Depuis quelques jours, c’est devenu le refrain de nombreux médias : Jean-Marc Ayrault compte bel et bien procéder, comme il le prétend, à une remise à plat du système fiscal français et éventuellement avancer vers une fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG). Et les mêmes médias en décèlent une confirmation dans une possible remise au pas de Bercy, avec à la clef un probable et important jeu de chaises musicales au sommet de quelques directions stratégiques de cette grande maison, Denis Morin prenant les rênes de celle du budget, et François Villeroy de Galhau peut-être celle du Trésor.
Seulement voilà ! Il y a de bonnes raisons de douter de cette version plutôt avantageuse pour le gouvernement – la version d’une reprise en main, avec enfin la perspective d’une véritable réforme fiscale, et la nomination de personnalités compétentes pour la conduire. Car ce changement de cap pour la politique fiscale s’apparente plus à une nouvelle plongée ubuesque dans l’incohérence. D’autant que ces personnalités dont on parle tant pour remettre Bercy au pas se sont déjà distinguées dans le passé par leur fort conservatisme ou leur proximité avec les milieux d’argent. En bref, ce n’est assurément pas sur elles qu’il faut compter pour piloter une grande réforme fiscale progressiste – elles joueront strictement en sens contraire.
Ainsi, Jean-Marc Ayrault a annoncé voici une semaine dans le quotidien Les Échos que le temps était « venu d’une remise à plat, en toute transparence, de notre système fiscal ». C’est donc dans cette perspective qu’il reçoit à Matignon, ces lundi 25 et mardi 26 novembre, les partenaires sociaux à Matignon.
Dans un premier élan, on pourrait donc être enclin à penser que l’extrême désordre dans lequel la politique fiscale incohérente du gouvernement a plongé le pays a eu au moins un effet vertueux : enfin, Matignon a pris conscience qu’il fallait fixer un cap clair et revenir aux promesses de la campagne présidentielle. La révolte bretonne contre l’écotaxe, provisoirement suspendue, est aussi passée par là. C’est ce que suggère le premier ministre dans cet entretien : « Le système fiscal français est devenu très complexe, quasiment illisible, et les Français, trop souvent, ne comprennent plus sa logique ou ne sont pas convaincus que ce qu’ils paient est juste, que le système est efficace. Or, dans un État démocratique, l’impôt est un acte citoyen : c’est la contribution à l’effort collectif, c’est la base du pacte social. C’est la condition des prestations sociales et des services publics dont bénéficient les Français. Je crois que le temps est venu d’une remise à plat, en toute transparence, de notre système fiscal. À prélèvements obligatoires constants, je le précise bien. Jusqu’ici, nous avons répondu à l’urgence pour redresser la barre. Il nous faut désormais bâtir pour l’avenir. »
De prime abord, on pourrait donc se dire que le gouvernement aurait sûrement été mieux avisé d’organiser cette remise à plat dès le début du quinquennat de François Hollande, plutôt que d’y être contraint du fait de l’indignation multiforme qui secoue le pays depuis plusieurs semaines. Mais enfin, mieux vaut tard que jamais ! Et puisque dans le même entretien Jean-Marc Ayrault promet que la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG « fera partie du débat » – fusion qui constituait l’une des grandes promesses de François Hollande pendant la campagne présidentielle et qui avait été ensuite enterrée –, on pourrait se prendre à espérer que les dirigeants socialistes retrouvent, contraints et forcés, le chemin de la raison.
Et pourtant, non ! Il ne faut sans doute guère se faire d’illusions. Il y a malheureusement de fortes chances pour que ce rebondissement spectaculaire ne constitue qu’une incohérence de plus dans une séquence fiscale qui est devenue littéralement ubuesque. Deux indices plaident clairement pour cette interprétation : l’histoire fiscale elle-même ; et le profil de ces deux personnalités qui devraient arriver à Bercy.
Reprenons, d’abord, le fil de cette histoire fiscale abracadabrantesque. À la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, les socialistes étaient unanimes à défendre le projet d’une « révolution fiscale ». Considérant à juste titre que l’impôt sur le revenu, truffé d’exonérations, de « niches » et d’abattements en tous genres, était devenu une passoire, et qu’il était même devenu dégressif, les plus hauts revenus étant les premiers bénéficiaires de tous ces passe-droits. Ils ont cherché une solution pour reconstruire un impôt citoyen et progressif, plus conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment de son article 13 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » C’est cet article 13, ayant valeur constitutionnelle, qui édicte donc que la fiscalité française doit reposer sur un système progressif.
