Trois semaines de retard, deux hypothèses, une combine. C’est le bilan du rapport sur la nouvelle offre légale de jeux à Paris que le préfet honoraire Jean-Pierre Duport vient de remettre à Bernard Cazeneuve. Pour supprimer définitivement les cercles de jeux, entachés de trop nombreuses affaires judiciaires, le ministre de l'intérieur envisageait dans un premier temps l’ouverture de plusieurs casinos dans la capitale, où ils sont interdits depuis près d'un siècle. Mais face à la bronca suscitée par le projet, c’est finalement une deuxième option qui a été retenue. Plus de cercles, pas encore de casinos, mais des « clubs ».
Ces nouveaux établissements de jeux ont été pensés pour répondre aux inquiétudes de l'ensemble des acteurs concernés par cette réforme (élus parisiens, maires des communes ayant des casinos, organisations professionnelles et syndicats de salariés). Ils prendront la forme de sociétés commerciales et n'exploiteront que des tables de jeux, aucune machine à sous. Leur régulation dépendra uniquement de l'État. Une solution « rapide et opérationnelle », estime l'entourage de Cazeneuve. Et qui permet surtout de s’épargner de longues séances de débats en Conseil de Paris, où bon nombre d'élus se sont montrés hostiles au projet initial.
« Les auditions des responsables des groupes politique du Conseil de Paris font ressortir un enthousiasme limité voire une grande prudence des élus quant à l’ouverture des casinos dans Paris », peut-on lire dans le rapport rendu public le vendredi 12 juin. C'est peu dire. Au printemps, la mission Duport a plongé la majorité parisienne dans l'embarras. À l’exception du président du groupe UDI-MoDem, Éric Azière, la plupart des élus qui ont rencontré le préfet lui ont fait part de leur inquiétude de voir l'État et la mairie céder aux sirènes de Las Vegas dans le seul but de gonfler leurs caisses.
« Le PS est dans une position logique et morale inconfortable », confiait le conseiller “Les Républicains” de Paris Jean-François Legaret à Mediapart, fin mai. « Les casinos représentent tout de même la quintessence de l’ultraconsommation… », rappelait encore le coprésident du groupe EELV, David Belliard. « Le jeu peut être une soupape dans une société, mais ça ne peut pas être une identité pour Paris », avertissait même le président du groupe socialiste, Rémi Féraud. Quant à Anne Hidalgo, elle est longtemps restée silencieuse, avant de finir par reconnaître que les casinos n'étaient pas sa « tasse de thé ».
La maire de Paris peut désormais souffler. Elle n'aura pas besoin de justifier sa position ni de procéder à des délégations de service public puisque l'ouverture des clubs sera uniquement « régulée par l'État, de la même façon que fonctionnent les cercles de jeux aujourd'hui », par demande d'agréments auprès du ministère de l'intérieur. À première vue, ces nouveaux établissements sont en tous points comparables aux anciens. Mais en réalité, ils mettent fin au statut associatif qui régissait jusqu'alors les cercles et rendait fort complexe le contrôle de leurs flux financiers.
La fonction de banquier, dont les affaires Wagram, Haussmann ou Concorde ont prouvé le rôle clef dans le blanchiment ou la fraude fiscale, ne sera plus confiée à des membres du club, mais reviendra « à la société d'exploitation » de ce dernier « en assurant le cantonnement de son activité en comptabilité ». Enfin, le rapport préconise de réfléchir à un nouveau régime de fiscalité qui permette à ces établissements d'être rentables, malgré l'absence de machines à sous, qui réalisent 90 % de l'activité des casinos. Ce qui n'empêchera pas, précise le rapport, « d'obtenir davantage de revenus qu'actuellement pour l'État ».
Pour le reste, seules les villes accueillant un cercle à la date de promulgation de la loi – c'est-à-dire Paris et Reims – pourront expérimenter les clubs. « Le ministre a une volonté d'avancer et d'avancer rapidement », explique l'entourage de Bernard Cazeneuve, dont les équipes planchent déjà sur un "véhicule législatif" qui devrait être connu sous peu. Pour éviter la prolifération des tripots, de plus en plus nombreux depuis la fermeture des principaux cercles parisiens, Beauvau souhaite que ce nouveau dispositif soit opérationnel dès le début de l'année 2016.
S’il se défend d’avoir fait volte-face, Jean-Pierre Duport a bel et bien été contraint de revoir sa copie. Le scénario "modernisation des cercles" qui n'était absolument pas envisagé il y a encore quelques semaines est finalement celui qui a été retenu par le ministre. Mais – et c'est là toute l'astuce de cette proposition – le projet d'ouverture de casinos n'est pas encore enterré. Mieux, il avance. Plus lentement, plus discrètement aussi. Car dans tous les cas, le préfet préconise d'abroger l'article 82 de la loi du 31 juillet 1920, interdisant l'installation de casinos dans un rayon de moins de 100 km autour de la capitale. Et ce, alors même que la création de clubs ne le nécessite pas.
L'avenir des établissements de jeux parisiens semble donc tout tracé. Jean-Pierre Duport n'en fait d'ailleurs pas mystère. Sans ce fameux article 82, « à tout moment, on aura la possibilité de mettre des casinos à Paris », dit-il. L'intérêt est loin d'être négligeable. Selon les calculs de la mission, la demande de jeu non satisfaite en Ile-de-France atteint aujourd’hui 464 millions d’euros par an. En attendant, si le parlement donne son feu vert, les clubs seront mis à l'essai pendant cinq ans. Juste le temps de faire retomber le soufflé des critiques.
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