Après deux jours de garde à vue, Roland Povinelli, maire socialiste d’Allauch (Bouches-du-Rhône) depuis 1975, a été mis en examen dans la soirée du mercredi 10 juin pour abus de confiance, détournement de fonds publics, faux et usage de faux, ainsi qu’utilisation privative de domaine public. Il était entendu dans le cadre d’une information judiciaire, ouverte en février 2014 et menée par la juge d’instruction Anne Tertian, pour corruption active et passive, trafic d'influence et détournement de fonds publics.
Roland Povinelli, 73 ans, a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de rencontrer plusieurs personnes (ce qui n’inclut aucun fonctionnaire municipal, afin qu’il puisse continuer à exercer son mandat de maire) et le paiement d’une caution de 50 000 euros. Celle-ci vise, selon le parquet de Marseille, à garantir le paiement d’éventuelles amendes et la réparation du préjudice si quelqu'un venait à se constituer partie civile.
Le coup part de loin. Le 24 février 2012, le parquet de Marseille confie à la division économique et financière de la PJ marseillaise une enquête préliminaire sur la base d’une lettre anonyme. Roland Povinelli, qui a entamé en avril 2014 son septième mandat à la tête de cette commune de quelque 20 000 habitants, dénonce une « cabale électorale à coups de lettres anonymes et de tracts nauséabonds me faisant passer pour Al Capone » menée par l’un de ses adversaires, sans vouloir citer de nom. L’élu est furieux : « Quand on m’attaque, il faut me tuer, sinon, je réponds », met-il en garde. « Au total, il y a eu cinq ou six lettres anonymes dénonçant tous les délits possibles, il s’agit des scories de la campagne des municipales 2014 », dit son avocat, Me Michel Pezet qui estime, selon l’expression consacrée, que « la montagne a accouché d’une souris ».
Cette campagne avait été marquée par une atmosphère tendue entre l’équipe sortante et la liste « citoyenne » de Lucie Cohen-Desblancs. L’élue affirme que ses colistiers ont « subi des intimidations » pour les inciter à faire défection, mais n’avait pas hésité de son côté à ressortir de vieux dossiers contre la famille Povinelli. Sénateur jusqu’en 2014, farouche opposant à la métropole voulue par le gouvernement, Roland Povinelli reste un des poids lourds du PS des Bouches-du-Rhône, Allauch comptant 712 cartes sur les 4 170 de la fédération.
Certains des faits qui lui sont reprochés sont très anciens. L’abus de confiance concerne ainsi une association allaudienne, la Fédération des clubs culture et loisirs (FCCL), créée par Roland Povinelli en 1971 et dissoute en septembre 2006. Selon le parquet de Marseille, une « centaine de milliers d’euros » ont été détournés, c’est-à-dire « utilisés de façon non conforme à l’objet social de l’association » alors que l’élu en était « dirigeant de fait ». Ce dernier explique qu’en 1986, l'association, dont il était encore administrateur mais plus président, a acheté à la commune un terrain de 100 m2 afin d’y installer l’antenne relais de sa radio libre Allauch Radio Provence. Le terrain aurait été vendu « au prix des domaines sur délibération du conseil municipal par (son) premier adjoint ». En 2006, la fréquence de la radio ayant été rachetée par Europe 2, l’association FCCL a été dissoute et le terrain « vendu à un particulier pour 15 000 euros, sur le conseil d’un avocat fiscaliste ». « Contrairement à ce que disent les policiers, la commune n’a pas été flouée, s’énerve Roland Povinelli. Nous ne sommes pas des voyous. Comme si à vingt ans d’écart, nous avions voulu favoriser quelqu’un ! » De son côté, Me Pezet explique qu’« il y a eu des chèques pour le président de l’association et un seul chèque de 6 000 euros en 2006 [au moment de la dissolution de l’association, ndlr] pour Roland Povinelli, qui n’était plus dans les instances de l’association à ce moment-là ».
Le détournement de fonds publics vise lui « des personnes qui ont travaillé pour son compte et ont bénéficié de rémunérations indues et de l’utilisation d’une partie des locaux de la mairie », indique le parquet. Est notamment en cause l’emploi à Allauch, par l’ex-sénateur PS, de sa belle-fille Priscilia Gazan comme assistante parlementaire entre 2008 et 2014. Les enquêteurs s’intéressent à la réalité du travail fourni et au montant de sa rémunération. L’emploi de proches par des parlementaires est une pratique courante et légale, mais les salaires de ces « assistants familiaux » sont encadrés : les épouses reçoivent un tiers au plus de l'enveloppe du parlementaire, soit 2 500 euros brut par mois ; les autres parents proches peuvent toucher jusqu'à 3 800 euros. Selon Roland Povinelli, pour « 3 200 ou 3 400 euros par mois », Priscilia Gazan se serait occupée de « conseil en image », de « préparer des textes sur la tauromachie et la protection des animaux » et de « questionner les gens sur les marchés pour (lui) faire des compte-rendus ».