À l’époque, les socialistes se sont inspirés du projet de l’économiste Thomas Piketty, qui proposait de supprimer purement et simplement l’impôt sur le revenu, trop déstabilisé depuis trop longtemps pour être reconstruit efficacement, et de créer à sa place un impôt citoyen, en transformant la CSG en un impôt progressif (lire Le Petit Livre rouge de la révolution fiscale). Choisissant une variante de cette proposition de réforme, les socialistes ont donc consigné dans leur projet présidentiel du printemps 2011 l’idée d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Avec un objectif majeur : parvenir à ce que le système fiscal français redevienne progressif. Et François Hollande lui-même a retenu cette idée, en en faisant la proposition n° 14 de sa plate-forme présidentielle (elle est ici).
Mais ensuite, tout a déraillé. D’abord, pendant la campagne présidentielle, François Hollande a subrepticement sorti de son chapeau l’idée surréaliste d’une taxe à 75 % pour les plus hauts revenus. L’idée était de frapper les imaginations et de faire croire que sa politique fiscale serait très nettement ancrée à gauche même si, l’impôt sur le revenu étant devenu un gruyère plein de trous, la mesure ne devait presque rien rapporter (lire Impôt : Sarkozy ment, Hollande bricole). Mais, dès cette époque, les partisans d’une vraie « révolution fiscale » ont compris que François Hollande manœuvrait en recul sans le dire. Car le nouveau prélèvement résultant de la fusion impôt sur le revenu-CSG aurait eu un effet redistributif beaucoup plus massif, même avec un taux marginal de seulement 50 %, que le taux de 75 % évoqué par le candidat socialiste. Sur le moment, on a donc pu deviner que le dirigeant socialiste était, en fait, en train d’enterrer sans le dire le projet de fusion.
Et de fait, c’est bel et bien ce qui s’est passé. D’abord – comme par hasard ! –, Jean-Marc Ayrault a oublié, au début du mois de juillet 2012, lors de sa déclaration de politique générale, de mentionner le projet de fusion, qui figurait pourtant parmi les engagements du candidat. Premier spectaculaire reniement – précédant tous les autres –, la « révolution fiscale » a donc été remisée d’emblée aux oubliettes (lire notre article de l’époque, écrit dès le 17 juillet 2012 : Mais où est donc passée la révolution fiscale ?).
Et ensuite, le gouvernement a totalement tourné casaque dans sa politique fiscale, allant jusqu’à reprendre à son compte de nombreuses mesures fiscales défendues dans le passé par Nicolas Sarkozy. Cette lente et interminable dérive fiscale, Mediapart en a donc tenu la chronique, que l’on peut retrouver au fil de nos très nombreux articles ou « partis pris » dont ceux-ci, qui sont les plus récents : Impôts : la révolution conservatrice de Moscovici ; Désespérant François Hollande ! ; Dans les turbulences du populisme antifiscal ; L’impôt sur les sociétés implose, la taxe à 75 % aussi ; Sous les révoltes fiscales, la menace populiste…
Et cela s’est achevé comme on le sait : pour finir, François Hollande a programmé pour le 1er janvier prochain une hausse de près de 7 milliards d’euros de la TVA, l’impôt le plus injuste du système fiscal français, celui-là même qu’il reprochait à Nicolas Sarkozy de relever (lire TVA, l’impôt du reniement et de l’injustice). C’est donc l’aboutissement sidérant de ce grand écart fiscal : partisans d’une réforme qui améliore la progressivité du système fiscal français (en clair, plus on est riche, plus on paie !), les dirigeants socialistes en viennent aujourd’hui à mettre en œuvre une réforme strictement opposée, qui renforce… la dégressivité du système (en clair, plus on est pauvre, plus on paie !). Ce qui a aussi lourdement pesé dans la fronde fiscale qui secoue aujourd’hui le pays. Les socialistes avaient promis une « révolution fiscale » ; mais voilà qu’au lieu de cela, ils organisent une contre-révolution qui renforce les privilèges…
Du même coup, quand on a à l’esprit cette longue dérive, la proposition du premier ministre d’une « remise à plat » de la fiscalité prend une curieuse résonance. Car, oui, assurément, une telle remise à plat est urgente. C’était la promesse des socialistes : organiser une nouvelle Nuit du 4-Août. Mais si une telle remise à plat est impérieuse, on en comprend bien la raison de fond : sa raison d’être est de faire reculer la dégressivité, qui creuse les inégalités au détriment des plus modestes, et d’améliorer la progressivité, pour mieux assujettir les plus riches qui échappent trop souvent à l’impôt, grâce précisément à ces « niches » fiscales.
