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Martine Aubry perd le Nord et la face

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C'est un camouflet difficile à camoufler. Jeudi soir, l’élection du premier secrétaire de la fédération socialiste du Nord a vu l’improbable arriver, et Martine Aubry finir de s’échouer. Le premier fédéral sortant, Gilles Pargneaux, proche de la maire de Lille depuis 2008, a été battu après le premier tour, qui a fait la nuit entière l’objet de vives contestations.

Martine Filleul, candidate dissidente au sein même de la motion A, soutenue par des proches de François Hollande et les barons mauroyistes du département, a recueilli autour de 50 % (entre 51,08 % et 49,8 %, selon les dires de chaque camp), contre environ 40 % pour Gilles Pargneaux. En troisième position, le candidat de la motion B (celle des frondeurs), l’universitaire Rémi Lefebvre, a recueilli près de 10 %. Mais le “recollement” des votes, leur validation en jargon socialiste, a pris une longue partie de la nuit, sur fond de soupçon de bourrages d'urnes.

Après avoir évoqué l’annulation de l’élection, Pargneaux et ses soutiens ont plaidé pour un second tour. Avant de finalement reconnaître leur défaite au petit matin blême, aux alentours de 4 heures, après de longues négociations (et la garantie que la liste aux régionales resterait inchangée).

Le résultat de la soirée résonne comme un terrible désaveu pour Martine Aubry. Son ralliement à la motion majoritaire de Jean-Christophe Cambadélis et Manuel Valls, après des mois de critiques de l’orientation gouvernementale, apparaissait comme un choix de raison. Celui de ne pas être minoritaire et d’influer sur l’action du gouvernement lors des deux dernières années du quinquennat. Cet accord était aussi censé assurer à l’ancienne première secrétaire du PS de conserver la mainmise sur son appareil local. Sans que l’on sache si Valls et Hollande y sont pour quelque chose, ce compromis s’est fracassé, cinq jours seulement après la tenue du congrès de Poitiers, sur la réalité du terrain.

Gilles Pargneaux, Martine Aubry et Pierre de Saintignon, en 2008Gilles Pargneaux, Martine Aubry et Pierre de Saintignon, en 2008 © Reuters

Sans surprise, dans une fédération où les “votes au canon” (voulant que les sections votent d’un seul bloc) ont encore un sens, les résultats épousent la géographie militante du département. Pour Pargneaux et Aubry, les sections de Gravelines, Roubaix, Denain, Maubeuge et Orchies. Pour Filleul et les anti-aubrystes, les territoires ruraux, le littoral et la Flandre intérieure. Surprise, peut-être décisive, les sections de Lille ont vu se partager les voix.

Cela faisait plus d’une semaine que le feuilleton durait, et inquiétait de façon grandissante l’entourage de la maire de Lille. « C’est un retour de la vieille garde plus qu’une soi-disant rénovation ou une contestation sur des bases politiques », expliquait vendredi dernier à Poitiers le député François Lamy, proche d’Aubry. Selon celui qui pourrait postuler pour la remplacer sous le beffroi, « le constat était facile à faire : on a face à nous une candidature poussée par un ministre du gouvernement Valls. Normalement, ça devrait être simple comme un coup de fil… ». Mais cela s’est avéré en fait bien plus compliqué.

Car Patrick Kanner, le ministre en question, aura finalement joué sa carte jusqu'au bout. Ancien président du conseil général du Nord et adjoint d'Aubry, il ne cache pas qu'il se verrait bien dans le fauteuil d’Aubry, ou au moins député dans la circonscription du centre de Lille, celle de Bernard Roman. Ce dernier tient là sa revanche, lui qui était le successeur désigné de Pierre Mauroy, jusqu’à ce que celui-ci dépêche la fille de Jacques Delors comme première adjointe en 1995. Demeuré proche de François Hollande, Roman n’a pas cédé aux pressions du “national” et a maintenu son soutien à Martine Filleul, comme l’ancien président du département, Bernard Desrosiers, ou le député Yves Durand.

La venue de Jean-Christophe Cambadélis à Lille lundi dernier aura été vaine. Dépêché pour rendre hommage à Pierre Mauroy, décédé il y a deux ans, le premier secrétaire a pourtant insisté lui aussi sur son attachement à Gilles Pargneaux, un signe de reconnaissance à Aubry, qui lui a permis de plier le congrès avant qu’il ne commence, et aussi à la fédération du Nord, qui a voté à plus de 70 % pour sa motion.

