer sous les tropiques, Philippe Varin serait bien avisé de baptiser son propre yacht d'un nom voisin : « Merci Mosco ».
BOITE NOIREMis en ligne ce mercredi en début d'après-midi, cet article a été complété trois heures plus tard, pour prendre en compte le rôle joué par Geoffroy Roux de Bézieux dans les instances dirigeantes du Medef et de... PSA.
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