Or, la proposition de Jean-Marc Ayrault est, de ce point de vue, marquée d’une forte hypocrisie : s’il se prononce pour une réforme d’ensemble et paraît renouer avec le souffle de gauche de la campagne présidentielle ; s’il semble aussi donner des gages à l’aile gauche du parti socialiste qui revendique une CSG progressive, il a clairement dit qu’une annulation de la hausse de la TVA était hors de question, dans ce même entretien aux Échos.
Alors, après bien des atermoiements et des reniements, faut-il croire Jean-Marc Ayrault quand il promet cette remise à plat de la fiscalité française ? Et faut-il en déduire que le cap de la politique fiscale sera désormais de faire en sorte que le système fiscal gagne en progressivité ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il serait audacieux de tirer cette conclusion, puisque dans le même temps le même Jean-Marc Ayrault défend bec et ongles une mesure qui aggrave la dégressivité. Comprenne qui pourra ! Pour aujourd’hui, le gouvernement défend la dégressivité mais n’exclut pas pour demain d’en revenir à la progressivité : c’est dire que nous nageons plus que jamais en pleine incohérence. Un pas en avant, timide, mais dans la bonne direction ; un autre dans une direction strictement opposée : la politique fiscale tourne plus que jamais au grand n’importe quoi.
Le doute sur la volte-face du gouvernement et la sincérité de sa nouvelle démarche est d’autant plus légitime que les deux personnalités qui sont censées incarner cette reprise en main de Bercy et cette nouvelle orientation ne sont pas franchement des partisans d’un cap progressiste. Pour dire vrai, ils incarnent même une orientation strictement contraire, celle du conservatisme. Voyons en effet qui sont ces deux fantômes, qui ont longtemps hanté les couloirs de Bercy et qui ressurgissent d’un passé que l’on pensait une bonne fois pour toutes révolu.
Ancien conseiller de Pierre Bérégovoy et de Michel Charasse, Denis Morin, qui pourrait devenir le prochain directeur du budget, est ainsi l’un des archétypes de ce que la gauche a pu produire comme technocrates. Roué et brutal, il est assez représentatif de cette génération de hauts fonctionnaires qui a fait carrière en naviguant perpétuellement dans les eaux socialistes, mais sans afficher de véritable conviction. Un haut fonctionnaire, gris couleur muraille, qui appliquera sans le moindre état d’âme la politique d’austérité. Directeur de cabinet de Christian Sautter, le ministre du budget sous le gouvernement de Lionel Jospin, c’est lui qui a supervisé une très maladroite et autoritaire réforme de l’administration fiscale, durant l’hiver 1999-2000, qui s’est achevée en fiasco : déclenchant la colère des personnels et de tous les syndicats, la réforme a dû être précipitamment enterrée et a scellé l'éviction de Christian Sautter.
C’est également le même Denis Morin qui, à la même époque, a été au cœur de ce que l’on a appelé l’affaire de la « cagnotte ». Pour éviter que l’accélération de l’activité économique, qui était alors vive, ne déclenche une forte demande sociale en vue d’un meilleur partage des fruits de la croissance, le ministre et son principal collaborateur, jouant à fond la carte de l’opacité, ont longtemps cherché à cacher qu’ils constataient, mois après mois, de spectaculaires plus-values de recettes fiscales. En bref, le nouvel arrivé ne préfigure assurément pas une réorientation de la politique économique ou budgétaire.