La seule inflexion obtenue de l’exécutif aura été que Kanner rentre dans le rang, mardi, seulement deux jours avant le vote. Mais son acceptation du scénario assez flou d’un troisième homme consensuel – le maire de Lomme, Roger Vicot, remplaçant Pargneaux après les prochaines régionales – n’a pas pesé lourd face à la détermination de Martine Filleul. Et les résultats laissent entendre que ses proches ont malgré tout voté pour l’adversaire des aubrystes. Le ministre de la jeunesse et des sports, qui n’a jamais caché sa détestation d’Aubry aux journalistes, a laissé traîner au maximum une quelconque résolution du conflit. Il y a un mois, il confiait déjà : « Martine n’a pas supporté que je ne la prévienne pas d’être nommé au gouvernement. Je ne suis pas un vassal ni un serf. »

Aubry et ses proches ont eu beau “cliver” et s’en prendre à leurs propres camarades de la motion A, les appels à la clarification idéologique n’ont guère eu d’effets, arrivant sans doute un peu tard après les appels à l’unité précédents. La députée Anne-Lise Dufour-Tonini a ainsi tenté d’expliquer que certains soutiens de Filleul « communient désormais dans le social-libéralisme (…) après avoir été les pires critiques de l’action menée par le gouvernement. Oui, cette candidature dissidente, ne nous y trompons pas, est celle de Manuel Valls, celle du social-libéralisme, dont l’audience dans le peuple de gauche s’élevait à 5 % au terme des primaires socialistes ». Que n’ont-ils, elle et les aubrystes, pas fait motion concurrente plus tôt ?

Aubry elle-même l’a joué plus fine, dans une lettre aux militants envoyés la veille du vote, où elle mentionne de son côté : « J’ai la conviction qu’au sein de la motion A, certains n’ont pas eu le courage de défendre leur ligne politique alors qu’ils étaient en désaccord avec les avancées que j’ai obtenues avec d’autres camarades dans le texte majoritaire. »

Martine Filleul et Patrick KannerMartine Filleul et Patrick Kanner © dr

Cet appel à la mobilisation et à la repolitisation (la maire de Lille a elle-même décroché son téléphone pour tenter d’inverser la tendance, tout comme elle s’est déplacée dans plusieurs petites sections pour convaincre) s'est avéré inefficace. D’abord parce qu’il vient contredire le message d’unité sur lequel Aubry a assis son choix de rapprochement avec Cambadélis. « On en est à faire des visuels pour dire “Macron tu n’auras pas notre voix”, alors que la quasi-totalité des députés aubrystes n’a jamais voté contre le gouvernement », soupire un militant soutenant Pargneaux.

Mais aussi parce que l’ancienne patronne du PS paye les rancœurs accumulées contre elle, sa mainmise sur les investitures et le parachutage de proches à ses côtés à Lille. Les autres territoires du département n’ont guère apprécié non plus l’accaparement des postes principaux par les aubrystes sur la liste aux prochaines régionales.

La victoire de Martine Filleul résonne aussi comme un ironique clin d’œil de l’histoire socialiste locale, renvoyant au congrès de Dijon, en 2003. À cette époque, Martine Filleul était l’une des proches de Marc Dolez, député de Douai ayant ensuite quitté le PS avec Jean-Luc Mélenchon, et ils avaient pris ensemble la fédération, face à la majorité du parti, allant de Kanner à Aubry en passant par Mauroy, en battant Bernard Roman. En incarnant déjà le “ras-le-bol militant”.

La victoire de Filleul en 2015 renvoie aussi à cette tradition de résistance militante et basiste, « guesdiste » disent encore certains, rejetant le personnage de Gilles Pargneaux, en poste depuis 2005. « Il incarne l’élite fédérale lilloise, qui dirige tout et n’écoute plus les militants, explique un militant de la motion B. Si on rajoute dix ans de mécontentements pour ceux qui n’ont pas eu leur investiture, il est à bout de souffle. » Lui-même avait émis son intention de jeter l’éponge en fin d’année dernière, avant de finalement repartir pour un tour.

Jusqu’ici, Martine Aubry avait beau jeu de critiquer le pacte faustien passé par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon avec Manuel Valls, qui s’étaient servi d’eux pour s’installer à Matignon, avant de les congédier. Mais à l’issue du congrès de Poitiers, Martine Aubry se retrouve dans la même situation, voyant elle aussi son accord avec l’exécutif voler en éclats sitôt la victoire de leur motion commune enregistrée. Reste encore à savoir si, désormais, la « situation à la marseillaise », selon les propres termes de Pargneaux, va désormais se prolonger. Mais la « guerre » du Nord est bien perdue pour Aubry.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Si j’ai bien tout compris


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