Quant au faux et usage de faux, il vise « plusieurs arrêtés municipaux qui ont permis à des personnels d’accélérer leur carrière, dont sa directrice de cabinet », toujours selon le parquet. Comme l’avait relevé en 2012 la chambre régionale des comptes (CRC) dans son rapport, cette secrétaire administrative a connu un avancement éclair après son arrivée à la tête du cabinet du maire. Titularisée en mars 2007, elle a été promue dès septembre, date à partir de laquelle elle touche également une prime de plus de 1 000 euros par mois sans aucune délibération de la commune. Un an plus tard, la fonctionnaire fait un nouveau bond : elle touche alors plus de 5 000 euros par mois, correspondant à « un poste de directeur général des services des villes de 150 000 à 400 000 habitants, alors que la commune d’Allauch comptait moins de 20 000 habitants », relève la CRC. Sa situation a cependant été régularisée au bout de six mois « à la suite d’une ordonnance du juge des référés ».
Ce qui n’a pas empêché Roland Povinelli d’obtenir dans la foulée son passage de catégorie B en A, alors qu’elle n’avait que trois ans et demi d’ancienneté (contre les cinq ans requis). Le maire reconnaît être intervenu « en 2011 ou 2012 » auprès de l’ex-directeur du centre de gestion des Bouches-du-Rhône, François Colombani, pour accélérer la carrière de sa protégée jugée « exceptionnelle de travail et d’intelligence ». « Le directeur est venu dans mon bureau en compagnie de ma directrice de cabinet et de la directrice du personnel, et m’a dit "pas de problème", raconte Povinelli. Le lendemain, il m’a envoyé par fax le modèle de délibération, c’est passé à la préfecture et le contrôle de légalité n’a rien dit. »
Sa directrice de cabinet bénéficierait par ailleurs d’une belle voiture de fonction et d’un logement social, « ce qui est tout à fait son droit, puisqu’elle paie un surloyer », argue Me Pezet. En revanche, concernant le véhicule de fonction, la loi les réserve aux collaborateurs de cabinet des villes de plus de 80 000 habitants. Entendue en garde à vue ces derniers mois par les enquêteurs, elle est ressortie sans mise en examen.
Enfin il est reproché au maire d’Allauch d’utiliser de façon privative un domaine public, à savoir la bastide de Fontvieille, où il a installé ses bureaux, ceux de son secrétariat particulier et… sa salle de sport. Une salle de danse a également été aménagée dans les caves où sa femme, « ex-danseuse étoile à l’Opéra, donne des cours de danse gratuitement », dit Roland Povinelli. Cette belle demeure du XIXe siècle avait été restaurée par la commune au début des années 2000 pour y créer une médiathèque et un espace culturel. En 2002, lorsque l’hôtel de ville d’Allauch, place Joseph-Chevillon, est transformé en musée, le maire se réfugie provisoirement à la bastide Fontvieille. Sauf que le provisoire va durer, le projet de nouvelle mairie, un temps envisagée au château de Carlevan (une autre propriété municipale) étant abandonné.
Selon le parquet, Roland Povinelli « y passait le plus clair de son temps, ce qu’il conteste en affirmant qu’elle restait ouverte au public ». Son avocat, ex-élu PS au département, assure lui qu’il y dispose certes d’« un lieu pour recevoir à déjeuner et d’un autre de repos », mais que c’est « pratique courante » chez les élus. Quant à la salle de sports équipée « à (ses) frais », le maire, âgé de 73 ans, répond avoir fait « plusieurs infarctus et travailler 16 heures par jour ». « Je n’en ai pas fait mon domicile, l’été nous avons des concerts ouverts à tous sur le parvis pendant deux mois et demi », proteste-t-il. « Au lieu d’avoir son bureau à la mairie, avec les services à la population, il s’est installé à Fontvieille, où il faut sonner, montrer patte blanche », s’étonne Lucie Cohen-Desblancs, élue d’opposition au conseil municipal. Elle précise qu’après sa réélection en mars 2014, Roland Povinelli a déserté les séances jusqu’à celle du vote du budget, en avril 2015.
En revanche, aucun fait de corruption n’a été retenu contre l’élu. La rumeur locale selon laquelle les permis de construire seraient soumis à des dessous-de-table est tenace, comme l’illustre le témoignage anonyme d’un habitant, jeudi 11 juin, sur l’antenne de France Bleu Provence. « Rien n’apparaît sur les racontars selon lesquels le maire percevait des royalties sur les permis de construire », recadre Me Michel Pezet. Le 13 novembre 2014, selon France 3 Provence-Alpes, trois sites municipaux de la ville, dont les services de l’urbanisme et le cabinet du maire, avaient été perquisitionnés et des documents concernant certains permis de construire saisis. « La juge d'instruction est saisie de certains dossiers d’urbanisme, mais en l’état a estimé une mise en examen prématurée dans ce volet », indique prudemment le parquet de Marseille.
BOITE NOIRELe site d’information marseillais Marsactu a été placé en liquidation judiciaire le 4 mars 2015. Ses journalistes ont remporté l’appel d’offres de l’administrateur judiciaire pour le fonds de commerce, la marque et le matériel. Ils ont lancé une campagne de financement participatif via la plateforme Ulule, qui a déjà atteint 25 000 euros. Objectif : réunir 35 000 euros en 40 jours pour relancer ce site d'information indépendant.
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