Dans le cas de François Villeroy de Galhau, dont la promotion à la direction du Trésor en remplacement du sarkoziste Ramon Fernandez n’est pas encore confirmée (lire Matignon s’attaque à la citadelle de Bercy), on peut faire exactement les mêmes constats. Et même pis encore ! Car l’intéressé est d’abord connu pour avoir été le directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn, du temps où ce dernier fut ministre des finances, de 1997 à 1999. Il a donc été au cœur de toutes les dérives droitières auxquelles a poussé à l’époque son mentor et qui ont lourdement contribué à l’éviction sans gloire de Lionel Jospin lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2002, derrière Jean-Marie Le Pen : les privatisations à marche forcée, y compris pour les entreprises ayant des missions de service public ; la scandaleuse proposition d’abaisser sous les 20 % le taux d’imposition des stock-options, conduisant à ce qu'un grand patron dispose d'un taux d'imposition inférieur à celui de sa secrétaire ; la proposition tout aussi controversée (mais qui ne fut mise en œuvre que sous Laurent Fabius) d’abaisser le taux supérieur de l’impôt sur le revenu au profit des plus hauts revenus.
Très emblématique de certains milieux de la haute fonction publique qui disent avoir le cœur à gauche mais qui sont, en fait, liés par d’innombrables réseaux aux milieux d’affaires et à la très grande bourgeoisie conservatrice, François Villeroy de Galhau, descendant d’une grande famille industrielle – celle du groupe Villeroy et Boch – a d’ailleurs logiquement suivi, après, la pente sur laquelle il se situait : après avoir occupé quelque temps les fonctions de directeur général des impôts, il a sans grande surprise abandonné le service de l’intérêt général et s’est mis au service des patrons de la banque BNP Paribas qui a longtemps constitué le « QG », dans les milieux d’affaires, des réseaux sarkozistes. Président de Cetelem, la filiale de la banque spécialisée dans le crédit à la consommation, puis d’une autre filiale, BNP Paribas Personnal Finance, il a donc, sans trop d’états d’âme, été faire fortune dans le privé et rallié le camp d’en face.
Son éventuelle nomination à la direction du Trésor prendrait donc un fort relief. Un « poulain » du très conservateur banquier Michel Pébéreau reviendrait à Bercy, et l’on voudrait faire passer cela pour une remise en ordre, préparatoire à une réorientation à gauche de la politique économique ? C’est évidemment une plaisanterie grotesque.
En vérité, l’arrivée éventuelle de François Villeroy de Galhau – qui depuis l’alternance a postulé secrètement à presque tous les gros postes qui ont été disponibles, de la Caisse des dépôts jusqu'à la Banque publique d'investissement – ne ferait que renforcer le camp des « technos » qui viennent des milieux d’argent, à la manière d’Emmanuel Macron, l’ancien associé gérant de la banque Rothschild qui est devenu le secrétaire général adjoint de l’Élysée, aux côtés de François Hollande. François Villeroy de Galhau et Emmanuel Macron font d’ailleurs partie des mêmes réseaux : ils se côtoient par exemple au sein de l’association « En temps réel » (ici son site internet), une structure qui s’est constituée au lendemain de l’implosion de la fondation Saint-Simon et qui, sans la moindre autorité ni aura intellectuelles, est ancrée encore beaucoup plus nettement à droite.
Si la promotion de l’ex-banquier François Villeroy de Galhau est confirmée, elle risque donc d’avoir un grand retentissement. Car la promesse du candidat François Hollande de faire la guerre à la finance, déjà gravement ébranlée, tournera à la pantalonnade. Et dans tous les cas de figure, cela viendrait confirmer qu’aucun changement de cap économique ou fiscal n’est véritablement en gestation.
C’est peut-être d’ailleurs cela la clef du mystère. Voulant poursuivre et même accentuer la politique d’austérité, en accord sur ce point avec François Hollande, Jean-Marc Ayrault n’a-t-il pas pensé que cela allait conduire à des tensions encore plus vives au sein du pays, et jusqu’à l’intérieur même du parti socialiste, et qu’il fallait au moins avoir la prudence de lâcher un peu de lest, sur un front annexe, celui de la fiscalité ? En clair, la promesse, pour l’instant assez vague, d’une « remise à plat » de la fiscalité, sans engagement précis sur les contours de la future réforme – verra-t-elle seulement le jour ? – pourrait avoir pour seul objectif de mieux faire passer la pilule d’une politique d’austérité qui va se prolonger beaucoup plus longtemps que prévu.
C’est ce que ne sont pas loin de penser de nombreux parlementaires socialistes, issus de l’aile gauche du parti. La démarche que vient d’entreprendre le député (PS – Français de l’étranger) Pouria Amirshahi est très révélatrice de cette inquiétude. Dans un courrier qu’il vient d’adresser à tous les parlementaires et élus de son parti, il dit sa crainte que sous l’apparente concession fiscale de Jean-Marc Ayrault ne se cache en réalité un fort durcissement de la politique d’austérité. L'élu socialiste s'était déjà courageusement distingué ces dernières semaines en plaidant pour une réorientation politique (lire Hollande doit changer de chemin ou Le sursaut ou la catastrophe)
Voici le courrier de Pouria Amirshahi :
Car, derrière le tohu-bohu et les manifestations qui ont lieu depuis plusieurs semaines autour des impôts, il y a une autre réalité qui a beaucoup moins focalisé les attentions et qui est tout aussi décisive : l’Élysée et Matignon ont bel et bien décidé de négocier un tournant, majeur celui-là, dans la conduite de la politique fiscale, en décidant que la cure d’austérité qui sera imposée au pays ne durerait pas deux ans, en 2013 et 2014, mais du début jusqu’à... la fin du quinquennat !
On se souvient en effet qu’initialement, François Hollande avait annoncé que la politique d’austérité ne serait que passagère. Pour justifier les mesures impopulaires prises dès l’alternance, il avait fait valoir que cela ne durerait que deux ans, et qu’ensuite interviendrait la seconde étape de son quinquennat, plus faste. Le pain noir d’abord, le pain blanc ensuite…
Or, un ministre s’est récemment cru autorisé, en l’occurrence il s’agissait de celui du budget, Bernard Cazeneuve, à piétiner la belle promesse présidentielle. Dans un entretien au journal Les Échos, le 6 novembre, il a fait mine de parler de son propre chef : « Nous devons aux Français la vérité sur les enjeux budgétaires : il faut mettre le cap sur les économies, jusqu’à la fin de la législature. Nous avons déjà décidé de 15 milliards d’économies pour 2014, ce qui est sans précédent, comme l’a reconnu d’ailleurs mardi la Commission. En 2015, il faudra porter notre ambition encore plus loin, et continuer en 2016 et en 2017. Il y a là un chemin exigeant, mais c’est celui qui nous sortira de la crise. Je suis prêt à l’emprunter en prenant les risques nécessaires. Le ministre du budget n’est efficace que s’il s’expose. »
Sur le coup, on a pu penser que le ministre avait en effet commis un invraisemblable dérapage. Car, en quelques mots, il s’est permis de fouler au pied un engagement fort du chef de l’État et de promettre au pays l’austérité sans fin. L’austérité jusqu’à la fin du quinquennat. L’austérité, sans doute jusqu’à la… défaite finale !
Mais, comme on s’en doute, Bernard Cazeneuve est homme trop avisé pour parler à la légère ou de sa propre initiative. Car sur ce point au moins, il y a consensus dans les sommets de l’État, et le ministre du budget ne faisait que s’avancer en éclaireur : c’est bel et bien une austérité sans fin qui est désormais le nouveau cap de la politique budgétaire française. C’est Jean-Marc Ayrault qui l’a lui-même confirmé dans son propre entretien aux Échos : « Nous avons aussi besoin d’un véritable débat sur le niveau de la dépense publique (56,6 % de la richesse nationale), qui est élevé aujourd’hui. Nous allons réaliser 15 milliards d’euros d’économies en 2014, mais il faudra continuer au moins au même rythme en 2015, en 2016, en 2017 », affirme le premier ministre au journal patronal. Lequel Jean-Marc Ayrault avait bataillé avec une formidable énergie contre la politique d'austérité de Nicolas Sarkozy et la hausse inégalitaire de la TVA, comme en témoigne le florilège de tweets qu'il a publiés dans le courant du premier semestre de 2012, au plus fort de la campagne présidentielle:
Du coup, tout s’éclaire...
Et si toute cette agitation médiatique autour d’une remise à plat de la fiscalité, sans engagement précis sur une véritable réforme progressiste, n’était qu’un leurre ? Car il coule de source qu’une réorientation de la politique économique et sociale serait nécessaire. Pour faire rendre gorge à la finance, comme l’avait promis le candidat Hollande. Pour suspendre la hausse de la TVA, que Nicolas Sarkozy avait le premier annoncée sous les critiques justifiées de la gauche. Pour engager enfin une véritable « révolution fiscale » et procéder à une nouvelle « Nuit du 4-Août », comme s’y était engagé le même candidat François Hollande.
Mais pour l’instant, ce n’est assurément pas la voie choisie…
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